26/05/2018: Nouvelle Campagne Anima " Héritages " (4 à 5 joueurs maximum)

Attention le chapitre 13 contient du spoil de masse!
Si vous voulez vous garder le plaisir de la découverte attendez la prochaine partie avant de le lire.

Chapitre 13: Cendres

Le groupe prend la direction de la grotte des sirènes.
Chaque soir, Jun reste à l’écart, prétextant monter la garde.
Osamu, Kagome et Hisahi s’entrainent ensemble, échangent sur leurs capacités et essayent de nouvelles combinaisons.

Chaque nuit, le sentiment d’oppression issu de la barrière s’accroit.
Arrivé à proximité de la barrière, l’analyse montre que la barrière est générée par un cristal enfoui sous le sol, perverti par un ou plusieurs nécromanciens.
La barrière recouvre une ancienne cité de Sylvains, montrée à Chieko par Titan.
La barrière semble emprisonner des âmes enragées.
Après protection du groupe par Chieko et Hisashi, Osamu téléporte le groupe à proximité du cristal.

Le groupe arrive au sein de la cité des Sylvains, déserte, nichée dans une caverne gigantesque.
Deux sources de magie sont perceptibles dans le voisinage. L’une est le cristal fixé au sommet d’une tour d’environ 30m, en filament semblables au fil d’araignée. L’autre ?
Kagome porte dans ses bras Chieko et grimpe sur la tour. Arrivées au sommet, Chieko observe le cristal, brut. Chieko constate qu’en chargeant le cristal par son propre zéon.
En bas de la tour, des silhouettes encapuchonnées de noir apparaissent. Ils arborent des bâtons au symbole du croissant de lune noire (serviteur démoniaque de l’empereur), des masques blancs sans visage.
Jun lance une boule de feu (augmentée de dégâts par Hisashi) sur le groupe et carbonise les individus.

Après purification du cristal par Chieko, un sentiment de bonheur euphorique envahit le groupe. Sentiment de bien courte durée, alors que le démon Nobotsuki se fait entendre à son approche.
Nobotsuki est surpris de la présence de Chieko et de son groupe, et propose à Chieko de le suivre pour discuter. Le groupe se dirige vers un rassemblement d’acolytes, autour d’un cercle de nécromancie maintenant le Shinigami disparu en son centre.
Après une vive discussion entre Osamu et Nobotsuki, qui se termine par le départ de Osamu vers la surface (tp), Chieko convainc Nobotsuki que l’utilisation de la nécromancie dessert l’empereur et le ralliement des armées.
Nobotsuki indique que cette solution lui semblait la plus adaptée pour s’opposer aux forces dirigées par Barbados lui-même, qui devraient arriver sur la côte ouest sous peu. Il précise aussi qu’il respecte la lignée sacrée de Chieko et qu’il lui voit plus de mérite à être empereur (impératrice). Nobotsuki s’exécute néanmoins et stoppe le rituel de nécromancie, perdant ainsi 100 000 âmes potentielles pour combattre l’ennemi.
Osamu tp le groupe à la surface. Le groupe décide de se diriger vers les marais (1 semaine), dans la province de Numashi.

Arrivé aux marais, le village montre un visage de désolation. Le chef de village Hiruno nous accueille.
Hiruno prévient de prendre garde aux Dekishis (noyeurs) et aux Shinen (abyssaux) dans les marais, et d’utiliser sa barque pour se rendre au cœur du marais.
Yi et Asuma sont les principales familles du territoire. Les Asuma sont les shinobi de la famille Yi. Le chef de clan Asuma a fait sission avec les Yi.
Les Asuma sont réfugiés dans leur village caché. Des attaques sporadiques semblent prendre place sur le territoire entre des ombres et l’armée Yi.
Les Yi se situent à Inami (capitale proche de la côte, sur la route de Léviathan). Yura (reine mère) et son fils (Ozu) sont très traditionalistes, et s’opposent à la fourniture de troupes à l’empereur par manque de moyens. Vieille famille qui a perdu de sa superbe. Yo, feu le mari de Yura, décédé après longue maladie à 44 ans. Depuis 300 ans de règne sur ces terres (marais), la lignée Yi est réputée pour être plutôt de condition faible. Les Yi ont pris les reines du territoire après les Nakamura qui se sont opposés à l’empereur de l’époque. Les Nakamura ont perduré sur le territoire.

Hiruno précise de passer la nuit loin de l’eau, dans les troncs, en particulier si une brume commence à apparaître, et recommande de ne pas s’arrêter aux autels de sacrifice utilisés pour les esprits des marais (pseudo divinité locale Shinkai).
Pendant la discussion, une brume a commencé à apparaître alors qu’un bruit de clochettes retenti. Hiruno, effrayé, est tombé inconscient alors que des brase semblaient se former par la brume, dans sa direction. Jun et Kagome perdent conscience également. Plus personne n’ose bouger ni parler, pendant ce moment en suspension. Les bras de brume se retirent lentement, laissant entendre les bruits des clochettes, et un bruit nouveau d’un chariot qui part. l’atmosphère redevient normale.

Jun et Kagome se réveillent, choqués. Le vieux Hiruno semble mort, les membres très rigides, les yeux révulsés, une mousse blanche se formant au coin de sa bouche et un liquide jaunâtre coulant de ses oreilles.
Titan et Rahmu discutent de l’origine de cette attaque, mentionnent un adversaire séculaire qu’ils pensaient mort, et souhaitent en parler plus tard.
Chieko et Hisashi se rendent dans le village. Ils observent les marques d’un chariot sur les planches de passage, sans distinguer de détail particulier (absence de trace d’animal de trait). Pendant un clignement d’œil, ils ont une vision de personnes empalées dans les marais, d’arbres composés de chairs et d’yeux, de brume s’éloignant vers le cœur du marais accompagné du tintement de clochettes.
Jun et Kagome restent choqués, grattant le sol ou prostrés dans un coin. Après apaisement magique (annuler les états), ils ne semblent pas garder de souvenir de l’attaque, uniquement de l’approche de la brume. Chieko leur explique que le vieux Hiruno est mort, mais Jun explique qu’il est bien là et qu’il se repose.
Jun décrit sa version des faits : après le repas, la brume est apparue, Jun et Kagome ont été touché, ils ont commencé à voler dans les nuages, qui possédaient des yeux et avec qui ils ont parlé.

Après cela, le groupe a une vision d’horreur du village, et se retrouve dans l’impossibilité de partir (tp ou portail). Titan indique qu’il faut attendre la fin de la nuit, et surtout ne pas suivre la procession noire, ni prêter attention aux rémanences d’horreur.
Au matin, tous les villageois sont morts. Titan explique qu’avant l’apparition des Eons, les entités du néant se déployaient. Les Eons ont livré une guerre contre ces 4 entités, 2 sont mortes, 2 ont été bannies. Au moins 1 entité a réussi à réapparaître, probablement par la perte de puissance du nombre de Eons : a l’époque de la guerre, l’armée rassemblait 1 million de Eons.
L’apparition étant dans un lieu peu fréquenté par les âmes, Titan et Rahmu émettent l’hypothèse que l’entité est encore emprisonnée, et agit dans le monde par réverbération de son pouvoir. Les Eons pensent qu’à ce jour il n’y a pas de solution pour l’affronter ou consolider sa prison.

Kagome se trouvait dans la salle où Rahmu les avait conviés à partager un repas la veille. Il ne s’était écoulé que quelques heures depuis mais la jeune femme avait l’impression que cela faisait plusieurs jours. Leur expérience dans ces mondes étranges et les révélations qui en avaient découlé avaient été tellement énormes qu’ils donnaient l’impression qu’ils avaient vécu tout un pan de leur vie avant de revenir dans ce lieu.

Une tasse de thé refroidissait entre ses mains, tandis qu’elle s’abîmait dans se réflexions. Il était encore tôt, le soleil ne se lèverait pas avant une heure encore mais elle n’avait pas pu rester au lit. Elle avait besoin de faire le tri dans ce qu’elle avait appris durant l’épreuve et cela lui demandait toute la concentration dont elle était capable. Par où devait-elle commencer son bilan?

Son tout nouveau corps, et la nature profonde de son géniteur?
Jun qui dans un futur pas si lointain pourrait se retourner contre eux, ivre de son propre pouvoir?
Isashi, troublé par les révélations sur ses origines malgré l’absence d’émotions due à l’ablation de son cœur?
La noirceur inattendue de leurs familles qui avait conduit au soulèvement de leurs parents?
Noirceur à laquelle ils s’étaient trouvés confrontés durant l’épreuve d’Osamu.

Le brasier en elle avait ses avantages: ses émotions consommées presque aussitôt qu’elles lui venaient, elle se sentait étrangement détachée. Dans son esprit questions et réponses se formaient et s’enchaînaient comme la trame d’une étoffe, ses réflexions faisant la navette qui leur donnait petit à petit de la consistance. Ainsi chaque sujet était une pièce de tissu qui prenait forme sous ses yeux avec ses motifs, ses couleurs.

La première s’appelait Jun.
La vision de son futur lui n’avait pas paru l’inquiéter.
Il semblerait qu’il pourrait s’en prendre à eux si un jour ils se mettaient en travers de ses ambitions.
Pourtant il s’était excusé de l’avoir brûlée…
Peut-être qu’il n’était pas encore hors d’atteinte.
Comment en être sûre?
Comment savoir ce qu’il se passait dans le cœur du mage?
Échanger avec lui. Parler sans faux semblants, sans détour.
Et puis elle devait au moins lui faire parvenir un avertissement:
Entre lui et Chieko elle n’hésiterait pas une seconde.
Il le savait sûrement déjà.
Mais elle ne choisirait pas son destin à sa place.
Elle devait lui laisser le droit de faire son choix jusqu’au dernier moment.
Lui parler, oui.
En privé.
Dés que possible.

Quand à son cousin-jumeau… Isashi.
Que faire pour lui?
Lui parler?
Non.
L’écouter.
Elle et lui sont pareils.
Quoique différents.
Ses sentiments à elle brûlent et disparaissent.
Et elle en souffre.
Lui, dit qu’il n’a pas de cœur et donc pas d’émotions.
Pourtant il souffre.
Et il hait Isashi.
L’ancien.
Celui qui l’a sauvé, élevé durant ses premières années.
Celui à qui il ressemble tant à présent.
Elle ne croit pas qu’il ne ressente rien.
Juste qu’il n’écoute pas.

Et qu’avait-elle appris d’Osamu?
Elle le connaissait fier, fort de sa tradition.
Mais celle-ci semble avoir été lourdement altérée.
Et ses principes ont peut-être été tronqués.
Un apprentissage dans le sang et les larmes aurait-il été meilleur que celui qu’il a reçu?
Celui élagué, domestiqué qui les a protégés son frère et lui?
Cet héritage dissimulé n’était peut-être pas ce à quoi il s’attendait.
Impossible de savoir comment le guerrier va réagir à cette expérience.
Elle ne le connaît pas assez.
Ni lui, ni aucun des autres.
Juste Chieko.

Pourquoi ?
Avant ils étaient eux.
Mais maintenant «eux», c’est plus que ce qu’elle voyait avant.
Qu’est-ce qui a changé?
Eux?
Ou elle?
Avant les autres étaient ce qu’ils représentaient pour Chieko.
Maintenant Kagome les regarde par elle-même.
Parce-qu’elle regarde enfin autour d’elle.

Chieko l’a éblouie.
Elle était celle qui voit et pense.
Celle qui sait et a une raison d’exister.
Et Kagome était son ombre, son reflet.
Mais elle a découvert qu’elle est plus que ça.
Elle a appris qu’elle avait été conçue et façonnée dans un but.
Qu’on lui avait mentit presque toute sa vie.
Mais quand elle a enfin appris la vérité elle a compris.
C’est elle qui choisit.
Elle n’est pas qu’un outil.
Elle est Kagome.
Et on ne peut pas lui imposer des chaînes dont elle ne veut pas.

Mais elle n’en veut pas à Kamaji.
Quand elle le retrouvera, elle écoutera ses raisons.
Et si elles ne lui conviennent pas elle tiendra sa promesse.
Promesse de laver dans le sang l’affront fait au corps d’une enfant.
Pourtant elle se sent déjà d’accord avec ce qu’elle en a vu.
Pas avec les moyens, ni avec la façon.
Mais elle pressent que le pourquoi du projet est capital.
Et qu’elle y adhère instinctivement.

Quand à qui est son père…
Elle n’a pas de doute.
Elle porte la flamme et les écailles de son père.
Elle est Kagome Kohaku fille héritière de Shinozuke Kohaku et d’Hayame.
Et son géniteur, son sensei à qui elle doit son éducation, pour important qu’il soit pour elle, ne remplacera pas le lien de l’âme qui fait d’elle la fille de son père.

Kagome était surprise.
Elle se découvrait une force d’âme et une assurance qu’elle ne soupçonnait pas chez elle.
C’était la seconde fois qu’elle ressortait indemne d’un événement qui s’était révélé pénible pour ses compagnons. Apparemment, ce n’était pas seulement son corps qui pouvait se remettre des pires traumatismes.Son esprit semblait avoir la capacité d’accepter des choses qui auraient dû en dévaster d’autres. De regarder le monde qui l’entoure et d’en prendre son parti.
D’expérimenter l’inattendu et de poursuivre sa route sans s’y attarder.
De choisir son destin en dépit des forces qui l’entourent.

Mais qu’est-ce que cela impliquait?

« Bonjour Kagome. Comment te sens tu après nos épreuves d’hier?»

La voix l’arracha à ses pensées. Elle tourna la tête et vit qu’il s’agissait d’Isashi.
Le jeune homme se servait une tasse à la théière qui était restée au chaud.
« Ho. »

Il lui avait demandé quelque-chose?
Ha oui, comment elle se sentait.

«Bien, beaucoup à penser. Principalement des choses que je ne peux pas laisser suivre leur cours.»

Isashi était en train de s’asseoir en face d’elle. Elle scruta son visage, difficile de dire s’il avait réglé son cas de conscience ou s’il se donnait une contenance. Il paraissait détendu.
« Et toi ? »

Il prit le temps de boire une gorgée de son thé, durant laquelle Kagome ne le lâcha pas du regard, avant de répondre.

« J’ai pu tirer certaines choses au clair, notamment des doutes que j’avais sur les visions. Apparemment tous les événements du passé dont nous avons été témoins se sont réellement produits.
Du coup ça pose de nouvelles questions, sur mes parents biologiques par exemple. Et bien sûr ça change la vision que j’ai de mon ancêtre, même si ce qu’il a fait est douloureux je comprends mieux ses choix.
Mais malgré tout ça ne change pas mon passé avec les parents qui m’ont élevés, ni la famille qui m’a vu grandir, ou mes liens avec Jun. En conséquence je pense que c’est une expérience plutôt positive. »

Il semblait plus serein qu’elle ne l’aurait cru possible aprés sa réaction de la veille, mais elle ne pouvait que partager son point de vue sur le passé. Il ajouta:
« Ce que tu m’as dit quand nous étions là-bas… Que je pouvais trouver, ou créer mon âme par moi-même ça résonne en moi maintenant et cela a du sens. Alors merci Kagome.

Et il ponctua sa phrase du pâle sourire. Oui, peut-être bien qu’il avait plus d’émotions qu’il ne voulait bien l’admettre. Et s’ils en avaient appris plus sur leurs passés respectifs, cela n’allait pas pour autant les changer radicalement. La jeune femme hochait la tête

« Nous sommes qui nous sommes. Et personne ne pourra nous enlever cela, peu importe les efforts. »

Mais pour Isashi cette conversation ne faisait que commencer.

« Par ailleurs, et tant qu’a parler de changements… Ton passage dans cet endroit a déjà eu des conséquences visibles sur toi, et pourtant tu songe à changer encore d’autres choses… Des chose que « tu ne veux plus laisser suivre leur cour? » »

Le guerrier semblait inquiet pour son amie, que voulait-elle dire ? Vivait-elle vraiment aussi bien qu’elle semblait vouloir le laisser paraître son expérience récente et les révélations sur ses origines?
Elle le corrigea :

« Ce n’est pas que je ne veux plus, juste que je ne peux plus. »

Kagome s’interrogea un instant, faisant tourner sa tasse entre ses mains. Pouvait-elle vraiment confier tous ses sujets de réflexion à son ami? Même sa résolution d’éliminer son frère s’il avait l’intention de s’en prendre à sa maîtresse? Et si telle était le cas arriverait-elle à exprimer ses pensées clairement?
Sans rentrer dans les détails, elle voulait partager ses récentes réflexions avec lui.
«Je suis comme je suis, et mon passé est inchangé. Je ne suis pas sûre de ce que ça implique, ni de ce que je pourrais devenir, mais je sais ce que je veux.»

Malgré que ce désir soit encore informe, elle sentait qu’elle devait aller à sa rencontre pour avancer. Même si…
«En revanche je ne peux pas continuer à voir le monde, ou même à vivre uniquement à travers Chieko.»

Isashi prit le temps de boire un peu de son thé avant de demander :

« A quoi penses-tu précisément ? »

« Je l’aime, rien ne pourra changer ça. Tout comme j’agirai toujours selon ce qu’elle désire, quoi qu’il m’en coûte. Mais je dois vivre ma vie si je veux pouvoir gagner en force et en détermination, prendre mes propres décisions. »

Elle chercha rapidement un exemple.

« Je sais par exemple qu’elle condamne les actes de mon maître. Mais je sens que la raison derrière ceux-ci pourrait valoir la peine d’être défendue. Quoi qu’elle en pense, je veux connaître ses raisons avant de le juger. »
Une pensée ironique lui vint, Isashi avait dit quelque-chose de similaire au début de leur conversation, elle ajouta donc en portant à ses lèvres sa tasse de thé, froide depuis un moment:

« Qui sait, peut-être qu’alors moi aussi je comprendrai pourquoi il a agit ainsi. »

Isashi était inquiet des propos de Kagome. Après ce qu’ils avaient vu, pouvait-elle réellement espérer qu’il y ait une raison valable à ces actes? Ou se raccrochait-elle juste à un vague espoir? Il choisit un approche en douceur.

« C’est raisonnable de vouloir comprendre avant de le juger, je suis bien placé pour savoir que de se fier à notre seul point de vue sur les choses peut-être la source de conclusions biaisé. Néanmoins, ses actions semblent clairement tournées vers les forces obscures… Crois-tu vraiment qu’il y ait des raisons valables qui puissent justifier ses actes? »

Est-ce que Kamaji avait agit ainsi sur l’injonction d’une entité supérieure? Ou pour servir un grand dessein? Ce genre de considérations dépassait largement Kagome néanmoins elle connaissait son maître, malgré tout ce qu’il lui avait caché. Elle ne le pensait pas capable d’avoir menti complètement sur sa nature, c’est pourquoi elle voulait obtenir les raisons de la bouche de l’intéressé.

« Je ne prétends pas comprendre les forces qui gouvernent notre monde. Mais tu as toujours été plus intelligent que moi, alors est-ce que selon toi quelqu’un qui fait des plans aussi longtemps à l’avance, avec une telle minutie pourrait avoir agit sans raisons ? »

Elle admettait volontiers que d’autres pouvaient comprendre des choses qui lui échappent. Son monde a elle était composé des vérités qu’elle pouvait voir, toucher, éprouver. Mais Isashi était différent. Guerrier, artiste, magicien et philosophe il pouvait très bien voir un détail ou une logique qu’elle était incapable de discerner dans toute cette histoire. Son histoire.

Même si son expression restait la même, Kagome attendait donc avec une ferveur quasi religieuse l’opinion du jeune homme de l’autre côté de la table.

« Bien entendu, il doit avoir ses raisons et au vu de sa puissance, et du temps qu’il a consacré à la réalisation de son projet, il est impossible qu’il n’ait pas un objectif très précis en tête. C’est cet objectif qui est la seule chose qui nous reste à découvrir. Néanmoins, même les meilleures des raisons ne pourront rien enlever à l’horreur de ce qu’il a commit.»

Il parlait avec assurance, d’un air docte, mais Kagome était déconcertée : Isashi admettait qu’il ne comprenait pas les motivations de son maître et pourtant il maintenait son jugement. Est-ce qu’il n’y avait vraiment aucune excuse à ce qui lui avait été fait? Aucune raison?
Le guerrier-érudit poursuivait :
« Au fond on en revient encore à la même question : Faut-il juger les actes, les intentions, les deux simultanément ou considérer les intentions comme un facteur atténuant ou aggravant des actes ? »

Kagome n’entendit que très distraitement cette dernière phrase. Elle s’abîmait dans le trouble qui s’emparait d’elle.
Pourquoi quelqu’un d’aussi instruit et sage qu’Isashi condamnait son maître sans regarder à deux fois?
Pourquoi était-ce le cas de chacun de ses compagnons?
Pourquoi ses propres sentiments sur le sujet différaient-ils?
Quand elle avait appris ce qu’on avait fait subir à l’enfant qu’elle était, sa première réaction avait été de chercher la vengeance et donc les responsables.
Puis quand elle avait appris les événements corollaires à ce qu’elle avait vécu, elle s’était tempérée.
Elle sentait qu’il y avait un autre niveau de vérité derrière toute cette histoire.
Une raison qui pourrait peut-être être suffisante à ses yeux pour justifier ce qui avait été fait.
Mais ses compagnons semblaient juger qu’ils en savaient assez pour arrêter leurs jugements.
Pourquoi était-elle différente ?
Était-ce parce-qu’il l’avait formée ainsi ?
Parce qu’il s’agissait de son maître?
Parce-qu’elle était de son sang ?
Et si c’était ça ?
Lentement, comme on parle quand on est encore à moitié endormi, elle exposa son idée.

« J’imagine… que c’est peut-être parce-qu’il n’est pas humain. En tout cas pas plus que moi. Peut-être qu’il ne juge pas ses actions selon la même échelle que toi et les autres.»

Les sourcils d’Isashi étaient froncés, presque à se toucher. Il n’aimait pas du tout les changements qu’il constatait chez son amie. Le fait qu’elle s’identifie autant à son géniteur, le fait qu’elle semblait réellement ne pas voir la limite morale qu’avait franchie celui-ci, et surtout le fait qu’elle ne semblait pas éprouver d’émotions quand à tout ceci. Lui se les était vues arracher, suite à un choix qu’il avait fait mais elle n’avait aucune raison d’être ainsi. Sauf si les changements opérés en elle n’étaient pas seulement liés à son apparence… Il essaya de la rassurer, de la conforter dans sa nature humaine.

« Notre humanité n’est pas seulement biologique. Elle est liée à nos comportements. Ce sont les choix que nous faisons qui élèvent ou au contraire dévaluent notre humanité. Au final qu’elle que soit notre constitution, ou nos origines, chacun décide de ce qui est vraiment important pour lui. Et cela vaut pour toi aussi.»

Un frisson parcourut le corps de Kagome. Sa maïtresse lui avait clairement ordonné de se considérer comme humaine, mais elle s’était laissée aller à évoquer sa nature non-humaine.
« Je n’aurai pas dû dire ça. Chieko a été claire là dessus...»

Pourquoi avait-elle baissé sa garde?
«C’est peut-être parce que tu es comme moi. »

Oui Isashi n’avait plus totalement le comportement d’un humain, c’était peut-être pour ça qu’elle se sentait en confiance avec lui, qu’elle pouvait se confier à lui.
«Peux tu oublier que ce sujet à été abordé? »

Isashi parut presque soulagé de voir une réaction chez la jeune femme. Il sourit et acquiesça :
« Ne t’en fais pas, ce que tu dis restera entre nous. Et je crois que je comprends ce que tu veux dire. Après tout le monde est vaste et mes références ne sont pas celles d’êtres divins ou démoniaques. »

Puis plus sérieusement :
« Mais pour en revenir à ce que nous disions : Qu’est-ce qui comte pour toi, et comment vas-tu le protéger? »

Kagome était soulagée, elle ne s’était pas trompé sur la nature d’Isashi, il la comprenait. Elle étudia sa question mais, rapidement, secoua la tête.

« Ce n’est pas si simple comme question. Je ne sais pas pourquoi l’on m’a créé, et en conséquences je ne suis pas sûre de pouvoir différencier ce qui m’appartient réellement de ce qui a été implanté en moi. Mais j’ai une fonction, et une identité. Je n’ai pas besoin de plus pour le moment. Je sais que je veux savoir les raisons de mon maître, une fois que j’en serai là: j’aviserai. »

Oui, a quoi bon se torturer pour des choses dont elle ne pouvait pas avoir de certitudes ?
Elle connaissait la prochaine étape, d’ici là il n’était pas utile de dépenser son énergie à brasser de l’air.
Isashi poussa un léger soupir.

« Je pense que nous somme tous créés d’une certaine manière. Mais lorsque nos parents ont choisi de rejeter des traditions qu’ils jugeaient dépassées, ils nous ont transmit un message fort: Chacun est libre de choisir ce qu’il veut-être. Je veux croire que c’est une réalité. Mais je comprends ton raisonnement. Nous pourrons reprendre cette conversation quand tu auras plus d’informations sur les raisons de Kamadji. »

Le silence s’installa.

Kagome était songeuse, oui Isashi et elle présentaient des similitudes. Et elle se sentait en confiance avec lui, comme si l’absence de son cœur le rendait plus compréhensible pour elle. Peut-être que lui pourrait comprendre ce qu’elle vivait depuis que le brasier brûlait en elle quand les autres qui vivaient leurs émotions «normalement» en étaient incapables…
Cela faisait maintenant un moment qu’elle sondait ses yeux, sa tête s’était légèrement inclinée sur un coté tandis qu’elle réfléchissait, lorsqu’elle demanda enfin:

« Est-ce que tu penses que tes émotions sont vraiment hors d’atteinte ? »

Son ami prit le temps de la réflexion avant de répondre:

« Je pense que lorsque mon ancêtre m’a débarrassé de mes émotions parce qu’elles étaient une entrave qui m’empêchait de voir ce qui était réellement important dans notre situation, et donc de progresser, il m’a enlevé mes émotions existantes. Néanmoins, il est possible que le mécanisme de production des émotions soit toujours fonctionnel. De plus, et même si je ne me sens pas encore prêt, je sais que je pourrai les récupérer quand le moment sera venu. En cela je crois qu’on peut dire qu’elles ne sont pas hors d’atteinte, juste mises à l’écart. Sous bonne garde. »

Kagome hochât la tête. Oui, si quelqu’un pouvait peut-être comprendre sa situation ce serait lui.

« C’est ce que je me disais. On est pareils, mais différemment. »

Le souvenir de la nuit ou le brasier s’était allumé en elle lui revint.
Tristesse, regrets, peine… Tout était tellement présent, tellement fort.
La force de l’émotion débordait le brasier.
Elle remontait jusqu’à son visage tandis qu’elle expliquait :

"Depuis que j'ai retrouvé la petite Kagome, celle dont je vous ai parlé pendant l'épreuve, je n'arrive pas à garder mes émotions. Ce n'est pas que je ne ressens rien, c'est plutôt qu'elles se désintègrent presque aussitôt...
Alors je pense que je sais ce que ça fait de se rendre compte qu'il te manque quelque chose d'important par rapport aux autres… »

L’image qu’elle avait donné à Chieko lui revint en mémoire.
Un léger sourire.

« Comme si le monde était une salle de banquet et que tu t'éloignes petit à petit dans la nuit et le froid."

Espoir.
Comme une bûche supplémentaire ajoutée sur le brasier,
L’ensemble est trop important, même si la tempête monte pour pouvoir suivre.
Elle se remplit plus vite qu’elle ne se vide.

"Tu connais cette impression n'est-ce pas?"

Son regard brille, elle est suspendue aux lèvre d’Isashi.
Il acquiesse, répond.
Joie.

« Oui. Ce vide nous différencie et nous sépare des autres. Mais le vide par nature est destiné à ne pas rester vide bien longtemps.»

Espoir, encore.
Confiance.
Courage.

Il poursuit

« Pour ma part j’ai aussi récupéré une partie de moi-même dans le processus d’hier. »

Une énergie sombre, mauve et crépitante se matérialise au-dessus de sa main.
Surprise.

« Si tes émotions se dispersent, ce que tu es encore capable de les générer, et donc que ta personne existe pleinement. »

Hochement approbatif de la tête de Kagome.
Attente.
Impatience.
Excitation.

« Il va te falloir tu temps pour intégrer la Kagome que tu as retrouvé, et trouver un moyen d'aménager une place pour elle et pour toi, et idéalement de garder le meilleur de vous deux.»

Incompréhension.
Désaroi.
Déception.
La tempête s’intensifie.
Rage.
Frustration.
Elle secoue la tête.

«Non ce n’est pas ça ! »

Difficile de trouver les bons mots quand le maelstrom hurle à l’intérieur et qu’elle est agitée d’un flot d’émotions qui vont et viennent. Elle en a presque les larmes aux yeux.

" Je sais que mes sentiments sont là.
Mais s'ils ne sont pas forts, extrêmes même, il sont happés. Brulés. Consumés. »
Détresse.
« C'est pour ça que j'ai dit qu'on était différents. Mais on est pareils, nos émotions sont juste en dehors de notre portée."
Les émotions décroissent.
Puis meurent.

Soupir.
Acceptation.
"Ce n'est pas facile à expliquer. Même Chieko n'a pas vraiment compris quand j'ai essayé de lui en parler...
Je ne suis pas sûre moi-même mais…"

Elle change de position.
Peut-être qu’une autre approche…

"Tu sais que par moments je vois le monde différemment, on en a parlé avec Rahmu pendant le repas, je discerne des remous... Des flux autour des choses. Et je sais que quand ce brasier qui brûle en moi est au plus fort, je suis au centre d'une vraie tempête. Mais quand mes émotions tombent en cendre et que cette flamme s'éteint tout redevient calme. Je ne sais pas ce que c'est au juste mais j'ai l'impression que ça a toujours fait partie de moi. Seulement depuis que ça s'est déclenché il y a quelques jours je n'ai aucun contrôle dessus."

Les mots ne sont pas clairs, ils ne disent pas ce qu’elle veut qu’ils disent.
Nouveau soupir.

« Je sais que c’est étrange, surtout présenté comme ça. »

Isashi prend sa main par dessus la table. Rassurant.

« Je comprends ce que tu ressens. La mission que nous nous sommes donnés est aussi une quête initiatique, pour chacun de nous.Nous en apprenons plus sur nous-même. Nous testons nos motivations, nos limites. Nous découvrons notre potentiel. Tout ceci est un processus dont chaque étape peut mettre à mal nos convictions, mettre à nu des fragilités… Mais nous avons la chance dans ce voyage de pouvoir compter sur la compréhension et le soutien du groupe. Nous ne sommes pas seuls, et nous avons su rester unis malgré les épreuves. Le lien que tu partages avec Chieko-sama peut te guider en cette période troublée. Fais lui confiance.»

Mais c’est de toi dont j’ai besoin.
Si tu ne me comprends pas, toi qui est si semblable à moi, qui le pourra?
Aide moi.

Kagome garde le silence un long moment.
Il ne peut pas l’aider.
Elle est seule…

Mais elle ne se sent pas le cœur de lui montrer ce qu’elle ressent.
« Sans doute » sont les seuls mots qui lui viennent.

Puis elle libère sa main, finit sa tasse et se lève en disant:
« Les autres ne vont sans doute pas tarder. Mais je te remercie pour ton écoute. »
Au moment de passer la porte, elle se rend compte que cette conclusion ne serait bonne pour personne. Elle pose la main sur le chambranle, tourne la tête vers Isashi et ajoute:
« Si tu as besoin de parler à quelqu’un, ou juste d’un peu de compagnie, n’hésite pas à venir me trouver. »
Elle lui sourit. Elle sait bien feindre les sourires maintenant, malgré son vide interieur.
Il acquisse, se servant une nouvelle tasse de thé.
« Merci Kagome. C’est toujours un plaisir de discuter avec toi. »

La servante incline la tête en remerciement du compliment, puis elle s’engage dans le couloir encore obscur.
Seule.

Ils avaient repris la route depuis un bon moment déjà. Derrière eux le temple de Rahmu s’éloignant dominait encore la plaine de sa hauteur. Perdue dans ses réflexions, Kagome ne prêtait guère attention au paysage. Elle avait cru qu’Isashi pourrait l’aider ou du moins comprendre ce qu’elle traversait, mais elle s’était apparemment trompée. Elle n’en concevait aucune rancœur, juste un profond sentiment de solitude. Sentiment encore renforcé par sa décision de se détacher un peu de sa maîtresse. Chieko qui durant la nuit s’était apparemment coupée les cheveux. La servante aurait-été bien en peine d’expliquer pourquoi, mais c’était apparemment important pour sa compagne et après tout c’étaient ses cheveux. De plus même si ça la changeait, Chieko restait Chieko.

C’est en reportant son regard sur le groupe qui la précédait qu’elle remarqua que Jun s’était aussi un peu laissé distancer. Peut-être était-ce l’occasion de lui parler à l’écart des oreilles indiscrètes. Elle tenait à ce qu’il sache qu’elle le pensait capable d’éviter le destin qu’ils avaient entraperçu, à lui dire qu’elle lui ferait confiance jusqu’à la dernière seconde. Alors elle ajusta sa vitesse sur la sienne et après un instant à se demander comment aborder le sujet questionna, assez bas pour ne pas être entendue des autres:

« Ça va? Tu te remets des épreuves de Rahmu ? »

«Ça va. » Le jeune mage était pensif. « Pas mal de révélations pour lesquelles il faudra démêler le vrai du faux, surtout pour celles concernant le futur. » Puis comme réalisant tout d’un coup qu’elle se trouvait à ses cotés, il se tourna vers elle, soudain soucieux : « Mais c’est plutôt à toi, et à Isashi qu’il faudrait poser la question.»

Kagome était désarçonnée, elle ne s’était pas attendue à ce que la conversation prenne ce tour. Elle pensait s’enquérir de l’état de Jun après ce qu’il avait vécu, et lui s’enquérait d’elle et son frère ? D’autant plus qu’elle avait laissé un Isashi plutôt serein au terme de leur échange du matin… Avait-elle raté quelque chose? Une information ? Les yeux écarquillés par la surprise, la première chose qu’elle trouva à dire fut un naïf : « Pourquoi ? »

Pendant une seconde, le jeune homme sembla aussi désemparé que la jeune femme. Mais il reprit vite une contenance, expliquant: « Hé bien, vous avez tous les deux appris des choses qui remettent en question un grande part de ce que, jusqu’à présent, vous teniez pour acquis. Ce n’est pas rien, en général ça prend du temps pour assimiler ce genre de choses...»

« Ha. » Kagome hocha la tête. Il s’inquiétait encore pour eux, cela était plutôt bon signe pour l’avenir. Et ça expliquait aussi sa remarque précédente, Isashi n’avait pas dû avoir l’occasion de lui faire part de ses réflexions, pas plus qu’elle, maintenant qu’elle y songeait. Mais voulait-elle vraiment partager avec lui toutes ses circonvolutions depuis leurs sortie du nexus ?

« À ta place, je ne m’en ferait pas trop pour Isashi. Il lui a fallu un peu de temps mais il a fini par faire le tri dans tout-ça. Et il en est arrivé à la conclusion que rien n’a changé.»

Oui, après tout c’était la seule conclusion logique. Un passé que tu ignorais n’en demeurait pas moins le passé. Pourquoi le connaître aurait changé le présent ? Elle était légèrement étonnée d’avoir ce genre de pensée complexes aussi aisément. D’où lui venait cette facilité sur le sujet ?
« Quand à moi...»

Kagome avait besoin d’un temps pour comprendre. Pourquoi cela lui paraissait-il si naturel, si normal de porter un nouveau regard sur son passé quand, d’après Jun, elle aurait dû mettre du temps à l’accepter? Cela rejoignait plutôt bien ses réflexions du matin, avant qu’Isashi ne vienne s’asseoir à sa table.
« Disons que j’ai déjà reçu une sorte de préparation, il y a quelques jours,quand j’ai redécouvert les souvenirs de la petite Kagome. Et ce que j’ai appris pendant l’épreuve à plus été une conclusion, un dénouement, qu’un chamboulement. Bien sûr j’ai encore des questions qui restent sans réponses, mais je ne vois pas à quoi ça me servirait de les ressasser tant que je n’ai pas les moyens d’y répondre entre les mains. »

Elle avait parlé avec le plus grand sérieux, et la simplicité de quelqu’un qui énonce une vérité connue de tous. Aussi le rire de Jun la prit-elle de court une nouvelle fois. Qu’avait-elle dit de drôle?

« C’est rassurant d’entendre que tu es toujours égale à toi même. J’avoue que ça fait partie de ton charme.»

Alors c’était du soulagement ? Définitivement, Jun restait encore ce même bon vieux Jun, le même qui s’était inquiété d’avoir pu la brûler en voulant l’aider. Elle s’était inquiétée pour rien. Soulagée elle se laissa même aller à lui sourire, comme une enfant que l’on félicite pour son travail. Son camarade semblait moins morose qu’au début de leur conversation.

Mais c’est elle qui s’assombrit quand il ramena la conversation sur un autre terrain.
« J’espère que Chieko va bien également. Sa performance durant l’épreuve d’Osamu a dû la lessiver. »

Kagome se souvenait de la masse de chaleur qui s’était abattue, asséchant le lac de sang presque instantanément. Oui l’exploit avait été de taille, et devait avoir prit son tribu sur les forces de l’élue des Aeons. Pourtant…
La mine de la Kohaku était grave tandis qu’elle fixait le dos de sa maîtresse qui continuait de les distancer, juste là ou s’arrêtaient ses cheveux fraîchement coupés.

« Ce n’est pas seulement ça. À chaque nouvelle épreuve, elle se rajoute un poids de plus en plus grand sur les épaules. J’espère vraiment qu’elle saura s’en débarrasser avant qu’il ne soit trop tard. »

C’est une conversation qu’elles avaient déjà eu, et Kagome se rappelait clairement sa décision à ce sujet. Elle ne reculerait devant aucun moyen pour la préserver, et ce même si elle devait sauver la Daishoji de sa propre générosité. Même si elle devait la haïr pour ça pour le reste de leurs vies. Sa résolution était ferme, et pendant un instant elle croisa le regard d’Hogosha qui cheminait aux côtés de sa sœur. Peut-être comprenait-il également le danger que la bonne volonté de Chieko représentait.

« Tout ce que je peux faire c’est espérer et faire de mon mieux pour l’aider à avancer. »
En attendant de ne plus avoir le choix.

Elle avait parlé plus pour elle-même que pour Jun, que plongée dans ses pensées elle avait oublié l’espace d’un instant. Son éclat de voix la ramena bien vite à la réalité.
« C’est ce que nous tentons tous de faire! Je sais bien que Chieko et toi avez un lien particulier, mais ne nous excluez pas pour autant ! »

Kagome secoua la tête, se molestant mentalement. Elle avait décidé d’arrêter de vivre par le biais de Chieko et pourtant…
« Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Excuse moi. »

C’est vrai, ce serait injuste de ne pas considérer les sentiments de leurs amis. Tous partageaient un lien fort, et tous étaient dévoués. Au nom de quoi avait-elle le droit de se considérer comme la plus à même de veiller sur elle? Et malgré tout…

« Je sais que chacun de nous veut l’aider. Mais je ne peux juste pas vivre sans elle… Et tout ce qui peut lui causer de la peine ou lui faire du mal m’obnubile, au point que je me sens obligée d’y apporter une solution, personnellement. »

Oui c’étaient les faits. Le schéma contre lequel elle sentait devoir lutter pour atteindre son plein potentiel. Elle ne pouvait plus se laisser porter par la vision de Chieko. Si elle voulait grandir, se développer, elle devait sortir de ce doux cocon. Mais le mage à ses cotés semblait amer, bougon même.

« C’est quelque chose que Chieko et toi avez en commun, même si votre sujet d’obsession n’est pas le même. Vous ne voulez blesser personne, c’est plutôt l’opposé, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de rejeter les mains que l’on vous tends. A plus forte raison si ce sont des gens qui vous sont proches qui vous les tendent. »

La jeune femme était contrite. Elle lui avait fait de la peine, encore une fois, sans s’en rendre compte. Oui, il avait sûrement raison, elle agissait exactement comme Chieko vis-à-vis de ceux qui lui étaient chers en voulant absolument porter seule le poids de ses obligations.

« C'est peut-être que notre éducation à été trop semblable… » Était-ce, vraiment étonnant qu’elle montre les même défauts que sa maîtresse après une vie passée à devenir comme elle? « Mais j'entends ce que tu dis. Et je me suis rendu compte que mon univers ne se limitait pas à Chieko. Vous m'êtes tous cher, et je pense que je donnerai ma vie sans hésiter pour chacun de vos rêves. »

Elle était sincère, chacun d’entre eux elle l’aurait suivit aveuglément, et jusqu’au plus profond de l’enfer s’ils le lui avaient demandé. Et elle réalisait l’ampleur de la tache qui l’attendait, veiller sur quatre personnes n’était pas comparable au fait de veiller sur une. Mais elle ne tremblait pas : cette épreuve elle la surmonterait parce que c’était ce qu’elle avait décidé. Après l’avoir regardée un instant Jun se radoucit: « Désolé, ce doit être la fatigue. Je n’aurai pas du te parler comme ça. J’ai dû te paraître dur. »
Il reprit, le regard porté par delà le groupe de leurs camarades.
« Je sais bien que tu ferais tout pour nous protéger, tu nous l’as déjà prouvé à de nombreuses reprises, mais tu n’es pas juste un bouclier-humain.» Le mage appuya particulièrement sur ce dernier mot.
«Nous avons tous des raisons de faire ce voyage. C’est surtout pour soutenir Chieko bien sûr, et si au passage nous pouvons sauver cet empire, qui ne le mérite peut-être pas, pourquoi pas. Mais il y a une chose primordiale que nous ne devons pas perdre de vue...»

Son compagnon irradiait de conviction en plongeant son regard si particulier dans les yeux de Kagome.

« Nous ne pouvons pas nous permettre de mourir en route. Si l’un d’entre-nous devait ne pas parvenir au bout de ce périple, c’est tout notre groupe qui s’effondrerait. Et c’est valable pour toi aussi Kagome. Ne jette pas ta vie comme si elle ne valait rien. »

La jeune femme avait un impression étrange. Est-ce que cet homme qu’elle connaissait depuis l’enfance avait toujours possédé cette aura? Elle n’avait jamais douté de ses qualités, et entre toutes encore moins de son intelligence. Mais quand il disait ces mots, qu’il avait cette attitude, ce regard... cette vérité s’imposait à elle comme la seule valable. Et il y avait autre chose.
Quel était ce sentiment?
Mais déjà le mage continuait.

« Tu parlais de nos rêves, mais toi aussi tu as le droit de réaliser les tiens. » Et détournant le regard: « Je suis sûr que tu en as. »

Le phénomène s’estompait, elle retrouvait le Jun qu’elle avait toujours connu. Soulagée, un peu mal à l’aise de cette expérience qu’elle n’avait pas compris Kagome émit un léger rire nerveux, un peu comme une quinte de toux. Ses rêves hein.

« Je ne sais pas Jun. »

La vérité, si simple, paraissait presque bête quand elle l’avouait comme ça.

« J’ai été façonnée de nombreuses façon, pour servir un but que je ne connais peut-être même pas. En fait je réalise tout juste que j’ai une existence, une volonté propre. Alors est-ce-que j’ai un rêve ?

Qu’est-ce qu’elle voulait, elle ?
Qu’est-ce qu’elle souhaitait plus que tout ?
Quel serait ce rêve qui n’appartiendrait qu’a elle ?

«Peut-être, mais je pense que si c’est le cas, je n’en ai pas encore pris conscience. »
Encore un sujet sur lequel il faudrait qu’elle prenne le temps de songer.
«Mais je t’en prie, ne t’excuses pas. Ton jugement a toujours été avisé et ce que tu as dit est juste. Je crois qu’il m’est plus facile de voir les défauts de Chieko que les miens. »

Un profond soupir. Encore une fois, elle en revenait au même constat.

« Je pense que c’est parce que mon attention s’est toujours portée sur elle plutôt que sur moi, de la même façon qu’elle pense aux autres avant elle-même parce que c’est ce qu’elle a toujours fait. Et pourtant...» Oui,malgré tout il y avait cette sensation, cette force en elle qui l’appelait. « Je sens que je suis capable de plus. Tellement plus. Et même si j’ignore le comment, sans parler du pourquoi, je sais que je dois avancer.»

Avancer vers où, vers quoi ?
Et comment ?
Par où devait-elle commencer ?
Elle entendait presque sa voix intérieure lui souffler des bribes de réponse.
Quelque part, elle savait déjà.

« Je crois que j’ai besoin de comprendre qui je suis. Et pour ça, je dois exister pour moi-même. Me construire en tant qu’individu. Et je sais, maintenant, que je ne peux pas le faire sans me dissocier de Chieko. »

Laisser Chieko seule?
Non. Pas seule.

« Je peux le faire, parce que je sais que je peux compter sur vous. Comme ce satané lapin de Carbuncle, vous ne la laisserez pas se mettre en danger physiquement, mais je sais que contrairement à lui vous ne la laisserez pas non plus se perdre spirituellement.»

Jun, la regardai l’air pantois. Puis un sourire étira ses commissures, et il prit un air espiègle en demandant: « Qui êtes vous jolie demoiselle, et qu’avez vous fait de Kagome ? »

Kagome était presque vexée, même si elle aussi s’efforçait de dissimuler un sourire: « Pourquoi tout le monde me demande ce genre de choses dès que j’arrive à expliquer ce que je pense ? »

Puis le mage reprit son air sérieux et poursuivit:
« Plaisanteries mises à part, je suis soulagé et heureux que tu sembles enfin te soucier un peu de toi et que tu ne te contentes plus de ce rôle de simple outil que t’ont inculqués les parents. Pour un peu j’en serai presque reconnaissant à Rahmu de nous avoir fait passer ces épreuves.»

Puis il braqua à nouveau son regard dans celui de Kagome. Et elle put ressentir de nouveau cette sensation étrange, comme s’il dégageait quelque chose… Mais quoi?
«Si tu en as jamais douté, sache que pour nous tu n’as jamais été qu’un simple outil. Tu es Kagome. Un être humain à part entière. Une belle personne, avec ses forces et ses faiblesses. Tu es notre amie d’enfance.»
Et rompant le contact visuel, il s’éloigna à grands pas, ne lâchant entre ses dents serrées qu’a contrecœur une dernière phrase dont il avait peut-être espéré qu’elle se perdrait dans le vent : « Tu es la femme que j’aime depuis des années, sans avoir jamais osé l’avouer. »

Malheureusement pour lui, la Kohaku avait une excellente ouïe et le vent s’était tût.
Elle se figea, frappée par la révélation.

Foudroyée serait un terme plus juste.

Jun ?
L’aimait ?
Elle ?

Jun ?
L’aimait ?

Elle ?

Dans son coeur il n’y avait jamais eut qu’une place.
Celle de Chieko.
Mais si les choses avaient été différentes ?
Et si elle n’avait pas aimé Chieko ?
Son esprit n’arrivait tout simplement pas à assimiler l’énormité de l’information.
Le monde aurait été trop différent.
Ou l’était-il ?

Comment n’avait-elle jamais remarqué ?
Une foule de détails qui lui avaient toujours paru normaux prenaient désormais un tout autre sens.
Jun l’aimait.

Quoi ?

Elle avait l’impression que son esprit partait dans plusieurs directions opposée en même temps.
Elle se sentait tiraillée comme si chaque question sollicitait son attention.
Et en même temps elle se sentait couler, comme si la surface, le monde, s’éloignait d’elle.
C’est impossible.
Non, c’est tout à fait possible.
Mais, et Chieko ?
Les autres s’en vont.
C’est un homme bien.
Pourquoi maintenant ?
Peut-on le rejeter ?
Peut-on la rejeter ?
Il faudrait reprendre la route.
Laissez moi tranquille.
…
Elle...
Oui.
Après tout ce temps?
C’est étonnant.
Il était temps.
Je me permet d’insister, ils s’en vont.
Ho la barbe.
Non, il a raison. Il faut se remettre en route.
Navrée Kagome, pourrais tu reprendre le chemin?
Qui?
On a pas le temps pour ça bon sang! Allez en route.

Comme un automate, elle se remit en route. Ce n’était pas la première fois que son corps bougeait sous ce type d’injonction. L’Autre l’avait déjà poussée à agir quand elle était au plus mal, au bord de l’effondrement. Mais elle avait cru que cet Autre était la petite Kagome, enfermée en elle. Maintenant, elle se rendait compte que ça ne pouvait pas avoir été elle. Comment cette enfant aurait-elle pris les devant pour elle quand elle était à ce point brisée? Elle flottait comme en rêve. Autour d’elle les présences échangeaient. Cela lui était égal. Elle sentait la fournaise de son âme qui s’emparait de toutes ces émotions compliquées. Qui la soulageait. Elle aurait voulu rester là. Se rouler en boule, se blottir, et ne plus jamais devoir remonter. Elle voyait qu’elle rattrapait les autres mais elle n’avait aucune envie d’aller vers eux. Elle voulait rester seule. Juste avec le feu, et les ombres.

Allons, Kagome soit raisonnable.
Tu ne peux pas continuer comme ça.
Ce n’est pas digne de toi!
Qu’est-ce qu’on va faire?

En fait elle, n’était pas sûre de vouloir des ombres à la réflexion.

Allez vous en…
Ça suffit vous tous. Elle en a déjà assez vécu pour aujourd’hui pas la peine d’en ajouter encore.

Il y eut quelques contestations mais les ombres finirent par refluer.
Sauf une.

Voilà, repose toi.
Ne pense plus à tout ça.
Mais après, quand tu seras prête, reviens nous voir.

Elle se sentait comme dans du coton.
Dans une douce chaleur, légèrement étourdissante.
Elle demanda une nouvelle fois:
Qui?

Je suis Kyooyo.
Allons, va maintenant le monde extérieur t’attends.

Lentement, à regret, elle s’éloigna du feu pour regagner cette surface lointaine.
Elle se sentait vide. Vidée. Ne pas penser avait ses avantages.
Elle était pratiquement revenue à la hauteur du groupe.
Le regard de Jun, brièvement croisé, vite détourné.
Il semblait mal à l’aise.
Bah… Rien n’avait d’importance.
Tant qu’elle avait le ronflement de la flamme.
Gêne.
Remords.
Doutes.
Peur.
Honte.
Prends tout.
Brûle tout.
C’est ce que tu fais non ?

Elle était consciente.
C’était un bien grand mot…
Elle vit le paysage défiler.
Le soir elle accomplit ses tâches dans le camp.
Oui, elle fonctionnait.
Voilà, fonctionnelle c’était ça le bon mot.
Mais dés que quelque chose n’allait pas, si elle devait croiser Jun, ou Chieko, elle écoutait le brasier.
Tout s’envolait, se consumait.
C’était si simple.
Tant qu’elle aurait cette fournaise, elle n’aurait pas à régler ses problèmes.
Ni à souffrir.
Elle pourrait juste laisser tout ça être dévoré, et devenir un tourbillon.
Elle passait beaucoup de temps à regarder le flux.
C’était facile en fait.
Et quand elle regardait les dessins de son énergie, elle n’avait pas à regarder les autres.
Ni à leur parler.
Ni à penser.
Ni à sentir.

De temps en temps bien sûr il fallait parler.
Mais une des ombres venait lui souffler les réponses.
Comment faisait-elle avant?
Quand elle n’avait pas les ombres pour l’aider ?
Quand elle n’avait pas le feu pour se réfugier ?
Elle ne voulait pas se rappeler.
Ça devait forcement être moins bien.
Tout ce qu’elle voulait maintenant c’était être prêt du feu.
Et regarder les vagues autour d’elle.
Ne pas penser.
Ne pas sentir.
Si seulement elle pouvait se rapprocher encore du feu.
S’y réfugier toute entière.

Mais les ombres ne la laissaient pas faire.
Dommage.
Au feu le regret.
Mieux.
Au feu la satisfaction.
Blablabla…
Au feu l’ennui.
Voilà.
Juste le feu.
Et elle.
Et les ombres.

Les ombres qui se parlent beaucoup.
Elles sont inquiètes.
Elle s’en moque.

Ce n’est pas sain.
Non, bien sûr mais on ne peut pas la forcer non plus.
Qu’est-ce qui va se passer si elle reste comme ça?
Ça ne va pas durer! Elle est plus forte que ça.
Mais elle à trouvé une solution simple à tous ses problèmes d’un coup.
Ce n’est pas une solution. Juste une fuite.
D’autant que les autres aussi ont besoin d’elle.
Que faire?
Ne peut-on pas lui laisser un peu de temps?
Ils vont finir par le remarquer si ça dure.
Pire, nous pourrions la perdre.
Mais si c’est ce qu’elle veut…
Non !
Ce n’est qu’une passe, elle va se remettre.

Tellement inquiètes les ombres.
Irritation.
Au feu.
Tristesse ?

Pourquoi ?

Pourquoi a-t-elle mal?
Pourquoi elle ne va pas au feu?
Elle ne veut pas sentir.
Si triste.
Si peur?
Pourquoi peur ?
Et colère.
Et dégoût.
Et honte.
Et pitié.
Non.
Non.
Non.
Elle ne veut pas.
Pourquoi ça reste ?
Pourquoi elle doit sentir ça ?
Pourquoi ça ne va pas dans le feu ?
Il fait nuit dehors.
Elle a tellement mal.
Elle est agitée de hoquets.
Elle pleure.
Ses deux mains étouffent ses sanglots.
Pourquoi ?
Pourquoi est-ce qu’elle se dégoûte comme ça ?

Parce que tu es lâche.
Veule.
Désabusée.
Faible.
Inutile.
Égoïste.

Les ombres…
Ce sont les sentiments des ombres.
Elles ne la laissent pas les jeter dans le feu.
C’est trop dûr.
Je ne veux pas.
Je ne peux pas faire face à ça.
Les larmes continuent de rouler.
Pourquoi est-ce qu’elles ne comprennent pas?
Le feu peut la soulager.

Non.
Non.
Non.
Non.
Non.
Non.

Non?

Il est l’abandon du devoir.
Il te condamne à la solitude.
Il ne ressent rien.
Il n’est qu’une fuite.
Il ne peut que te perdre.
Il n’est personne.

Pourquoi vous me faites ça ?
Comment je peux sentir ça si c’est à vous ?

Parce que.
C’est à nous.
C’est à toi.
C’est un choix.
C’est nécessaire.
C’est ainsi.

Comment ça peut-être à vous si c’est à moi ?
Ou à moi si c’est à vous ?

Nous sommes unis.
Nous ne faisons qu’un.
Nous veillons les uns sur les autres.
Nous nous donnons force et courage.
Nous faisons partie de toi.
Nous sommes à toi.

A elle ?
Une partie d’elle ?

Qui êtes vous ?

Ganko.
Hasei.
Kyooyo.
Kakan.
Satori.
Shinme.

Et tandis qu’ils se présentent, ils s’avancent dans la lumière.
Enfin ce qui tient lieu de lumière.
Ou plutôt, c’est comme si l’obscurité refluait.
Elle les discerne, les perçoit.

Vous êtes moi?

Depuis toujours.
Nous avions peur que tu ne nous entendes jamais.
Nous ne voulons que ton bien.
Nous sommes une force sous tes ordres.
Une partie de ton corps et de ton esprit.
Nous sommes là pour te servir.

Pourquoi m’avoir éloignée du brasier ?

Nous nous sommes jurés de t’en protéger.
Si tu te consumes, nous serons aussi perdus.
Ça ne t’aurait causé que plus de souffrances à terme.
En plus tu faisais pitié à te morfondre.
Et cela avait assez duré.
Nous avons besoin de toi.

De moi ? Je ne sais même pas qui je suis. Ce que je suis.

La terre sous elle était froide. Elle se releva, s’assit.
Ce corps. Son corps, il était si familier et tellement étranger en même temps.
Elle était plus grande, plus fine.
Et en même temps elle se sentait dense qu’avant, plus nerveuse.

Nous croyons en toi, nous te suivront quelle que soit ta route.
Tant que tu restes fidèle à toi même, et donc à nous.
Nous t’aiderons à trouver les réponses que tu cherches.
Et nous te prêterons notre force.
Après tout c’est notre raison d’être.
Et nous sommes heureux de pouvoir te servir.

Tout cela était trop bizarre pour elle.
Enfin, en y repensant…
C’était peut-être justement parce que c’était elle que ce n’était au final pas si étrange.
Mais cela faisait quand-même beaucoup à assimiler d’un seul coup.
Elle se massa les tempes. Par ou commencer ?

Si je puis me permettre.
C’était Satori, qui s’était avancé (pour ainsi dire) dans le cercle de lumière, ou de sa conscience.
La pensée rationnelle est l’un de mes points forts. Puis-je t’aider à mettre de l’ordre dans tes pensées?

Au point ou j’en suis…
Parfait. Donc: tu as subis de nombreux changements au cours des dernières semaines. Et pas seulement sur le plan physique. Ton esprit, ta psyché, ta représentation de toi. Tous les niveaux de ton être ont été touchés. Logiquement, et comme l’ont souligné tes amis, cela aurait dû te bouleverser. Alors: Pourquoi est-ce que ça n’a pas été le cas?
…
Hé, si tu ne m’aide pas ça ne sert à rien. Réfléchit un peu.
A cause de la fournaise?
Exact! Enfin je suppose. Cette partie de toi. Enfin de nous. Mais je pense que c’est plutôt de toi puisque tu es nous mais que nous ne somme pas toi tout entiers. Bref! Tu as pris conscience de la « fournaise » au début de tout ceci. Et inconsciemment tu t’en es servi pour réguler tes émotions.
Mais c’était une erreur c’est ça?
Hé bien, pas au début en tout cas. Mais oui à la fin tu étais tellement parti en vrille que tu trahissais ta nature profonde, dont nous sommes une extension. C’est là que nous avons dû te ramener.
Je vois.

Kagome changea de position. Manifestement elle était de garde. Combien de temps avait-elle passé ainsi dans la brume, à se morfondre?
Je suis pitoyable.
Non. C’était à présent Kyooyo qui prenait la parole. Tu as du faire face à beaucoup de choses d’un coup sans y être préparée. Comme tout le monde ne cesse de te le répéter, tu es juste humaine.

Une humaine, très spéciale. Fit une Kagome, douce-amère.

Oui, spéciale. Mais qui compte pour ses amis.
« Bien plus humaine que beaucoup des personnes que nous avons pu croiser.
Tu ne détournes pas le regard face aux injustices et aux problèmes.
Tu te bats pour ce que tu chéris au plus profond de toi.
Tes sentiments sont purs et sincères. »
et aussi: «Tu n’as jamais été qu’un simple outil. Tu es Kagome. Un être humain à part entière. Une belle personne, avec ses forces et ses faiblesses.»
Pour ne citer que ces deux là.

Kagome pleurait de nouveau.
Ce n’étaient pas que des mots, c’étaient ses souvenirs.
Ses précieux amis, ses camarades. Comment avait-elle pu leur tourner le dos ne serait-ce qu’une seconde?
Comment avait-elle pu se montrer aussi égoïste?
Et tout ça pourquoi ? Parce qu’elle n’avait pas su gérer la déclaration de Jun ? Parce qu’elle ne savait plus ou elle en était dans sa vie? Parce qu’elle craignait de découvrir que son affection pour Chieko était quelque chose d’artificiel?

Ha.
Hasei avec ce soupir exaspéré prit à son tour le devant de la scène.
Si tu veux mon avis Kagome, et je vais voler une formulation de Satori : Ce n’est pas le moment de t’embarrasser la tête avec ce genre de question.Ce que tu ressens, pour l’un comme pour l’autre. Doit passer au second plan. Tu avais un projet : celui de découvrir qui tu es, et ce que tu désires. Même si je suis convaincu que nous avons besoin de notre lien profond avec les autres je dois te donner raison sur un point. Tant que tu ne sauras pas qui tu es, tu ne pourras pas savoir ce que tu éprouves réellement, ni avoir tes propres désirs ou rêves.
Alors range ces questions pour le moment elles ne feraient que t’encombrer. Et consacre toi entièrement à te réaliser en temps qu’individu. Ou accepte que tu n’as pas le contrôle et retourne vivre au crochet de Chieko, moi tout me va.

Tu n’es pas très regardant dis donc…

Sssssss. Ne me juge pas. Je vais là où j’en ai envie, quand j’en ai envie. Je peux me laisser porter par d’autres ou me battre pour ma liberté. Et je te met au défis de trouver quelqu’un de plus contrasté parmi nous.

D’accord, je ne voulais pas te vexer. Donc je devrais me consacrer à découvrir qui je suis. Comment?

Tu veux un défi? J’en ai un tout prêt pour toi après le laxisme dont tu as fait preuve.
C’était Kakan qui avait littéralement jaillit au milieu de ses réflexions.
Discipline un peu ces moshis qui te servent de corps et d’esprit. Sérieusement, c’est pathétique. Dés que tu croises un ennemi soit tu te fais balayer en un coup, soit tu perds un temps précieux à attendre qu’on te dises quoi faire. Prend exemple sur Osamu, ou Isashi. Eux ce sont des guerriers. Ils identifient la menace et se jettent à sa rencontre sans y regarder à deux fois. Et Zimzim-paf, c’est réglé en deux coups de sabre. Sérieusement dans l’état où tu es même si tu ne risquais pas de te faire avaler toute crue par la « fournaise », comme tu l’appelles, tu n’aurais aucune chance de faire appel à nous.

Comment ça?
Comment ça, comment ça ? T’as rien suivi ou quoi ? On est pas juste des voix dans ta tête, on est une partie de toi. Mais tu ne nous as jamais sollicité, et si tu veux mon avis, c’est pas demain la veille que tu y arriveras. Il faut une réelle gestion de ton esprit et de ton corps pour y arriver. Dans l’état actuel le seul truc que tu serais en mesure de gérer c’est ton petit déjeuner après digestion, et encore.

Dis-donc, je te trouves bien arrogant pour une voix dans ma tête.

Moi au moins je ne fuis pas devant mes problèmes.

Et d’où te vient ta grande connaissance du comment je dois mener ma vie ? De mon déjeuner ?

Hoho, mais c’est qu’elle a des crocs la petite. Dommage qu’ils ne te servent pas contre un vrai ennemis hein.

On règle ça quand tu veux.

Hahaha, voilà, ça ça me plaît déjà plus comme état d’esprit! Donc entraîne toi, trouve cette rage en toi, fais y appel au combat et on pourra discuter. J’ai confiance en toi gamine.

Logiquement tu dois avoir mon âge, et je n’aime pas tes manières. Mais je dois admettre que j’avais besoin qu’on me secoue un peu.

L’heure avançait et le froid se faisait plus présent. Elle devait avoir le dernier tour de garde, c’est toujours quelques heures avant l’aube que la nuit était la plus froide. S’entraîner hein. Maintenant qu’elle y repensait elle s’était contentée de pratiquer ses katas et ses exercices de renforcement et d’assouplissement comme une routine depuis longtemps. Elle avait décidé de s’entraîner avec Osamu, mais c’était plus souvent côte à côte que réellement ensemble qu’ils s’entraînaient… Tout à l’heure elle tenterait de voir s’il était prêt pour une autre approche.
Je préfère également te voir comme ça.

Ganko, c’est ça ?

En personne. Enfin si l’on peut dire. Je voulais juste être sûr que tu gardes bien en tête où est ton devoir. Quête de toi ou pas, tu es et demeure la servante de Chieko. Tu représentes le clan Kohaku. Et fait non-négligeable tu nous représente tous. Alors ne me donne plus à voir un spectacle aussi désolant que celui-ci. Ta quête personnelle me semble très futile et secondaire. Une pure distraction par rapport à ton réel devoir. Néanmoins, j’admets que sans elle nous n’aurions pas cette conversation. Il est donc possible qu’il y ait du vrai dans ton raisonnement. Mais soit assurée que si j’ai l’impression que tu frises une ligne rouge, ne serait-ce qu’une seconde, tu m’auras sur le dos pour le reste de ta vie.

C’est une menace ?

Non, plutôt une promesse. Si ta rectitude morale fléchit, ne serait-ce que d’un pouce, je t’imposerai la mienne. Et on ne parlera plus jamais de sornettes telles que « Découvrir qui je suis pour devenir qui je veux. » Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à remplir sa fonction simplement, sans plus.

C’est sûrement pour ça que je suis aux commandes et toi une part de moi. Je sais que nous pouvons être tellement plus. Mais ne t’en fais pas, nous sommes d’accord au moins sur l’importance du devoir.

À la bonne heure.

Cette « conversation » étrange avait épuisé Kagome, le soleil pointait ses premiers rayons. Elle rajouta du bois sur les braises pour faire repartir le feu. Tandis que les flammes se remettaient timidement à danser elle fronça les sourcils. Qu’est-ce qu’elle avait manqué ?
Et elle sût. Ou plutôt elle sentit un léger frisson dans un recoin de son esprit, et pendant un bref instant elle aurait juré avoir perçu un pincement dans son dos.

Shinme?

Oui maîtresse?
Timidement Shinme s’avançait dans sa conscience, comme à regret.
Que puis-je faire pour vous servir?

Tu n’as pas à t’adresser à moi comme ça, aucun des autres ne le fait.

Mais… Très bien. Comment dois-je vous appeler?

Kagome. Tu n’as rien que tu voudrais me dire? Si j’ai bien compris cela fait un moment que vous attendiez l’occasion de discuter avec moi.

Non Kagome-sama, je suis honorée de vous servir et je ferais de mon mieux, dans la mesure de me capacités pour vous donner satisfaction.

Oublie le -sama. Tu n’as pas à être aussi réservée avec moi. Après tout, nous formons un tout c’est bien ça ?

En effet. Vos capacités de compréhensions sont impressionnantes Kagome-sama.

Non vraiment, juste Kagome, et tu n’as pas à être d’accord avec moi sur tout.

Mais c’est que ce ne serait pas convenable. Je ne suis qu’une infime portion de vous. Je n’existe que pour vous servir. Comment pourrais-je prétendre vous traiter d’égale à égale ma Dame ?

Kagome se sentait lasse. Comment Chieko s’y était-elle prit pour briser la glace avec elle ? Et était-ce réellement un aspect de sa personnalité qui ressortait ainsi à travers Shinme? Si oui, que devait-elle comprendre ? Pour préserver son équilibre mental nouvellement retrouvé, elle évita de creuser le sujet trop profondément. Après tout, si ça lui convenait, elle pourrait probablement s’y habituer.

Fais comme tu veux.

Bien, maîtresse. Je me tiens à votre entière disposition si vous avez besoin de moi.

Vraiment très lasse…
Mais pourtant, tandis que le feu repartait et que le soleil se levait. Elle se sentait légère. Bien plus légère que depuis longtemps. Quand ses compagnons n’avaient pas pu l’aider, elle s’était crue seule face au monde. Mais elle réalisait enfin qu’elle n’avait jamais été seule. Même dans les pires moments. Même quand personne n’était là. Elle se sentait de nouveau elle-même et en pleine possession de ses moyens.

Aujourd’hui est le premier jour du reste de notre vie.
Et croyez moi nous allons en profiter.

Six oui lui répondirent en cœur.

Cela faisait maintenant presque une semaine qu’ils avaient décidé d’accélérer leur voyage grâce aux pouvoirs d’Osamu, ce qui leur faisait à la fois gagner du temps et leur permettait d’avoir d’avantage de temps «libre» puisque après chaque saut, il fallait trois heures au guerrier pour refaire ses forces mentales.
Ce temps ils le mettaient à contribution pour étudier (enfin certains d’entre eux) ou s’entraîner.

Si l’étude n’était toujours pas un des points forts de Kagome, elle compensait en redoublant d’ardeur à l’entraînement. Aujourd’hui, selon son souhait, la jeune femme se confrontait simultanément aux deux escrimeurs et si elle parvenait à leur tenir tête, elle ne pouvait pas s’accorder le luxe de les sous-estimer. Alors qu’Hisashi redoublait d’efforts dans ses assauts, Osamu feintait sur sa gauche. Elle pivota passant derrière la garde du premier pour désamorcer la manœuvre du second, mais se retrouva confrontée à un nouvel assaut d’Osamu, cette fois, qui avait repositionné son sabre là où elle se dirigeait à la dernière seconde. Elle para, plusieurs coups rapides en jurant intérieurement. Rien à faire, même quand il n’utilisait pas ses pouvoirs elle n’arrivait juste pas à s’habituer aux manœuvres d’Osamu.

Attention, sur ta droite!

L’avertissement de Kakan lui parvint un instant trop tard. Hisashi, profitant de son mouvement précédent et de l’assaut d’Osamu s’était glissé dans son angle mort en un éclair pour lui porter un coup de pommeau à la mâchoire. Elle sentit la vive douleur et entendit l’os craquer sous la force de l’impact qui l’envoya à terre, sonnée.

«Ça va Kagome? »

La jeune femme se ressaisit. Palpa brièvement l’endroit près du menton où le coup avait porté pour faire un état des lieux.
« Oui. C’est juste une fracture, mais je crois que ça veut dire qu’il est temps pour moi de faire une pause. »
Elle se releva, adressant un sourire à Hisashi, malgré la douleur que cela lui provoquait :
« C’était un joli coup. Je te le revaudrai tout à l’heure.»

Ce n’était pas sa première blessure du genre et ils savaient qu’elle mettrait moins d’une minute à s’en remettre, néanmoins il était plus sage qu’elle se repose un moment pour éviter d’accumuler les erreurs qui pourraient conduire à d’autres traumatismes, pour elle ou pour les autres. Elle salua donc ses deux compagnons et revint vers l’endroit où se trouvaient leurs tentes.

Ces derniers jours, elle avait gagné en confiance et détermination. Elle était plus à l’aise avec son corps et reprenait petit à petit l’habitude de défier la gravité quand l’envie lui prenait. En fait c’est le plus souvent loin du sol qu’elle trouvait la sérénité. Même si elle évitait soigneusement les questions concernant ses sentiments, elle ne pouvait pas vraiment prétendre que les choses étaient réglées. Jun évitait de croiser son regard, et elle en faisait autant. De même, elle s’efforçait de ne pas changer son comportement envers Chieko mais faisait de son mieux pour ne pas complètement se fondre en elle. Cet exercice était particulièrement difficile mais il lui semblait qu’il portait déjà quelques fruits. Ne serait-ce que la facilité croissante avec laquelle elle pouvait s’entretenir avec ces six voix dans sa tête.

Assise sur l’herbe en haut de la butte qui surplombait leur campement elle regardait les garçons qui poursuivaient leur entraînement en contrebas. Jun était plongé dans un livre un peu à l’écart, vers les tentes et Chieko était sans doute en train de s’affairer au repas. Le soleil descendait doucement et la scène prenait des tons de plus en plus chauds, même s’il leur restait sans doute encore plus d’une heure de jour.
Mais elle se détourna bien vite de ce tableau pour rejoindre son cercle intérieur, tout prêt du brasier.

Le brasier. Il avait plus des allures de feu de camp à présent qu’elle le tenait sous contrôle.

Tout va bien maîtresse?

C’était Shinme, la timide Shinme qui semblait se soucier uniquement de son bien-être. La moins intrusive de ses voix intérieures et pourtant la plus prévenante. Toujours prête à l’aider de son mieux. Sa simple présence au coin de son esprit suffisait à rassurer la jeune femme. Shinme avait besoin d’elle et acceptait cet état de fait, elle ne vivait que pour elle. Quand les autres avaient tous un avis à donner, une critique à formuler, elle se contentait de s’en remettre à son jugement, et cette confiance aveugle aidait Kagome à se sentir plus forte. Elle ne pouvait juste pas tourner le dos à quelqu’un de plus démuni qu’elle.

Oui Shinme. Je voulais juste faire un bilan avec vous.

Les cinq autres s’approchèrent du cercle.
C’est Kakan, comme souvent, qui prit la parole le premier.

Il ne t’a pas manqué l’Hisashi, qu’est-ce que tu attends pour lui rendre la pareille?
Tu sais très bien que ce n’était pas son intention, et que ça ne servirait à rien d’y retourner maintenant. Il faut que je souffle un peu si je veux progresser.
D’accord, d’accord. En tout cas c’est sûr que tu as gagné en assurance pendant ces derniers jours.

Et il est indéniable que cela porte ses fruits. Intervint Satori. Que ce soit à l’extérieur ou ici.

«Kagome ? »
Perdue dans ses pensées elle n’avait pas entendu Chieko approcher.
La Daishoji se tenait à quelques pas d’elle, hésitant à approcher comme une écolière qui voudrait remettre son premier mot doux à son amoureux, et elle semblait troublée.

«Oui Chieko? »
L’autre jeune femme resta là où elle se trouvait. Balançant légèrement d’un pied sur l’autre, elle cherchait ses mots. « Est-ce que tout va bien ? Je veux dire depuis l’épreuve de Rahmu ? »

Elle a senti que quelque chose avait changé.
Il faut que tu la rassures.
Tu dois revenir vers elle.
Non, il faut maintenir la distance.

Silence vous autres.

Chaque fois qu’elle s’approchait de Chieko, ou qu’elle se retrouvait face à Jun son cercle intérieur lui échappait complètement, chacun exprimant ce qu’il pensait être la seule solution possible. C’était la seconde raison pour laquelle elle avait essayé de limiter ces situations. Ce tumulte de six voix en elle ne l’aidait pas à analyser posément ce qu’elle ressentait.

« Non, ça va. »

Depuis l’épreuve de Rahmu hein… Oui elle avait été affectée elle ne pouvait pas le nier, c’est juste qu’elle avait d’abord choisi de ne rien ressentir.
Mais à présent, elle avait accepté ce qu’elle avait vécu dans le passé.
« Il m'a fallu un temps pour assimiler tout ce qui est arrivé ces derniers temps, mais je pense que ça va mieux maintenant. »
Sa fracture devait être totalement guérie à présent, elle se massa le coté du menton ou l’os avait été brisé pour s’en assurer. Oui, elle était comme neuve… Il semblait évident que ses facultés de régénération atteignaient de nouveaux sommets.
« Même si je n'ai pas encore tout compris, je crois que je suis sur la bonne voie. »

Oui, même s’il lui coûtait de garder ses distances avec Chieko, elle sentait que cela avait eu un effet positif sur elle. Elle sentait plus clairement vers quelle forme elle devait tendre. Mais maintenant que celle-ci se tenait juste là… Son regard glissa vers sa plus que sœur, hésitant une seconde avant de se fixer sur elle. Elle ne s’était pas enquise de ce qu’elle ressentait depuis un moment. En fait elle se forçait même à éviter de l’observer. Cela faisait presque une semaine qu’elles avaient quitté la caverne ou Chieko avait raisonné un démon et pris la décision de priver l’empire d’une véritable armée de morts vivants qui aurait pu leur faire gagner un temps précieux tout en limitant les pertes dans leur camp. Alors: résolution ou non, à présent qu’elle était là, il fallait qu’elle lui pose la question: « Toi, ça va? »

Chieko se redressa légèrement et détourna un instant les yeux avant de les ramener à leur position initiale. C’était un genre de tic, invisible pour les autres mais que Kagome connaissait bien, le signe qu’elle s’apprêtait à éviter de répondre à la question en noyant le poisson.
« Je pense que ce que nous avons vu va nous fournir des pistes effectivement. Nous allons pouvoir chercher des réponses à toutes ces questions. Même si nous ne savons pas si tout ce qui nous a été présenté est vrai, ça nous ouvre déjà beaucoup de pistes de recherche. J’espère sincèrement que ces informations te permettront de comprendre. De savoir la vérité sur tes origines et qu’elles te permettront de trouver la paix. »
Un instant la Daishoji porte son attention sur leurs compagnons en contrebas, et elle frémit. Lorsqu’elle poursuit sa voix est moins assurée: « Et je veux que tu saches que je te soutiendrai. Quels que soient tes choix. Quoiqu’il puisse se passer. »

Elle fronça ensuite les sourcils un instant. Résolue:
« Mais il faut que je sache : Est-ce que c’est à cause de ce qu’il s’est passé avec Rahmu ? »

Kagome était perdue, tout comme ses voix intérieures. Que voulait dire exactement la jeune femme? Est-ce que quoi était à cause de ce qu’il s’était passé ? Elle posa candidement la seule question qui pouvait se présenter à son esprit dans un tel moment: « Comment ça ? »

De nouveau le léger balancement d’un pied sur l’autre réapparut chez la jeune femme debout sur la butte. Tout chez elle était hésitant, sa voix, son regard, ses mains jouant l’une avec l’autre, tortillant ses doigts comme des ficelles qu’elle aurait voulu tresser. « Je… J’ai l’impression que… Enfin, que… Quelque-chose a changé. » Elle prit une profonde inspiration levant les yeux au ciel un instant cherchant le courage de poursuivre. « Que tu es plus… Distante.»
Le dire ne l’avait pas soulagée. Elle scrutait maintenant le visage de la Kohaku comme si elle pouvait à force y déchiffrer tout ce qu’elle avait vécu, ou pensé ces dernières semaines. Et bien qu’elle essaie de se montrer forte, elle mourrait de peur à l’idée de la réponse qu’elle pourrait lui donner.

Comme prévu, cela l’affecte dans une très forte proportion. Observait Satori.
La pauvre ne doit pas comprendre grand-chose à ce qu’il se passe pour Kagome. Soupirait Kyooyo
Il faut que nous la rassurions, que nous reprenions notre place auprès d’elle. Affirmait Ganko
Pas question! Nous faisons enfin des progrès ce serait trop bête de tout arrêter maintenant. Objectait Hasei.
On a qu’à tout lui dire, et on verra bien. Clamait Kakan.
Mais n’est-ce pas à notre maîtresse de choisir? Questionnait Shinme.

Kagome avait fermé les yeux. Oui, elle s’était doutée que Chieko remarquerait son changement d’attitude. Et qu’elle se poserait de trop nombreuses questions. Elle n’avait pas voulu risquer d’entamer sa détermination en se confrontant trop tôt à la douleur de sa maîtresse mais à présent…

Oui, je pense qu’il est temps de voir ou nous en somme vis à vis d’elle.
De voir si notre résolution saura résister à cet échange. Conclut-elle.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, moins d’une seconde après les avoir clos, la vision de Chieko penaude, résolue, inquiète lui tira un pâle sourire. C’était le genre d’attitude qu’elle aurait pu imaginer adoptée par Shinme si elle avait été une personne à part entière. Elle semblait si vulnérable, et pourtant si courageuse.

Kagome tapota de la main l’herbe à ses côtés.

Cette conversation devait se faire à cœur ouvert, et la distance ne ferait que rendre inutilement dur l’exposé des faits qu’elle s’apprêtait à faire à sa plus que sœur. Quand celle-ci se fut installée près d’elle, elle ne parla pas tout de suite. Entourant l’autre de son bras elle se laissa aller contre elle, dans la douce lumière de la fin d’après-midi elle savoura ce moment de calme, de simple communion. Ce parfum, cette proximité, lui avaient manqué. Elle voulait en profiter encore un peu avant de dire ce qu’elle avait à dire.

« Distante, hein… Je dois l’être en effet. » Elle soupire. « J’aurais dû t’en parler directement, ça t’aurait peut-être évité de te tracasser toute seule dans ton coin. »
Oui, si elle avait été plus sûre d’elle, de sa résolution elle aurait pu commencer par exposer son plan, ses idées à Chieko… Mais ça ne servait à rien de pleurer sur le lait renversé. Il s’agissait maintenant de trouver les mots justes pour la rassurer, et s’assurer qu’elle comprenne l’importance de ce qu’elle faisait.
« Ce n’est pas de ta faute. C’est la mienne.»

Chieko n’était pas loin de paniquer ouvertement. Son masque de marbre se lézardait presque tant elle peinait à ne pas laisser transparaître les émotions qui l’animaient. Ça ne plaisait vraiment pas au cercle intérieur de Kagome de la voir ainsi, mais elle gardait la main haute sur eux. Elle savait que son amie comprendrait aussitôt qu’elle aurait fini de lui expliquer. Mais il fallait d’abord lui dire tout ce qu’elle avait sur le cœur.

« Quand je suis près de toi : je ne vois que toi. Ne ressens que toi. Ne pense qu’à toi. Les choses sont ainsi depuis la première fois que je t’ai rencontrée. Je suis à toi. Maintenant et toujours.»
Kagome pleurait.
Malgré un grand effort pour garder la maîtrise d’elle-même, elle ne parvenait pas à s’en empêcher.
Ces mots elle les connaissait, c’était le serment fondamental qui l’avait tirée des pires doutes, de tous ses égarements. C’était le seul lien qu’elle s’était volontairement imposée, et le seul qu’elle pouvait concevoir de porter jusqu’à son dernier souffle. C’était sa raison d’être. Le plus précieux cadeau qu’elle avait offert à Chieko de toute leur vie commune. Ce à quoi on pouvait résumer tout son être.
Et pourtant: c’était la première fois qu’elle l’exprimait à voix haute, avec une telle simplicité.
Pourquoi fallait-il que ce soit au moment où elle devait remettre ce lien en cause ?
Cruelle comédie que ces petits paradoxes qui jalonnaient son existence.
« Mais aujourd’hui, je me demande… Est-ce que les choses auraient pu être différentes? Est-ce-que mes sentiments pour toi sont un cadeau que je te fais, ou un devoir que j’accomplis ? »

Il fallait qu’elle marque une pause. Sa respiration hoquetait. Elle serra plus fort son bras autour des épaules de Chieko. Si elle devait trouver qui elle était par elle-même, et confier à Chieko sa plus grande peur, qu’au moins elle puisse puiser dans celle-ci une dernière fois la force et le courage qu’il lui fallait pour le lui dire. Une inspiration, et une expiration saccadée pour reprendre le contrôle de sa cage thoracique qui semblait chercher à l’écraser, et elle se lançait.

« J’ai beau me dire que ça ne change rien… J’en reviens toujours à cette question. »

Qu’elle déchirement c’était que d’avouer ce poids sur son cœur. Elle avait beau sentir la présence des six autres au coin de sa conscience, sentir la chaleur dans son dos, comme si six mains étaient posées dessus pour la soutenir et la réconforter, avouer le nœud du problème qu’impliquait ce qu’ils avaient appris de son histoire était aussi douloureux qu’un enfantement. Chieko devait bien s’en être rendue compte car elle se contenta de lui adresser un sourire. Si doux, si tendre, mais aussi troublé d’un voile de tristesse. Il n’était pas facile de trouver les bons mots dans un moment pareil. Mais c’est tournée vers l’horizon qu’elle lui demanda:

« Est-ce que tu te souviens Kagome de ce que je t’ai demandé après notre première fois? Pourquoi tu avais fait tout cela. Je crois qu’au fond, c’était déjà ça ma plus grande peur : que tu ne penses qu’à travers moi.»
L’émotion étreignait sa gorge, mais elle se forçait à garder son sourire en poursuivant : « En fait, ça me fait presque plaisir ce que tu me dis là… Pour la première fois, tu te demandes ce qui est bon pour toi… Tu n’es plus moi. »
Les deux femmes ne résistaient à la déferlante de leurs émotions que grâce à la présence de l’autre. Dans ce statu quo, un ange passa avant que Kagome ne s’essuie la joue en reniflant pour ensuite secouer la tête, la mine empreinte d’une expression de tendre reproche.

« Chieko… Je n’ai jamais été toi. Et je suis la personne au monde la mieux placée pour te le dire : personne ne pourrait l’être. Tu es unique, et je n’en démords pas, au-delà du commun des mortels. Tu as quelque-chose de plus. »

Oui, toutes les raisons pour lesquelles elle croyait en cette femme, au-delà de ses simples sentiments, tout cela lui revenait comme autant de preuves. Comme il aurait été facile partant de là, de retomber dans son adoration… Dans ses travers. Pourtant elle savait que ce n’était pas sa voie. Pas encore.
Elle se ressaisit, se força à mettre de la distance entre elle et son émotion.

«Mais je serais incapable de comprendre ce que je suis tant que je serais emplie de ta présence. Et j’ai peur. Peur de ce que je pourrais découvrir. Peur de nous faire du tort en essayant. Peur de te perdre dans un cas comme dans l’autre. »
Oui, elle était dévorée par toutes ces craintes, mais…
« Mais il y a une chose qui me fait encore plus peur, qui me pousse à me faire violence : c’est que si je ne me bats pas pour mon individualité alors, nous deux, ça n’aura été qu’un vaste mensonge. Une excuse pour ma lâcheté. »

Comment lui dire clairement ce qu’elle savait, ou ressentait du moins ? Son ton se faisait plus hésitant :
« Je veux dire : Si je dois t’aimer, est-ce que ça n’aura pas plus de valeur si c’est moi qui choisit de te donner cet amour ? Que je sais que je ne le fais pas par facilité ? Et à l’inverse est-ce que d’éviter cette question par peur ou parce que c’est plus simple, ce n’est pas te manquer de respect ? »

«Kagome... » La voix de Chieko n’était presque qu’un soupir. « Il y a des choses qui ne changeront pas. Tu me reproche sans cesse d’oublier que je suis « unique », mais il en va de même pour toi. Quoi que tu fasses, quels que soient tes désirs je continuerai de t’aimer et d’être à tes côtés. Et eux aussi. » Du menton elle avait désigné leurs compagnons en contrebas. « Alors n’oublie pas: Tu ne me perdras pas, et tu ne me manques pas de respect non plus. Parce qu’à mes yeux ton bonheur est plus important que tout.» La voix de la jeune femme se fêle sur les mots suivants malgré qu’elle arrive à maintenir un sourire sur ses lèvres. « Quoi qu’il puisse m’en coûter. »

Kagome aurait dû se sentir soulagée du soutien que lui témoignait sa compagne, mais l’épreuve qu’elle s’était fixée était toujours aussi pénible à ses yeux. Elle regardait elle aussi leurs compagnons en aval. Oui, même sans comprendre pourquoi, tout le monde la soutenait. Et ses efforts commençaient à porter leurs fruits, pourtant…

Pourtant tu doutes, tu te demandes si ces pensées ne sont pas la preuve que ta loyauté faiblit.

Ganko n’avait jamais vu d’un bon œil ce projet de s’éloigner de Chieko, pourtant il avait accepté l’expérience, au moins pour un temps. Le voir prendre spontanément la parole sur ce sujet était inattendu.
Je dois dire que maintenant qu’elle t’a donné sa bénédiction je ne comprends pas ce qui te retiens. Quel que soit ton choix et ce qui en découlera, elle t’a garanti son soutien et son amour. Est-ce que ce n’est pas tout ce que tu aurais pu souhaiter Kagome?

Tu n’y es pas. Dit Kyooyo. Elle aurait de toute façon fait son choix mais maintenant que Chieko est au courant et continue de la soutenir, Kagome l’aime d’autant plus. Mais elle craint que justement ces sentiments ne soient une illusion, un piège qui l’entraverait dans sa quête d’elle-même.

Oui, Kyooyo avait mis le doigt dessus. Elle savait ce qu’elle devait faire, mais elle craignait de ne pas en avoir la force. C’était contre-intuitif de s’imposer une épreuve quand on pouvait juste profiter de ce que l’on avait déjà. Kagome se mordait la lèvre. Elle était toujours résolue mais…
« C’est dur. »

Chieko avait de son côté suivi ses propres pensées car elle demanda:
« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
Puis voyant que son amie n’était pas sûre de comprendre elle secoua la tête et reprit.
« Excuse-moi. Il s’est passé tellement de choses étranges ces derniers jours.» La jeune femme cherchait ses mots avec soin. Comment aborder le sujet en douceur ? « Je… J’ai l’impression que quelque-chose… tracasse Jun.» Elle avait, un peu malgré elle, prit une intonation interrogative sur ces derniers mots, et elle n’était pas plus assurée en ajoutant : « Ces derniers temps j’ai l’impression qu’il fuit quelqu’…e-chose.»

Kagome était perplexe, il lui semblait que Chieko attendait quelque-chose mais elle ne comprenait pas quoi, et toutes ces circonvolutions ne l’aidaient pas à y voir plus clair. Elle lui demandait ce que Jun pouvait bien fuir? Comment aurait-elle pu être au courant, puisque cela faisait un moment que tous deux s’évitaient?

Et soudain elle comprit. Sous le choc de la prise de conscience ses yeux s’écarquillèrent, son visage blêmit. Oui Chieko devait avoir saisi leur petit manège, c’était plutôt évident en fait, et elle se demandait naturellement ce qui avait pu provoquer ça. À cette pensée Kagome revit la scène, le chemin, la discussion à mi-voix une trentaine de mètres en retrait du groupe… La confession.
Elle sentit le rouge lui monter au visage, tenta de le dissimuler en détournant la tête. Mais son amie avait dû le noter, et l’agitation de son cercle intérieur ne l’aidait pas à se composer une grimace détachée. Elle était gênée, embarrassée mais également troublée par ses souvenirs.
C’était la première fois depuis les faits qu’elle y repensait, et ses émotions étaient toujours aussi vives et contradictoires, au point qu’elle n’était pas loin de se trouver mal. Elle toussota, et sachant bien qu’elle devrait répondre à Chieko tôt ou tard ramena finalement son regard droit devant elle, mais n’osa pas croiser les yeux de l’autre. Elle était trop embarrassée pour en avoir la force.

Par où commencer ? Qu’est-ce qu’elle pouvait lui dire d’ailleurs, sans mettre son ami dans l’embarras?
Chacune des présence dans sa tête avait un avis sur la question, de Kakan qui suggérait de tout raconter tel quel, à Shinme qui proposait timidement de se retirer sous un prétexte quelconque. Kagome avait besoin d’un peu de temps pour ramener le calme en elle et choisir les bons mots.
Elle toussa de nouveau pour se donner une contenance.
Est-ce qu’elle pouvait éviter le sujet ? Non. Mais elle ne pouvait pas non plus révéler les sentiments de Jun quand elle n’avait pas pris la peine de lui répondre. Finalement elle déclara :

« Je crois… Je crois que ce n’est pas à moi de t’en parler. »

Oui, ces sentiments étaient ceux de Jun, elle ne pouvait pas en disposer. Pas tant qu’elle n’aurait pas pris position du moins. La jeune femme aurait aimé que les choses soient claires pour elle. Elle ne voulait pas blesser Jun. Ni Chieko. Mais elle n’était pas sûre que l’affection qu’elle portait à Chieko ne soit pas quelque chose qu’on aurait créé chez elle de façon artificielle. Et elle aurait voulu croire que ce qu’elle ressentait pour Jun n’était que la tendresse qu’éveille en nous un ami de toujours mais comment en être sûre? D’autant qu’elle devait l’admettre il y avait quelque chose qui la troublait chez lui ces derniers temps. Mais impossible de mettre le doigt dessus. Pour couronner le tout son expérience du sentiment amoureux se limitait à ce qu’elle avait vécu avec Chieko. Mais encore une fois, étaient-ce ses réels sentiments?

«Mais c’est… Compliqué.»

Il régnait un vrai chaos dans son cercle intérieur, et elle ne parvenait à donner complètement tort ou raison à aucune des voix. Mais si c’étaient des parties d’elle, c’était plutôt logique. Démêler ses sentiments avait déjà failli la perdre quand elle pensait être la seule conscience à avoir voix au chapitre, alors maintenant qu’ils étaient sept à être plus ou moins directement concernés… C’était un véritable casse-tête.
Elle porta les mains à son visage, le tira vers le bas comme pour se l’arracher. Bon sang, pourquoi fallait-il que ces choses lui arrivent? Et lui arrivent maintenant de surcroît. Elle grognait presque quand elle répéta :
« Ouais. Compliqué.»

En un instant la colère embrasa le regard de Chieko. Ses craintes, ses doutes venaient soudain de trouver quelque chose de concret sur quoi s’épancher. Elle grondait, feulait presque : « Tu n’as pas… »
Mais alors qu’une image se formait dans son esprit l’orage s’apaisa aussi soudainement qu’il s’était levé.
Était-ce réellement possible? Elle ne pouvait pas y croire. Elle secoua la tête. Impossible. Ridicule. Mais qui cherchait-elle à convaincre quand elle déclara : « Non, non, bien sûr que non. » ?

Et pourtant…
Son regard était vide, elle ne distinguait pas le monde autour d’elle. Il y a un point du cœur humain ou les plus grandes douleurs, les plus sombres peurs, les plus ardents désirs et les plus nobles sentiments se rejoignent. Un point où il est impossible d’exprimer ses émotions tant elles sont intenses. Et Chieko venait sans doute de l’atteindre quand elle demanda:

«Tu me parles de ce que tu ressens avec moi. Mais… »
Elle ouvre la bouche pour parler, la referme sans dire un mot, secoue la tête. La question est claire dans son esprit, mais elle n’est pas sûre d’avoir la force de la poser.

«Est-ce que…
Tu…
…

l’aimes? »

Ce dernier mot, murmuré du bout des lèvres lui avait coûté son âme. S’arracher le cœur à mains nues aurait-été mille fois plus facile que de formuler tout haut ce doute, cette peur. Mais elle devait savoir.

L’autre se rembrunit. Ce n’était pas un sujet qu’elle aurait voulu aborder dans l’intimité de son cercle en temps normal, alors en discuter avec la personne à qui cela pouvait faire le plus de peine au monde… Non, vraiment cela ne l’enchantait pas. Mais elle savait aussi que maintenant qu’elles avaient abordé cette question il ne ressortirait rien de bon en la laissant en suspens. Elle devait y réfléchir, qu’elle le veuille ou non. Elle avait froncé les sourcils. Que pouvait-elle répondre de toute façon?

« Je n’en sais rien. Je n’ai pas vraiment pris le temps d’y réfléchir. »

Du bout de son pied, elle grattait le sol devant elle, là où elle était assise. C’était la vérité bien sûr, mais l’entière vérité aurait-été de dire qu’elle avait soigneusement évité le sujet. Elle le savait et cela n’arrangeait pas son humeur. Qu’est-ce qu’elle éprouvait pour Jun? Et pour Chieko ? Et vis-à-vis d’elle-même ? Le trou devant elle prenait des proportions plus qu’honorables quand elle jugea qu’il fallait dire quelque chose. « J’ai déjà du mal du mal à y voir clair dans toute cette pagaille. Alors si je ne sais pas ce que je ressens pour toi, tu dois bien te douter que concernant Jun la question est encore plus opaque.»

« C’est ça qui te fais douter de nous deux? »

« Non. Mais c’est clair que le timing est pourri. J’ai à peine réalisé que pour savoir qui j’étais il fallait que je me dissocie de toi qu’il m’a annoncé ça comme on lâche une pierre dans un étang. Et bien entendu, après impossible de prétendre que ça n’était pas arrivé.»

Il fallait qu’elle s’occupe les mains. Elle saisit la première brindille qui était à sa portée et commença méthodiquement à la briser en segments égaux. Répétant encore et encore l’opération.

Que devons-nous faire?
Pourquoi faudrait-il choisir entre eux deux?
Mais on ne peut pas les laisser languir ainsi…
On perd notre temps, choisissons et on verra bien.
Cette situation ne semble pas offrir de solution satisfaisante.
Mais, où est notre devoir dans tout ça ?

Le cercle ne cessait de débattre. Elle n’avait même pas envie d’essayer de les faire taire. Elle savait que toutes ces questions étaient aussi celles qu’elle se posait, mais elle ne trouvait pas de solution pour le moment, aucune réponse simple qui lui convienne. Elle sifflait de dépit, de frustration.
«Tsssss… »

Même le rire un peu jaune de Chieko et ses tentatives pour l’adoucir n’arrivaient pas à avoir raison de son humeur.
«Tu sais, disait la Daishoji, en temps normal les gens se sentent flattés quand on leur avoue qu’on les aime...» Son regard portait maintenant sur le magicien : le connaissant le fait qu’il ait osé parler de ce qu’il ressentait ne pouvait signifier qu’une seule chose. « D’autant qu’il faut un sacré courage pour avouer ses sentiments, plus encore dans les circonstances actuelles. S’il a osé te le dire maintenant, c’est qu’il doit-être plus que sûr de ce qu’il ressent. Tu ne devrais pas lui en vouloir. »

Kagome grogna. Comme elle s’y attendait, même quand elle se découvrait une potentielle rivalité en amour, Chieko était incapable de ne pas aider les autres. Bientôt elle allait tenter de la pousser dans les bras de l’homme si on la laissait faire. La Kohaku s’empara d’une autre brindille et reprit son ouvrage. Le cercle s’échauffait de plus en plus sur ce débat stérile.

J’affirme que par défaut si nous ne savons pas quoi faire, il faut rester auprès de Chieko.
C’est ça, passons nous une chaîne plutôt que de risquer d’être libre. Non mais tu t’écoutes ?
Allons, nous voulons tous ce qui est le mieux.
Je ne sais même pas pourquoi on à ce genre de débat, on s’en fiche non ?
Quoi que nous choisissions cela aura une grande incidence sur la suite des événements.
Ne pourrait-on pas juste laisser Jun et Chieko régler cela pour nous ?

« Tu n’imagines pas à quel point j’ai cru mourir cette nuit-là, pendant que j’attendais ta réponse. Et ça n’a pas duré des jours… »

Kagome jeta au loin la poignée de brindilles d’un demi-centimètre qu’elle tenait désormais. Elle sentait sa colère monter en même temps que sa frustration. Et le fait que Chieko se conduisait exactement comme elle l’avait prévu n’arrangeait rien. « Tu crois que je ne le sais pas ? Ce n’est pas comme si j’étais faite de bois. Je me doute qu’il ne doit pas être à l’aise, en fait il suffit de le regarder pour s’en rendre compte. Mais je te connais également Chieko. Je sais ce que tu ressens en ce moment même et c’est précisément pour cette raison que je ne voulais pas t’en parler. »

J’ai dit que nous devions rester auprès de Chieko, c’est là notre devoir!
Et depuis quand est-ce que c’est toi qui décide?
Il y a sûrement une solution pour que tout le monde soit heureux.
Y a qu’à tout envoyer valser, on y verra plus clair!
Je ne trouve aucun intérêt à ce débat. Vous êtes juste ridicules.
Et si nous partions loin ? Avec un peu de chance ils nous oublieraient tous.

Vous me faites pitié, vous n’avez aucun honneur, aucune fierté.
Ha oui, c’est aussi ce que dit le chien au loup dans l’histoire non?
S’il vous plaît ne nous disputons pas… Les choses vont encore dégénérer.
Hoooo oui, une bonne bagarre à l’ancienne cela fait longtemps.
Ce n’est techniquement pas une « bagarre » mais je suppose qu’un esprit primaire ne peut pas comprendre.
Je ne vous laisserai pas faire ça, maîtresse Kagome pourrait en pâtir.

ASSEZ!

La colère de Kagome éclata. La fournaise gagna en intensité si soudainement que tous se turent stupéfaits. Elle en avait toujours le contrôle mais Jun, Chieko, Ganko, Hasei, Kyooyo, Kakan, Satori, et même Shinme, tous avaient une idée bien précise de ce qui était le mieux, la marche à suivre. Et Kagome dans tout ça ?

« Vous m’irritez, tous! Comment est-ce que je suis sensée savoir où j’en suis quand tout le monde à son avis ? » Elle souffla par le nez. Elle maîtrisait sa fureur, mais n’en avait pas fini pour autant. Ses mots s’adressaient autant à Chieko qu’à chacune des têtes de mules qui étaient une part d’elle.
« Je saurai tôt ou tard quels sont mes sentiments, mais j’ai besoin de temps pour ça. Et je vous connais ! »

Ganko, tu es bourré de certitudes, trop fier pour envisager un point de vue différent du tien. Tu es borné.
Hasei, tu te contentes de rejeter ou d’accepter ce qu’on t’offre, tu n’apportes rien aux échanges. Et tu prétends que tu as un libre arbitre avec ça ?
Kyooyo, le monde n’est pas rose, parfois il faut se salir les mains ou blesser les gens pour atteindre un plus grand bien. Tu es comme Chieko, une idéaliste et future martyre.
Kakan, tu es immature, impétueux. Tu privilégies toujours la solution la plus immédiate au détriment de tout le reste. Rien de grand ne se fait en un jour!
Satori, tu pontifies sur les faits mais tu n’as aucune rage, aucune soif d’aller de l’avant. Prendre les choses pour ce qu’elles sont ce n’est pas une force si on ne cherche pas la vérité.
Et Shinme, tu n’as pas à être d’accord avec tout ce que je dis. Si tu n’as pas de personnalité, d’idéaux à défendre, alors tu n’es rien. Au mieux un parasite.

Dans sa lancée, elle n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Elle désigna Jun du menton:
« Lui, il va partir souffrir dans son coin en silence, en se flagellant et souhaitant ne jamais avoir rien dit ou fait. » Puis elle braqua sur Chieko un index accusateur et un regard noir. « Toi, tu vas essayer de trouver ce qui est, selon toi, la meilleure solution. Quitte à te sacrifier au passage. Mais je ne veux rien de tout ça ! Je veux juste… »

Sa voix mourut. Que voulait-elle en fait ? Elle pouvait se permettre de condamner ceux qui l’entouraient, mais au fond en quoi était-elle différente ? Qu’est-ce qu’elle désirait ? Maintenant qu’elle avait rejeté tout ce qui était les désirs des autres, que lui restait-il ? Elle se sentait vide. Un peu comme une coque après que le fruit ait pourrit. Un objet sans fonction et sans forme propre. Elle soupira.

« Je ne sais même pas ce que je veux justement. »

Ce constat n’était pas anodin, elle savait que si elle ne comblait pas ce vide par elle-même, quelqu’un d’autre le ferait. Et c’est précisément ce qu’elle voulait éviter. C’était peut-être ce qui lui était déjà arrivé avec Chieko. Il fallait qu’elle se réinvente, ou plutôt qu’elle se définisse, tant qu’il n’y avait pas d’influences extérieures. Elle avait besoin d’être seule. Au calme. Elle se releva, secouant ses vêtements pour chasser les végétaux qui s’y accrochaient. « Je suis désolée de t’avoir parlé de tout ça. Fais-moi plaisir et n’y pense plus pour le moment. »

Elle prit ensuite la direction du bosquet proche. C’était un petit groupement d’arbres sur le haut de la butte qui ne devait pas dépasser les vingt mètres de rayon mais où quelques vénérables de dressaient à une dizaine de mètres du sol. Un endroit parfait pour s’isoler. Elle entendit derrière elle la voix, émue de Chieko : « Prend le temps qu’il te faudra. » Étaient-ce des larmes qu’elle percevait ? Elle prit sur elle pour ne pas se retourner tandis que Chieko concluait: « Je t’attendrai. »

Les arbres l’accueillaient à bras ouvert.

Je me doutais bien qu’il y avait quelque chose d’étrange, cette tension était bien réelle.
Jun est amoureux de Kagome.
Quelle idiote, je n’ai jamais rien remarqué avant.
Mais c’était pourtant évident.
Kagome n’est plus sûre de ses sentiments.
Je n’aurais pas dû essayer de la forcer à s’expliquer, mais moi aussi j’ai besoin de savoir.
Je ne peux pas continuer à la …. Forcer si ce n’est pas ce qu’elle veut.
Je veux qu’elle y réfléchisse, c’est pour ça que je l’ai poussé à répondre…

Chieko arrive dans le campement et aperçoit Jun sur son chemin.

Mon dieu, je n’imagine pas à quel point je le fais souffrir.
Physiquement et mentalement.
Et lui qui préfère ne rien dire.
Elle sent les larmes lui monter aux yeux à cette pensée.

« Je suis désolée, vraiment. Pardon… »

Elle s’enferme dans la tente pour ne pas craquer tout de suite.
Juste quelques secondes, il faut que je me reprenne.

Jun s'approche de la tente. Il s'arrête à l'entrée de celle-ci, que Chieko avait fermée, et prend une grande respiration avant de demander d'une voix hésitante : « Chieko ? »

Non, pas tout de suite, il faut que je respire, attend.
Elle respire quelques secondes pour se forcer à faire le calme dans son esprit.
Il faut que je lui parle. Eviter tout malentendu. Les non-dit ne mènent qu’à la souffrance et au désespoir.

« Oui ? »
Sa voix tremble légèrement mais elle essaye de l’inviter à entrer.


« Euh... Je voulais juste voir si tout allait bien... »
Jun commence à se retourner pour partir mais se ravise.
« Je pense avoir une petite idée du sujet de la "discussion" que tu viens d'avoir avec Kagome... Je suis désolé... »
Il reste dos à la tente, attendant une éventuelle réponse de Chieko.

Chieko se lève et s’approche de la porte.
Elle ré ouvre la porte et te fais signe de rentrer.
« Ne reste pas dehors. »

Jun hésite une seconde, il s'attendait visiblement à tout sauf à ça. Il entre dans la tente.
« Merci... »

Chieko s’assoie et semble perdue dans ses pensées pendant un instant.
Elle n’arrive pas à cacher la tristesse qui l’accable à ce moment.

Voyant que Chieko ne prend pas la parole, Jun commence doucement :
« Je dois certainement être la dernière personne à qui tu veux parler en ce moment... ».
Puis, après un petit rire nerveux :
« Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Kagome ? Je l'ai rarement vu dans cet état, et c'était toujours après que tu te sois mise en danger... »

Evidemment, il croit que je lui en veux ou que je suis en colère après lui.
« Ho non rassure toi, je n’ai aucun grief contre toi.
Je pense que Kagome nous connais mieux que nous même.
"Lui va partir souffrir dans son coin en silence, toi tu vas essayer de trouver ce qui est selon toi la meilleure solution, quitte à te sacrifier."
Mais quand ça la concerne elle-même… »
Chieko marque une courte pause.
« Je suis désolée, je dois être aveugle ou alors j’ai préféré me cacher cette vérité que je ne voulais pas voir. »

Jun répond :
« Je n'ai jamais osé dire quoi que ce soit, c'est ma faute. Nous n'en serions pas là si je m'étais déclaré à l'époque... Ou si j'avais continué à me taire comme j'avais prévu de le faire... »
Il s'assoit avant de poursuivre.
« Je me suis toujours douté qu'il y avait quelque chose entre vous, je pense que c'est en partie pour ça que je n'ai jamais pu parler à Kagome de ce que je ressentais. Après ce qui s'est passé sur la falaise le doute n'était plus permis... Nous n'avions pas besoin que je complique tout alors que notre situation est plus que compliquée. Mais l'épreuve de Ramuh m'a ébranlée plus que je ne le pensais. Lorsque Kagome est venu parler avec moi je n'ai pas pu me retenir. »
Quelques secondes passent.
« Je suis désolé, je suis venu pour t'écouter, pas pour essayer de me justifier... »

Chieko souris. Un sourire sincère.
« Je sais que tu ne veux pas nous faire du mal. »
Elle réfléchit quelques secondes.
« Tu sais, il y a une chose qui m’a toujours terrifié. J’ai toujours eu peur que… »
Elle ferme les yeux un instant.
« J’ai toujours eu peur que les sentiments de Kagome soient un devoir. Une obligation. Qu’elle ait ses sentiments uniquement parce que je suis, soyons honnêtes, au centre de sa vie. »
Chieko joue machinalement avec une mèche de ses cheveux, le regard un peu dans le vide.
« Quand nous étions dans notre bulle, j’ai voulu croire en nous, je veux y croire encore mais… »
Chieko n’ose pas formuler la suite, elle ne sait même pas quoi dire en vérité.

« Il est compliqué de savoir réellement ce que pense Kagome. Elle-même n’en est pas toujours capable elle-même. »
Jun est sur le point de s'arrêter mais, cherchant à capter le regard de Chieko il ajoute :
« Quand nous avons parlé il y a quelques jours, elle a dit vouloir s'émanciper de toi… J’imagine qu’elle t’en a également fait part, tout à l’heure. Rien d’étonnant après ce qu’elle a appris dernièrement : elle veut savoir qui elle est vraiment et ce qu’elle pourra ou voudra faire quand nous en aurons terminé avec le Jun Rei. Et puis sa différence la travaille à chaque instant… Pour moi elle est juste Kagome, j’imagine qu’il en est de même pour toi, mais pour elle ce n’est pas si simple. »

Après un profond soupir :
« Honnêtement, et ça me fait un peu mal de le formuler à voix haute, je pense que, quand elle aura suffisamment avancé dans sa quête intérieure, elle verra que ses sentiments pour toi sont bien réels. Tout comme les tiens à son égard. Elle se rendra compte de la chance que vous avez d’être là l’une pour l’autre. »

Un peu mal à l’aise, Jun fixe son regard sur le sol entre vous et ajoute rapidement :
« Enfin c’est comme ça que je le ressens… Mais bon je me fais peut-être des idées, j’ai toujours eu du mal avec les gens… »

Jun est vraiment quelqu’un de bien, et ce que Ramuh nous a montré ne me fera pas changer d’avis à ce sujet. On se ressemble trop à vouloir faire passer les autres avant nous-même.
« Je ne sais pas, je n’ai pas cette impression.
Mais oui, ce n’est pas simple pour elle et je pense que ça le sera de moins en moins.
Toute cette histoire est complétement… folle.
Même avec les meilleures raisons du monde, faire ça à une enfant…
Forcément, elle ne peut qu’être perdue et se demander qui elle est.
Elle a besoin de réponses et surtout elle a besoin de nous.
Je n’aurais pas dû essayer de la forcer à parler de ses sentiments mais moi aussi je suis perdue. »

Chieko s’arrête un instant et fixe Jun en réfléchissant.

« Comme je lui ai dit, ce qui est le plus important à mes yeux, c’est son bonheur, quoi qu’il m’en coute. Même si cela implique … votre bonheur. »
Kagome sera heureuse si c’est lui qui prend soin d’elle. J’ai au moins cette certitude.
Elle soupire.
« Je vous soutiendrai malgré tout. »

Jun semble étonné à cette affirmation. Elle pense avoir bien fait de lui parler, au moins, tout sera clair pour eux.
« Je... »
Une nouvelle fois Jun ne s'attendait pas à entendre Chieko parler ainsi.
« Il est rassurant de voir que nous sommes du même avis. Mais en fait je ne vois même pas pourquoi j'en ai douté un seul instant. Ce qui nous importe c'est le bonheur de Kagome quoi que cela puisse signifier pour nous. »

Il faut absolument que tout soit clair. Si nous voulons éviter les horreurs de ce futur, il doit savoir ce que je pense vraiment, cela devrait nous aider.
« La seule chose que je souhaite pour l’instant, c’est que tu ne t’inquiètes pas à ce sujet.
Que tu sois sûr que je n’en tire aucune colère ou rancœur à ton égard. »
Chieko soupire et continue de jouer machinalement avec ses cheveux.
« Je… suis épuisée. »
Elle se lève lentement.
Chieko est lasse, elle a besoin de temps pour elle-même, digérer tout ça et surtout pour reprendre contenance, sinon, elle va s’effondrer devant lui et elle ne le souhaite pas.
« Pourrais-tu me laisser un peu de temps s’il te plait ? »

« Bien sûr, je comprends. »
Jun s'incline légèrement avant de prendre congés. En posant la main sur la toile de la tente, il arrête son geste et, sans se retourner, ajoute d'une voix blanche :
« Une dernière chose... Depuis mon épreuve au temple, et avant que je ne lui en dise trop, j'ai bien vu le regard de Kagome. Pas menaçant, mais aux aguets, elle me gardait toujours dans son champ de vision. Surtout en ta présence. J'imagine que ce qui a été dit par cette autre version de moi a dû vous donner à réfléchir, à vous autres aussi... Enfin bref, je veux juste que tu sois assurée qu'il n'est pas moi. Je ne pourrai jamais vous faire quoi que ce soit. »
Puis il quitte la tente sans que Chieko ait eu la moindre chance de répondre.

Chieko murmure pour elle même
« Je le sais bien Jun. J’essaye-moi aussi de tout faire pour que tu ne deviennes pas lui. »

En fin d’après-midi, alors qu’il est resté près du feu pour préparer des ofudas, Jun remarque que Chieko et Kagome discutent un peu à l'écart. Le ton semble monter avant que les deux jeunes femmes ne se séparent, Kagome partant en direction du bois proche du camp, visiblement très irritée, tandis que Chieko se dirige en toute hâte vers sa tente.

En passant à côté de Jun, elle le regarde, les larmes aux yeux. “Je suis désolée, vraiment. Pardon…”

Jun n’a même pas le temps de réagir qu’elle continue sur sa lancée et s’enferme.

C’était quoi ça ? Oh… Kagome a dû lui parler de notre discussion… Je ferai bien d’aller vérifier que Chieko ne fasse pas quelque chose de dangereux...

Jun s'approche de la tente. Il s'arrête à l'entrée de celle-ci et prend une grande inspiration avant de demander d'une voix hésitante : "Chieko ?"

Quelques secondes de blanc : “Oui ?”

Elle n’a pas l’air en train de pleurer, c’est un bon signe j’imagine.

"Euh... Je voulais juste voir si tout allait bien..." Jun commence à se retourner pour partir mais se ravise. "Je pense avoir une petite idée du sujet de la ‘discussion’ que tu viens d'avoir avec Kagome... Je suis désolé..." Il reste dos à la tente, attendant une éventuelle réponse de Chieko.

Il entend qu’elle se déplace dans la tente. Elle ouvre la porte et lui fait signe de rentrer. “Ne reste pas dehors.”

Jun hésite une seconde, il s'attendait visiblement à tout sauf à ça, puis entre. "Merci..."

Chieko s’assoie et semble perdue dans ses pensées pendant un instant. Même pour Jun il est évident qu’elle a l’air triste et soucieuse mais pas de colère, étonnamment.

Est-ce que j’ai bien fait d’entrer ? Elle a peut-être juste besoin d’être seule...

Voyant que Chieko ne prend pas la parole, Jun, toujours debout, commence doucement : "Je dois certainement être la dernière personne à qui tu veux parler en ce moment..." Il a un petit rire nerveux puis il continue, semblant marcher sur des œufs : "Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Kagome ? Je l'ai rarement vu dans cet état, et c'était toujours après que tu te sois mise en danger..."

Chieko répond finalement : “Oh non rassure toi, je n’ai aucun grief contre toi. Je pense que Kagome nous connais mieux que nous même.” Soudain, elle imite la façon de parler de cette dernière : “Lui va partir souffrir dans son coin en silence, toi tu vas essayer de trouver ce qui est selon toi la meilleure solution, quitte à te sacrifier.” Elle pousse un soupir profond revenant à sa diction habituelle : “Mais quand ça la concerne elle-même… Je suis désolée, je dois être aveugle ou alors j’ai préféré me cacher cette vérité que je ne voulais pas voir.”

"Je n'ai jamais osé dire quoi que ce soit, c'est ma faute. Nous n'en serions pas là si je m'étais déclaré à l'époque... Ou si j'avais continué à me taire comme j'avais prévu de le faire..." Jun s'assoit avant de poursuivre. "Je me suis toujours douté qu'il y avait quelque chose entre vous, je pense que c'est en partie pour ça que je n'ai jamais pu parler à Kagome de ce que je ressentais. Après ce qui s'est passé sur la falaise le doute n'était plus permit... Nous n'avions pas besoin que je complique tout alors que notre situation est plus que difficile. Mais l'épreuve de Ramuh m'a ébranlée plus que je ne le pensais. Lorsque Kagome est venu parler avec moi je n'ai pas pu me retenir." Quelques secondes passent. "Je suis désolé, je suis venu pour t'écouter, pas pour essayer de me justifier..."

Chieko lui sourit, un sourire sincère. “Je sais que tu ne veux pas nous faire du mal.” Elle réfléchit quelques secondes. “Tu sais, il y a une chose qui m’a toujours terrifiée. J’ai toujours eu peur que…” Elle ferme les yeux un instant. “J’ai toujours eu peur que les sentiments de Kagome soient un devoir. Une obligation. Qu’elle ait ses sentiments uniquement parce que je suis, soyons honnêtes, au centre de sa vie.” Chieko joue machinalement avec une mèche de ses cheveux, le regard un peu dans le vide. “Quand nous étions dans notre bulle, j’ai voulu croire en nous, je veux y croire encore mais…”

“Il est compliqué de savoir réellement ce que pense Kagome. Elle n’en est pas toujours capable elle-même.” Jun est sur le point de s'arrêter mais, cherchant à capter le regard de Chieko il ajoute : “Quand nous avons parlé il y a quelques jours, elle a dit vouloir s'émanciper de toi… J’imagine qu’elle t’en a également fait part, tout à l’heure. Rien d’étonnant après ce qu’elle a appris dernièrement : elle veut savoir qui elle est vraiment et ce qu’elle pourra ou voudra faire quand nous en aurons terminé avec le Jun Rei. Et puis sa différence la travaille à chaque instant… Pour moi elle est juste Kagome, j’imagine qu’il en est de même pour toi, mais pour elle ce n’est pas si simple.”

Je dois être honnête avec elle.

Après un profond soupir : “Honnêtement, et ça me fait un peu mal de le formuler à voix haute, je pense que, quand elle aura suffisamment avancé dans sa quête intérieure, elle verra que ses sentiments pour toi sont bien réels. Tout comme les tiens à son égard. Elle se rendra compte de la chance que vous avez d’être là l’une pour l’autre.” Un peu mal à l’aise, Jun fixe son regard sur le sol entre eux deux et ajoute rapidement : “Enfin c’est comme ça que je le ressens… Mais bon je me fais peut-être des idées, j’ai toujours eu du mal avec ce genre de choses…”

La voix de Chieko se fait plus sourde : “Je ne sais pas, je n’ai pas cette impression. Mais oui, ce n’est pas simple pour elle et je pense que ça le sera de moins en moins. Toute cette histoire est complètement… folle. Même avec les meilleures raisons du monde, faire ça à une enfant… Forcément, elle ne peut qu’être perdue et se demander qui elle est. Elle a besoin de réponses et surtout elle a besoin de nous. Je n’aurais pas dû essayer de la forcer à parler de ses sentiments mais moi aussi je suis perdue.”

Chieko s’arrête un instant et fixe Jun en réfléchissant. “Comme je lui ai dit, ce qui est le plus important à mes yeux, c’est son bonheur, quoi qu’il m’en coûte. Même si cela implique … votre bonheur.” Elle soupire. “Je vous soutiendrai malgré tout.”

Est-ce que j’ai bien entendu ? Ça lui ressemble bien en fait...Elle ne mérite vraiment pas d’être entraînée dans cette histoire, je m’en veux tellement...

"Je..." Une nouvelle fois Jun ne s'attendait pas à entendre Chieko parler ainsi. "Il est rassurant de voir que nous sommes du même avis. Mais en fait je ne vois même pas pourquoi j'en ai douté un seul instant. Ce qui nous importe c'est le bonheur de Kagome quoi que cela puisse signifier pour nous."

“La seule chose que je souhaite pour l’instant, c’est que tu ne t’inquiètes pas à ce sujet. Que tu sois sûr que je n’en tire aucune colère ou rancœur à ton égard.” Chieko soupire et continue de jouer machinalement avec ses cheveux. “Je… suis épuisée.” Elle se lève lentement. “Pourrais-tu me laisser un peu de temps s’il te plait ?”

"Bien sûr, je comprends." Jun s'incline légèrement avant de prendre congés. En posant la main sur la porte de la tente, il arrête son geste.

Surtout n’ajoute rien Jun ! Ne pas faire la même erreur qu’avec Kagome ! Ce n’est vraiment pas le moment pour aborder cet autre sujet...

Après une seconde d’hésitation, sans se retourner, il ajoute d'une voix blanche : "Une dernière chose... Depuis mon épreuve au temple, et avant que je ne lui en dise trop, j'ai bien vu le regard de Kagome. Pas menaçant, mais aux aguets, elle me gardait toujours dans son champ de vision. Surtout en ta présence. J'imagine que ce qui a été dit par cette autre version de moi a dû vous donner à réfléchir, à vous autres aussi... Enfin bref, je veux juste que tu sois assurée qu'il n'est pas moi. Je ne pourrai jamais vous faire quoi que ce soit." Puis il quitte la tente sans que Chieko ait eu la moindre chance de répondre.

Mais c’est pas vrai ! Qu’est-ce qu’y me prend en ce moment de toujours sortir ce genre de choses dans les pires moments ?! Chieko n’avait vraiment pas besoin de ça ! Pas maintenant ! Je devrais peut-être en rester là pour aujourd’hui : si je vais voir Kagome je sens que je vais encore faire n’importe quoi...

Kagome ne marcha pas bien longtemps, juste le temps d’arriver à un grand arbre au large tronc et aux branches hautes. Sans ralentir elle continua sa route le long du tronc jusqu’à atteindre le dessous d’une grosse branche surplombant la plupart des arbres. Là elle s’assit, ramenant ses genoux sous le menton, les bras croisés sur ses jambes.
Devant elle le soleil se rapprochait de l’horizon, remontant vers la voûte terrestre. Assise au-dessus du ciel sur son radeau de bois brut, Kagome essaya de mettre de l’ordre dans ses sentiments. Pour la première fois depuis un moment elle était vraiment isolée. Les voix dans sa tête encore sous le choc de sa saute d’humeur, ou ayant peut-être compris qu’elle avait besoin de calme, gardaient le silence.

Qu’est-ce qu’elle désirait ? Quel sens voulait-elle donner à sa vie ?
Elle commença à dresser une liste de ce qu’elle savait sur elle-même. Assez vite elle réalisa que les révélations récentes sur son passé avaient un impact sur celle-ci, et qu’un mois plus tôt cette liste n’aurait sans doute pas été la même.

Elle était la fille d’Ayame et de Shinozuke Kohaku. Malgré qu’elle ait été engendrée par celui qu’elle appelait Kamaji se faisant passer auprès de sa mère pour son époux, ses parents lui gardaient tout leur amour.
Quand elle était encore toute petite, Kamaji avait entreprit sur elle une longue et complexe opération afin de lui donner l’apparence de Chieko. Son père était venu s’interposer, et s’était (une nouvelle fois) battu avec Kamaji. Et quand il avait constaté que sa fille avait des écailles aussi blanches que les siennes, il avait eu un sourire triomphal. Elle était sa fille.
Plus tard elle avait rencontré Chieko, et cela lui avait laissé une forte impression.
Durant toutes ces années, Kamaji avait toujours été à ses côtés, comme une présence familière et rassurante. Il avait été là pour elle contrairement au père qu’elle ne voyait que trop rarement, lui avait appris à forger, à être droite, fiable, honorable et fière. Et elle avait la certitude que cet homme n’était pas son ennemi, aujourd’hui encore.
Puis elle avait découvert en grandissant qu’elle était capable de faire des choses que les autres ne pouvaient pas. Comme marcher sur les murs, quittant le sol sans le moindre effort. Aujourd’hui elle savait qu’elle n’était pas à proprement parler humaine. Mais c’était apparemment le cas de toute sa lignée.
Ensuite il y avait eu l’incident de la rivière, la punition et la décision de son père, (qu’elle suspectait à présent d’avoir été Kamaji déguisé) de la former aux arts du combat. La simplicité des arts martiaux lui correspondait bien, elle devait l’admettre à présent. Observer un mouvement, le répéter dix mille fois sans se poser de questions, le polir jusqu’à le rendre parfait… Puis recommencer avec un autre mouvement. Elle avait même l’impression de posséder un certain talent pour ça malgré ses déconvenues régulières au moment de mettre en pratique ce qu’elle avait appris.
De ce jour, elle avait gardé envers son père une rancune qu’il ne méritait pas. Elle avait dû le perdre pour s’en rendre compte.
Elle était tombée amoureuse de Chieko, sentiment partagé qui les avait conduites à devenir amantes.
Puis les années avaient passé, les événements récents avaient éprouvés sa sensibilité mais elle s’était toujours remise. Cramponnée à leur mission, à son lien avec l’héritière Daishoji et à ses camarades.
En fait…

Quelqu’un marchait dans l’herbe au-dessus d’elle.

Elle leva les yeux, arrachée à l’idée qui commençait à prendre forme en elle, pour constater que c’était Jun. L’ayant vu, le mage vint s’asseoir au pied de l’arbre. Juste à son aplomb.
« Salut… »
Elle garda le silence. Devant son absence de réponse il poursuivit:
« Je ne sais pas trop si tu as envie de parler, mais je suis là si tu as besoin.»
De nouveau elle resta silencieuse.
«Ou je peux aussi te laisser seule si tu préfères… »

Typique de Jun.
Il a tellement peur de faire une erreur qu’il finit souvent par proposer le contraire de ce qu’il veut à la base.

Les autres frémirent légèrement. Est-ce que le fait qu’elle s’était adressée à eux voulait dire qu’elle n’était plus fâchée ? N’étant pas sûrs ils gardèrent le silence encore un moment.
Kagome avait reporté son attention sur l’horizon, le soleil qui se couchait en remontant vers le sol avait quelque-chose d’apaisant. Jun… Elle se remémorait la conversation qu’elle venait d’avoir avec Chieko.
Oui, ne pas savoir devait le tourmenter. Cela elle pouvait le comprendre. Elle aurait aimé rester seule encore un moment, le temps de comprendre… De comprendre quoi d’ailleurs ? Elle avait été proche d’une idée, mais à présent celle-ci avait disparu. Elle soupira:

« J’imagine que ce serait naïf de croire qu’en laissant les choses telles qu’elles sont, tout finira par s’arranger. »

Elle leva la tête vers le pied de l’arbre ou le jeune homme attendait qu’elle prenne une décision.
« Mais je ne sais pas quoi te dire.»

Jun dit d’un ton grinçant : « Crois-moi je suis une sorte d’expert dans le domaine de « laisser les choses se faire en espérant qu’elles s’améliorent d’elles-mêmes » et généralement ça ne donne rien de probant. »
Le silence s’installa à nouveau avant qu’il ne relance:
« On peut parler de ce que tu veux, ce qui te passe par la tête. »
Il hésita un instant puis dit:
« De ce qu’il s’est passé avec Chieko tout à l’heure ? »

A ces mots Kagome enfouit sa tête dans ses bras toujours posés sur ses genoux. Un moment de calme, sans avoir à aborder toutes ces questions, était-ce vraiment trop demander? Pourquoi tout le monde voulait savoir ce qu’il se passait dans sa tête et dans son cœur?
Jun avait dû remarquer sa réaction car il s’empressa d’ajouter légèrement paniqué:
«Ou d’autre chose, hein, c’est comme tu veux. »

Elle sentait son cercle intérieur qui s’approchait prudemment du cercle de sa conscience. Elle pouvait percevoir leur soutien. Elle releva le front, les yeux perdus dans le lointain: en dessous le ciel rosissait tandis que les champs et les collines, au-dessus de cet étrange océan ou nageaient quelques nuages, se drapaient d’or et que les ombres devenaient d’un bleu plus profond. C’était un spectacle apaisant.

Oui, elle voulait bien parler. Partager cet instant avec lui. Le menton posé sur ses bras, les yeux remplis de ce spectacle, elle dit d’une voix un peu songeuse:

« C’est derniers temps, c’est ici que je me sens le mieux. Loin du sol. »

Jun garda le silence un long moment, attendant peut-être qu’elle poursuive, à moins qu’il ne réfléchît à ce qu’elle venait de dire car quand il parla finalement ce fut pour demander d’une voix éteinte:
«Tu veux dire loin des gens ?
De ceux qui t’ont fait souffrir durant ton enfance ?
Ou de notre groupe qui te fait souffrir à chaque fois que tu nous protèges ?
Ou de Chieko et moi, qui te faisons souffrir en te mettant devant un choix impossible ? »

Elle secoua la tête, où allait-il chercher tout ça ? Ce n’est pas ce qu’elle avait dit. Jun, Chieko, Hisashi… Même Osamu parfois. Ils étaient tous pareils de ce point de vue.

« Non. Comme toujours : vous réfléchissez tous beaucoup trop à des choses qui n’ont pas besoin qu’on y réfléchisse.»

Elle regarde vers ses pieds, l’endroit où sa branche s’élançait vers l’horizon. Comment faire comprendre ce qui est simple à quelqu’un d’aussi intelligent que lui ? C’était si évident pourtant, s’il pouvait oublier de réfléchir un instant, il comprendrait.
« Je veux dire loin du sol. Là où je suis en ce moment. »
Malgré elle un sourire était né sur ses lèvres. Doucement les souvenirs de son enfance, de ses premières escapades au-dessus du sol, lui étaient revenus tandis qu’elle cherchait des mots qui diraient ce qu’elle voulait exprimer. Depuis combien de temps avait-elle oublié cette époque ? Cette sensation de pur bonheur ? De totale liberté ?
« Quand j’étais petite, je passais mon temps à grimper aux arbres, aux murs, aux plafonds. Enfin dès que j’arrivais à échapper à la surveillance des adultes. »
Son sourire s’élargit encore, un autre souvenir venait de ressurgir.
« J’appelais ça : le sol d’en haut. »
Voilà, c’était ça qu’elle cherchait à exprimer: Sur le sol d’en haut. C’est là qu’elle se sentait bien.

Pendant ce temps Jun s’était relevé et s’aidant d’un bras fait de flammes noires avait entrepris l’ascension. Il finit par atteindre une branche voisine, presque perpendiculaire à celle de la jeune femme, mais au lieu de s’y asseoir il se suspendit par les jambes, tête en bas et croisa les bras sur son torse. Un sourire était sur son visage quand il déclara: « C’est vrai que la vue d’ici n’est pas mal du tout. »

Kagome sourit en retour. Elle aimait ce côté plus spontané de Jun. Quand il était ainsi, il donnait moins l’impression de se tourmenter avec des questions qu’il était le seul à connaître. C’est comme s’il était plus accessible, plus proche. Elle redirigea ses yeux vers le soleil qui effleurait de son haut la ligne d’horizon.
« Oui. »

Elle parcourait de sa conscience son cercle intérieur. Partageant un bref contact avec chacun de ses membres. Non elle n’était pas fâchée contre ces voix qui résonnaient en elle, même si elle pensait tout ce qu’elle leur avait dit, elle ne leur voulait aucun mal. Elle se sentait proche de chacune d’une façon qu’elle ne comprenait pas totalement, mais qu’elle n’éprouvait pas le besoin de comprendre plus. Ils étaient elle, et même si ils n’étaient pas d’accord pour tout elle tenait à chacun d’eux.

Faisant le parallèle avec les souvenir qui l’inondaient à présent, elle poursuivit :
« Je ne me suis jamais demandée pourquoi je pouvais aller sur le sol d’en haut. Je le faisais c’est tout. En fait c’est aussi naturel pour moi que de marcher ou respirer. De la même manière je ne me suis jamais interrogée sur la couleur de mon sang, ou le fait que je guérissait plus rapidement que les autres.»
Et un instant après, le temps d’une prise de conscience.
« Je crois que c’est ça que j’essaye de retrouver depuis quelques temps. Cette simplicité. »

«Je comprends.» dit Jun.
A nous aussi, cette période nous manque.

Kyooyo s’était avancée, Kagome sentait sa présence rassurante, comme une main chaleureuse posée sur son dos. A la surface, l’homme poursuivait :

« Moi aussi par moments j’aimerai retrouver la vie simple d’avant. »
A l’époque nous ne nous disputions presque jamais. Ton bonheur nous réchauffait, nous apaisait.
Bien sûr nous étions aussi plus simples, mais ce n’est pas seulement ça.
« Quand nous étions enfants. »


Ganko prit la parole à son tour :
Tu échangeais avec nous régulièrement à l’époque.
« Pouvoir oublier toutes les souffrances, et les soucis… »
Chaque soir pratiquement tu nous rejoignais, et tu partageais tes expériences et tes pensées avec nous.

Et pendant la journée, dit Satori, tu écoutais nos suggestions, nos envies et nos peurs.
«Toutes ces choses qui sont notre quotidien...»
Tu n’y pensais pas vraiment, mais tu savais à la fois nous rassurer et nous contenter.

J’adorais chaque instant que tu passais à l’extérieur. Acquiesça Kakan.
« … depuis que nous avons entrepris ce voyage. »
Tu vivais les choses si intensément que c’était comme si j’y étais.
Cette passion que tu avais m’a donné envie de toujours aller de l’avant.

«J’imagine que c’est naturel.»

Tu étais plus que libre. Tu étais la liberté même. Hasei se joignait lui aussi au cercle.
Le concept même de règles n’avait pas vraiment de sens pour toi.
« Désolé d’avoir rajouté de la complexité l’autre jour. »
Tu avais juste confiance dans les gens qui te disaient de faire ou ne pas faire quelque chose.
Et tu écoutais ton instinct. Et les nôtres.

« Ce n’était pas mon intention. »

C’est à ce moment que nous avons compris, dit Shinme, que nous ferions tout pour toi.
Et quand ensuite tu t’es détournée de nous, nous avons continué à t’attendre.
« Je sais bien que tu as fort à gérer... »
Nous savions qu’un jour tu nous reviendrais.
Nous avions confiance en toi.

«Même si tu hésites à t’en ouvrir à nous. »

Et tu ne nous a jamais déçus. Conclut Ganko, au nom de tous.

Kagome haussa légèrement les épaules. Que répondre à un tel témoignage.
Elle détourna légèrement le visage le temps de chasser une larme solitaire.
Son dos contre l’arbre était chaud du soutien et de l’affection que lui témoignaient les voix.
Et Jun aussi. Il comprenait ce qu’elle avait traversé à sa manière, et il ne lui demandait pas de s’expliquer.
Il se contentait d’être là pour elle.

Elle tourna son regard vers lui.
Avant de laisser échapper un petit rire.
Suspendu par les pieds, les cheveux pointant au-dessus de sa tête vers le sol il ressemblait à une drôle de chauve-souris. Son visage tirait sur le pivoine, entre l’effort qu’il fournissait pour se maintenir et le sang qui lui montait à la tête. Oui, c’était Jun.
« Tu devrais te redresser. » dit-elle gentiment « Tu es vraiment très rouge. »

Péniblement, son bras de flammes ayant disparu, le mage remonta sur sa branche pour s’y asseoir.
A cheval sur celle-ci, il laissa fuser un bref rire, un peu gêné, et s’excusa :
« J’ai toujours préféré les disciplines mentales. »

Elle sourit. Oui, c’était vrai :Jun n’avait jamais particulièrement été physique, il ne courrait pas, ne montait pas aux arbres. Il ne faisait pas le pitre non plus d’ailleurs. Le plus clair de son temps passait à l’étude.
Et pourtant… Il était dans cet arbre avec elle. Il essayait de l’égayer, quitte à se suspendre tête en haut. Enfin bas pour lui. C’était vraiment un garçon très gentil. Un ami précieux. Elle glissa vers lui un regard plein de tendresse. «Je trouve que tu t’en sors plutôt bien. »

Le soleil poursuivait sa course ascendante vers son coucher. Il n’était plus à présent qu’un demi-disque derrière les collines du lointain. Comment avait-elle pu oublier quelque chose d’aussi simple que le plaisir d’être avec un ami cher à profiter du moment présent? Cela lui revint.

C’était ça l’idée qu’elle avait presque trouvée quand Jun était arrivé. Ce qui lui avait permis de tenir contre vent et marées. Cette simplicité. Elle avait toujours agi selon son cœur, et son instinct. En faisant confiance à ceux qui lui étaient proches pour ce qu’elle ne comprenait pas, ou ne pouvait pas faire. C’était limpide à présent. Elle ne vivait pas juste à travers les autres. Elle vivait juste.
Une grande pression venait de quitter ses épaules. Elle se sentait emplie de gratitude. Gratitude envers son cercle, envers ce moment, et envers son précieux ami.

« Merci Jun. »

Le jeune homme était un peu surprit par cette soudaine affection qu’il percevait dans la voix de Kagome.
« Heu… De rien. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait grand-chose, mais si tu te sens mieux, alors ça me va. »

Elle acquiesça. « Je ne sais toujours pas ou je vais, ni ce que je suis, ou même ce que je veux, mais tu m’as rappelé que les choses sont simples au fond. » Oui, si simples qu’à trop vouloir réfléchir elle avait failli les perdre de vue. « Il suffit d’être soi-même. Le reste n’a pas d’importance. »
Adossée au tronc sous sa branche, elle ferma les yeux un instant pour profiter des dernières caresses du soleil. Elle se sentait si légère. Elle avait enfin en mains une clé qui pouvait lui permettre de comprendre tout le reste de ce qu’elle traversait. Le pourquoi n’avait jamais été important en fait. Ou plutôt la seule réponse au pourquoi c’était elle. Elle se sentait comme au sortir d’une tourbière. Fatiguée, crottée, mais enfin libre de bouger comme elle l’entendait.

« Oui tu as raison, dit Jun. Être soi-même c’est ça l’important. »

Il y avait quelque-chose dans sa voix qui fit instantanément rouvrir les yeux à Kagome.

Incertain.
Inquiet.
Peiné.
Effrayé.
Amer.
Perdu.

Oui son cercle avait raison, il y avait un peu de tout ça dans sa voix. Elle regarda en dessous d’elle. Sur sa branche le mage cherchait à éviter de croiser ses yeux mais elle vit tout de même, pendant une seconde, des flammes noires danser dans ses étranges pupilles, avant qu’il ne détourne le regard.
« Qu’est ce qu’il se passe ? Ça ne va pas ? »

Il essaya de la rassurer, mais son air subitement las et son attitude fuyante ne l’aidaient pas à obtenir l’effet recherché. « Ce n’est rien. Désolé. » Puis presque comme à lui-même: « Parfois on croit en avoir fini avec certaines choses, mais ça n’est malheureusement pas aussi simple… » Il semble hésiter pendant une seconde, comme s’il était sur le point de se confier mais dit finalement: « Je n’ai pas envie de t’ennuyer avec ça. Pas maintenant.» Et se retourne pour chercher des prises afin de redescendre de son perchoir.

Mais Kagome franchit, à quatre pattes le long du tronc, la faible distance qui les séparait. Il n’allait pas bien, tous ses instincts le lui criaient. Et elle était déterminée à lui venir en aide s’il y avait une chance pour qu’il la laisse faire. Elle voyait les panaches que faisait l’énergie du mage, il n’était pas dans son état normal c’était évident. Elle posa la main sur son épaule, ce qui le fit sursauter, se retournant plus par réflexe que par sa propre volonté. Il croisa les yeux d’un bleu azur de Kagome si clairs que, distant seulement d’une quinzaine de centimètres, il pouvait voir dedans la réflexion de ses propres pupilles nimbées de flammes.
Le spectacle ne semblait pas étonner la jeune femme qui gardait les yeux rivés dans les siens, comme si elle cherchait à apercevoir quelque chose au-delà. Peut-être qu’elle le trouva car elle finit par dire, presque en murmurant: « Jun… Parles moi. Ne garde pas ces choses-là pour toi.»

Sous sa main le mage se mit à trembler. Était-ce la tension nerveuse ? La peur ? Le fait d’enfin se confier à quelqu’un? Agenouillée sur le tronc, son flanc parallèle au sol elle écoutait ce que son ami avait sur le cœur.

«Je…
Depuis l’épreuve au temple de Rahmu...
J’ai beaucoup réfléchis.
A ce que nous avions vu.
Ce qu’il s’est passé.

L’autre Jun.

Je sais qu’il n’est pas moi!
Je sais que je ne ferai jamais ce qu’il a fait.
Pourtant…

Au fond de moi...
Il y a comme une voix.
Une voix qui répète sans cesse:
« En est tu bien sûr ? »

J’arrive à la faire taire la plupart du temps.
Mais à d’autres moments…
Elle se fait beaucoup plus forte. »

Jun s’interrompit un seconde. Ce genre de confession n’était pas facile, mais il fallait qu’il aille jusqu’au bout maintenant qu’il avait commencé à parler.

« J’ai bien vu que depuis ce moment tu…
Tu restes aux aguets avec moi.
Surtout quand Chieko est dans les parages.
Tu gardes un œil sur moi.
Au cas où je ferais du mal à l’un d’entre vous.

Je le comprends !
Je le comprends parfaitement.
Après le spectacle auquel vous avez assisté…
C’est normal.

Mais c’est dans ces moments-là que la voix se fait plus forte.
C’est dans ces moments-là que je doute… de «moi».
En laissant...»

Sa gorge est serrée par l’émotion, les mots peinent de plus en plus.
Il déglutit, essaye de retrouver son souffle.

« En laissant Chieko tout à l’heure.
Je me suis senti obligé de me justifier auprès d’elle.
De lui dire que je ne pourrai jamais rien vous faire.
Et j’y crois.
J’y crois de tout mon cœur !
…

Mais, est-ce que ça suffira?»

Le silence dura un moment après sa confession, puis la cacophonie éclata.
« Jun… »
Tuons-le tout de suite, avant que la menace ne devienne réelle !
C’est pas comme si quelqu’un d’autre dans ce groupe oserait s’en charger !
Le pauvre garçon, comme il a dû souffrir de garder ça pour lui !
Faudrait qu’il ait une chance de se défendre sinon c’est pas drôle !
Vu ce qu’il nous a confié, c’est mal partit pour lui. J’ai peur que ce futur ne soit avéré.
S’il admet lui-même qu’il est un danger alors je crois que notre devoir est clair !

Sous le tumulte qui se déchaînait dans sa tête Kagome du détourner le visage et fermer fortement les yeux. Ses tempes se tendirent comprimant son crâne. Mais elle ne cria pas quand elle dit:

Silence.

Et aussitôt tous se turent.
Alors elle rouvrit les yeux.

« Tu n’y es pas. Oui j’ai eu un doute à un moment. Mais ensuite quand on a passé la porte Tori et que tu m’as remercié, j’ai su que cet homme que nous avions vu, ce n’était pas toi. Et si j’ai eu l’air distante par la suite, crois moi ça n’avait rien à voir avec ça.»
Comment aurait-elle pu lui dire tout ce qu’elle avait traversé après avoir appris les sentiments qu’il avait pour elle ? Lui parler des six présences qui partageaient sa conscience ? Du brasier dans lequel elle avait faillit se perdre ? Mais quand il parlait d’une voix qui attendait un moment de faiblesse pour se faire entendre, elle avait le sentiment de parfaitement comprendre ce qu’il vivait.

«Je crois, poursuivit-elle, que nous avons tous nos voix intérieures, et qu’elles sont là pour une bonne raison. Mais je sais qui tu es. Et je sais que si tu doutes c’est précisément parce que tu es quelqu’un de bien! »

Abandonnant sa position, Kagome vint se placer juste derrière Jun sur la branche, le sécurisant entre le tronc et elle, avant de l’entourer de ses deux bras. Elle sentait sa chaleur contre elle, mais surtout elle percevait sa vulnérabilité, à quel point il avait besoin d’elle à cet instant. Presque instinctivement elle se mit à parler plus bas. « La seule personne que tu pourrais trahir, au nom de ce soi-disant futur qui te condamnerait à le réaliser : c’est toi-même. Tout le monde te le diras, tu es quelqu’un de bon. »
Oui. Il lui était impossible d’imaginer Jun sans cette douceur et cette gentillesse qui faisaient de lui qui il était. Elle se sentait en confiance avec lui. Posant son menton sur son épaule gauche elle se laissa un moment pour profiter de ce contact. C’était la première fois qu’ils étaient aussi proche. Avait-il fallut toute cette histoire, tous ces drames, et l’aveu de ses sentiments, à Jun pour enfin s’autoriser à baisser sa garde avec elle ? Elle inspira une grande bouffée d’air. Que de temps perdu. Elle reprit:
« Moi je crois en ce garçon qui grimpe dans un arbre et s’y suspend pour essayer de remonter le moral d’une fille qui ne sait pas ce qu’elle éprouve. Pas pour servir un quelconque objectif, mais juste parce qu’il veut son bien.» Oui, il avait sa confiance et toutes les voix du monde n’y changeraient rien. Elle poursuivit, plus bas encore presque en murmurant à son oreille :

«Et si cette voix t’inquiète, te terrifie à ce point alors je peux te faire une promesse. » Malgré elle son étreinte se fit plus forte, comme si une part d’elle voulait retenir cette version de Jun à la seule force de ses bras contre tous les rouages de l’univers. « Je croirai en toi jusqu’à la dernière seconde. Jusqu’à ce que tu me tue de tes propres mains, plutôt que de croire que ce garçon aura baissé les bras. »

Les tremblements du mage se faisaient moins violents au fur et à mesure qu’il s’apaisait. Après un moment il plaça sa main gauche sur l’avant-bras de son amie, avec tendresse. Sa voix était légèrement éraillée quand il souffla : « Merci Kagome… Pour tout. » Ils restèrent ainsi un long moment, le soleil s’était déjà couché depuis plusieurs minutes mais la lune n’avait pas encore pris sa place dans le ciel. C’était comme si cet intervalle n’appartenait qu’à eux. Ils n’avaient pas besoin de parler, juste d’être là leur suffisait. Mais enfin la lune finit par se lever, éclairant les feuilles autour d’eux de sa lumière d’argent.

Jun était maintenant parfaitement maître de lui.
« Pardon de m’être effondré comme ça… »
Il avait un timide sourire.
« J’étais venu pour te remonter le moral, ou te servir de mannequin de frappe selon comment tu allais réagir. J’avoue que je ne sais pas moi-même. » Il rit brièvement avant de lâcher le bras de Kagome. « Mais finalement, c’est toi qui a fini par me ramasser à la petite cuillère. »
Un long moment passe, Kagome attend, retenant son souffle.
« Je crois que, de ma vie, je n’avais jamais parlé à quelqu’un aussi ouvertement et encore moins sur un sujet comme celui-ci. C’est… Ça fait un bien fou ! Je n’aurai pas cru possible d’abaisser toute ces défenses, tous ces murs que l’on dresse pour se protéger des autres, de leurs regards et leurs opinions. Au final on se protège même des gens qui nous veulent du bien, ceux qui nous aiment. C’est tellement bon de n’être que soi. Simplement soi comme tu le disais tout à l’heure. Je ne crois pas que ce soit possible si l’on a pas quelqu’un de bien intentionné en face de soi. Quelqu’un en qui on a toute confiance. »

Il tourna son regard vers Kagome, le plongeant dans ses yeux d’un bleu si intense. Sous la lumière de la lune qui gagnait en intensité, ses écailles opalescentes commençaient à luire. Sous cet examen, le cœur de la jeune femme frappait fort dans sa poitrine. Jun semblait plus léger, plus sûr de lui. Elle espérait sans trop savoir quoi. Elle avait peur mais ignorait pourquoi.

« J’espère qu’un jour prochain toi aussi tu pourras trouver une telle personne Kagome. Sincèrement.»

Le regard qu’il lui portait en disant ces mots... Si doux. Si tendre. Tellement chargé d’émotions contenues.
Et pourtant une main lui écrasait le cœur en entendant ces paroles.
Trouver quelqu’un à qui elle pouvait se confier ? Être elle-même ? Mais…

Est-ce que je ne t’ai pas toi?

Elle était déboussolée. Est-ce qu’elle s’était trompée? Pouvait-il ne pas ressentir ce qu’elle croyait déceler dans son regard ? Est-ce que pour lui ce moment n’avait rien été de plus qu’un trop plein ? Qu’elle s’était juste trouvée au bon endroit, au bon moment ? Que n’importe qui aurait fait l’affaire ? Pourquoi se sentait-elle déçue ? Était-ce juste l’idée d’être remplaçable ? Mais pourquoi cette vrille glacée se frayait elle un chemin à travers son ventre jusqu’à son cœur ?

Pour masquer son trouble, elle s’écarta de Jun, caressant son dos du plat de la main avant de se relever.
A quoi s’attendait-elle au juste ? Qu’est-ce qui lui prenait ? « Je crois qu’il est temps de rentrer. » dit-elle.
Pourtant au lieu de redescendre elle se déplaça vers le bout de leur branche. Les yeux tournés vers le campement. Les voix du cercle n’avaient que peu d’importance à cet instant, elle ressassait ses émotions et les mots que Jun venait de lui adresser.
Ce sentiment… Il ne lui était pas inconnu. Mais qu’est-ce que c’était ? Elle avait l’impression que cette douleur qu’elle éprouvait était neuve, mais… Ce sentiment qui l’envahissait pourquoi était-il si familier?
Il lui semblait moins intense, plus fragile. Comme une jeune pousse que l’on comparerait à un arbre aussi vieux que la forêt. Pourtant...

Chieko.
Pourquoi pensait-elle à Chieko à cet instant précis?
Et pourquoi n’avait-elle pas pensé à elle quand Jun lui avait souhaité de trouver quelqu’un avec qui être elle-même ?
Pourquoi Jun de son côté n’avait pas considéré qu’elle pouvait baisser sa garde avec Chieko ?
C’était quelqu’un d’intelligent, s’il pensait que ce n’était pas le cas il se pouvait bien que ce soit vrai.
Mais alors… Si elle voulait être elle-même il lui fallait quelqu’un avec qui pouvoir l’être.

Elle soupira. Dire qu’elle pensait en avoir fini avec toutes ces questions.
Quoique les choses lui paraissaient plus simples maintenant qu’elle savait ce qu’elle voulait.
Mieux encore, elle connaissait une condition pour l’atteindre.
Pourtant d’apprendre qu’elle n’était qu’au début de sa route quand elle se croyait enfin arrivée…
C’était un peu démotivant.
Mais cette légère tristesse, cette déception qu’elle éprouvait...
Elles semblaient venir d’ailleurs.

« Oui je l’espère aussi.»
Dans un souffle.
« Qu’un jour je pourrai être moi. »
Que je trouverai quelqu’un avec qui l’être pleinement.
Quelqu’un qui ne soit pas dans ma tête.

A l’est la lune s’était complètement levée, sa lumière drapait tout de son éclat d’argent.
Kagome restait là, à écouter le vent. Ses voix lui soufflaient qu’elle avait dit exactement ce qu’il fallait, essayaient de lui remonter le moral. Pourtant elle avait l’impression d’avoir raté quelque chose. Un goût d’inachevé et elle n’était pas capable de trouver pourquoi. Ou alors… Peut-être qu’une part d’elle, une part qui n’était pas un membre de son cercle, le savait. Peut-être qu’elle refusait juste de l’entendre.
Une main se posa doucement sur son épaule. C’était Jun.

Debout face à elle, à moins d’un pas de distance, le mage la regardait de ses yeux si doux. Dans le clair de lune il semblait nimbé d’une timide lumière. Pourtant elle sentait une force résolue qui émanait de lui, une confiance. Le cœur de Kagome battait fort contre ses cotes. Malgré elle sa respiration se fit plus rapide. Il était si proche. Est-ce qu’il… ? Elle n’osait pas bouger de peur de rompre le charme, préférant s’abîmer dans ses yeux. Des flammes noires qui les avaient parcouru plus tôt, il ne restait plus de traces. Juste ce regard, cette tendresse qui l’envahissait comme la chaleur du soleil. La part d’elle qui savait ce qu’elle espérait se faisait entendre maintenant, haut et clair. Mais elle avait peur. Elle n’osait pas s’avancer. Si jamais elle s’était trompée ? Est-ce qu’il ne la détesterait pas après ça ? Elle restait là. Ses lèvres offertes. Enfin, après une éternité il se pencha lentement vers elle. Kagome ferma les yeux pour mieux goûter l’instant.

Ce frisson.

Oui, elle connaissait ce sentiment.
Elle pouvait le dire avec certitude à présent : elle aimait Jun.
Leur baisé touchait à sa fin. Combien de temps cela avait-il duré?
Kagome ouvrit de nouveau les yeux juste avant que l’homme ne s’écarte.
Elle se sentait heureuse.
Bien que maladroit ce baisé avait été tendre et sincère.
C’était la première fois qu’elle éprouvait ça pour quelqu’un d’autre que Chieko.

Chieko.

Elle se figea. La bulle dans laquelle ils se trouvaient un battement de cils auparavant vola en éclats.
Son cœur se glaçait soudain, tombant comme un bloc de pierre dans sa poitrine.
Est-ce qu’elle avait cessé d’aimer Chieko ?
Mais ce qu’elle éprouvait pour lui… Et ce baiser.
Inconsciemment elle effleura ses lèvres du doigt.
Non, elle n’avait pas rêvé.
« Jun… »

Reprends toi Kagome, si tu cesses d’aimer Chieko que devient ton serment ?
On dirait qu’il va y avoir du changement dans sa vie. Ce n’est peut-être pas plus mal.
Hé bien, c’est inattendu. Mais je pense que tu pourrais être heureuse avec lui.
Pourquoi s’inquiéter pour ça ? Tant qu’à s’être engagé sur cette voie autant continuer !
C’est peut-être le meilleur moyen de s’assurer qu’il ne s’en prendra pas aux autres plus tard.
Alors est-ce que cela fait de lui le nouveau maître de son cœur ?

Elle n’arrivait pas à penser clairement, comme toujours chacun des commentaires était accompagné de son cortège d’émotion. Elle secoua la tête. Il fallait qu’elle ait les idées claires pour comprendre. Mais heureusement Jun était là. Lui saurait sans doute l’aider à rester lucide. Elle chercha son regard.

Il semblait sonné, perdu, terrifié. Disparue la confiance, l’assurance qu’il semblait dégager un moment plus tôt. Il ne restait que le Jun qu’elle avait toujours connu. Et si elle savait une chose sur lui c’est que comme à chaque fois qu’il prenait un risque, une décision: il n’allait pas tarder à faire machine arrière, et à s’excuser.

« Pourquoi tu… »

Elle n’arriva pas à finir de formuler sa question. En fait elle craignait de connaître la réponse.
Parce qu’il s’était rendu compte qu’il ne l’aimait pas vraiment.
Parce qu’elle était trop bête pour comprendre ce qu’il lui passait par la tête.
Parce que ça n’avait été qu’un rêve idiot de sa part.

Elle se sentait idiote. Honteuse. Salie par sa propre stupidité. Elle n’arrivait même pas à soutenir le regard de Jun. Toute cette pagaille d’émotions qui la submergeait menaçait de la noyer. Malgré tout c’est la honte qui dominait. Suivie de près par le chagrin et la colère. Et encore une fois cet océan déjà bouillonnant était agité par la tempête des six voix qui partageaient sa conscience.

Tu sais bien que ton intelligence n’est pas ta principale qualité. Argumentait Satori. Tu compenses par d’autres mais comprendre les motivations, ou plutôt les pensées de quelqu’un comme Jun ne doit juste pas pouvoir se faire sans des capacités de réflexion supérieures aux tiennes. Tu n’y peux rien, tu es née comme ça. Ce n’est pas un crime, ou une faute, c’est un fait. Vous évoluez dans deux mondes différents.

Elle croisa les bras sur sa poitrine. Elle avait l’impression de se déchirer de l’intérieur.

Maintenant que tu sais ça au moins tu peux revenir vers Chieko. Disait Ganko. Même si tes sentiments pour elles ne sont plus ce qu’ils étaient, tu pourras toujours te contenter d’accomplir ton devoir. Tu aimes Jun, et alors la belle affaire. Si tu as pu perdre ton amour pour Chieko au profit de cet homme l’inverse doit être aussi possible non ? De toute façon les sentiments ne sont qu’une distraction pour le devoir.

Ses lèvres tremblaient de manière incontrôlable sous le coup des remarques. Elle sentait le bien-fondé de chaque argument, mais cela lui faisait mal tout de même. Elle était au bord de la crise de larmes.

Allons, inutile de te tourmenter ainsi. Lui soufflait Kyooyo. Tu n’as rien à te reprocher. Tout ce que tu as fait c’est suivre ton cœur. Et n’est-ce pas ce que tu avais décidé ? Il ne faut pas avoir de remords si tu as agi comme tu le voulais au fond de toi. Il sera toujours temps de réparer plus tard. Ou de chercher à comprendre.

Ces pensées réconfortantes lui mirent un peu de baume à l’âme. Pendant une seconde elle parvint à empêcher la montée de larmes de se poursuivre. Jusqu’à l’intervention de Shinme.

Pardonnez-moi maîtresse mais je ne comprends pas. S’il vous aime, pourquoi ce jeune homme ne réagit-il pas ? Et s’il ne vous aime pas, pourquoi vous avoir embrassé ? J’avoue que je suis déboussolée. Devrions nous le servir comme notre nouveau maître ? Ou est-ce encore Chieko qui tient ce rôle ? Et est-ce que vous avez encore ou non des sentiments pour celle-ci ? Je ne sais pas quoi penser. Pouvez-vous m’éclairer ?

La petite pose des questions sensées pour une fois. Ricana Hasei. Allons nous nous en remettre à lui comme nous nous en remettions à Chieko ? C’est ton choix si c’est le cas, mais je n’arrive pas à m’empêcher de trouver ça ridicule d’avoir passé autant de temps à essayer de te détacher d’elle si c’est pour te remettre en laisse pour lui sans y regarder à deux fois. D’autant qu’il était au courant que tu essayais de conquérir ta liberté. Alors je m’interroge, est-ce qu’il ne l’aurait pas fait exprès ? Pour que tu te jettes justement sur lui ?

Le doute s’emparait d’elle. Il n’aurait tout de même pas osé… Son regard se braqua sur lui. Une fureur aussi intense que sa douleur venait de naître en elle. Oui il était intelligent, bien plus qu’elle. Il aurait sans doute pu la manipuler de la sorte s’il l’avait voulu. Mais cette douceur qu’elle avait vu dans ses yeux… Ces yeux qui actuellement n’étaient qu’une source de distraction et de tourment. Pourquoi ne disait-il rien ? Pourquoi restait-il là, comme un poisson hors de l’eau ? Elle avait besoin de lui, de sa stabilité et lui il restait là. Et ses yeux… Ho ses yeux qui continuaient de la troubler malgré tout.

Je propose qu’on les lui arrache. Suggéra Kakan. Comme ça on pourra enfin réfléchir tranquillement à ce qu’il éveille en toi, sans qu’il te trouble d’avantage. Et puis, franchement s’il en avait une paire, je ne parle pas d’yeux hein, il ne se serait pas contenté de t’embrasser. On aurait au moins pu en profiter pour essayer quelque chose de différent avant que tu ne te mettes à te prendre la tête comme ça. Parce que là bonjour l’ambiance hein. Même pour parler ça va être compliqué maintenant.

Ces images, ces pensées qui déferlaient en elle. Qui venaient de ce qu’elle savait être une partie d’elle. C’était trop. Elle sentait les muscles de son visage céder sous l’effort pour garder une contenance. Dans sa tête tout se mêlait. Elle embrassant Chieko sur un arbre. Jun et elle étendus sur le sol de la chambre, nus au clair de lune. Elle se faisant éventrer pour protéger Jun dans un sous-sol. Chieko étendue pâle et froide sur les galets, détrempée. Jun qui la découpait sur une table de bois au milieu de gens encapuchonnés. Chieko qui dans le futur les détruisait tous, les réduisant en cendres. Jun qui la rattrapait au-dessus du vide. Chieko enfant, touchant sa joue pour la première fois. Kagome aux cheveux roses et Kagome aux cheveux noirs qui se dévisageaient sous un ciel noir éclairé d’un unique œil reptilien…

Et lui qui restait planté là devant elle.

Elle fondit en larmes.
« Idiot ! »

Elle tourna les talons. Il fallait qu’elle s’éloigne le plus vite possible. Elle bondit vers une branche d’un arbre voisin, couru quelques pas avant de sauter vers une autre branche. Les larmes qui l’aveuglaient rendaient cet exercice particulièrement difficile mais elle s’en moquait. Elle ne voulait se rendre qu’à un seul endroit sur terre : loin.

Mais le bosquet n’était pas grand et elle arriva rapidement à l’orée. Elle bifurqua. Non, elle ne voulait pas être aussi exposée. Elle voulait se cacher. Trouver un endroit où personne ne viendrait la voir. Un grand chêne plus loin offrait de vastes branchages. Elle se rua contre le tronc. L’agrippa de toute ses forces comme on se cramponne à un ami quand on souffre et pleura. Pleura. Pleura encore. Pleura aussi silencieusement qu’elle le pouvait.

Mais Jun la retrouva après un moment. Elle l’entendit s’approcher du tronc. Hésitant. Elle n’avait pas la force de baisser les yeux vers lui. Elle voulait juste rester seule. Mais il était là, et il parla :

« Je suis vraiment désolé que les choses aient tournées comme ça… »

Alors il regrettait bel et bien de l’avoir embrassée. Il ne ressentait pas la même chose qu’elle pour lui. Elle sanglota

« De t’avoir forcé la main comme ça. »

Quoi? Alors il l’avait bel et bien manipulée. Hasei avait raison. Elle sanglota de plus belle.

« L’espace d’un instant j’ai cru voir quelque chose. J’ai cru que tu ressentais la même chose que moi. »

Alors… Alors il l’aimait aussi ? Elle était perdue. A chaque fois qu’il parlait elle avait l’impression de ne rien comprendre, tout ce qu’elle croyait avoir comprit lui échappait au profit d’une autre hypothèse. Perdue, elle continua de sangloter.

Un bref silence suivit durant lequel elle put faire un premier tri malgré son désarroi. Donc elle n’avait pas été manipulée ? Jun l’aimait réellement? Mais il regrettait de l’avoir embrassée ? Pas parce qu’il avait été déçu mais parce qu’elle s’était enfuie ?

« Je suis vraiment désolé Kagome. »

Pourquoi est-ce qu’il s’excusait encore ? Pourquoi est-ce qu’il lui donnait raison en faisant machine arrière ? Jun s’éloignait. Quelque part elle préférait ça. Elle irait le trouver un peu plus tard, quand elle se serait calmée. Il ne lui fallait qu’un moment de calme. Un petit moment pour reprendre le contrôle de ses émotions. Et ensuite ils pourraient parler normalement. Comprendre ensemble ce qu’il s’était passé.

« Je vais parler à Chieko… »

Oui, expliquer à Chieko qu’elle avait besoin de temps, de calme, c’était une excellente idée. Digne d’un esprit comme le sien. Il pensait à tout, et il le faisait pour elle. C’était vraiment quelqu’un de bien.
Après un moment elle se dégagea enfin du tronc contre lequel elle s’était blottie pour voir à travers ses larmes qui s’apaisaient un peu, la silhouette de Jun qui s’éloignait assez rapidement parmi les troncs. Elle n’avait plus de doute. Elle aimait cet homme et il l’aimait aussi. Mais ce que cela impliquait… Il lui fallait du temps et de la place pour le tirer au clair. Il l’avait compris, et il prenait sur lui pour lui laisser ce temps. Jun était quelqu’un de bien trop gentil et attentionné, mais ça faisait de lui ce qu’il était.
En reniflant, elle réussit tout de même à sourire à cette pensée. Et alors qu’il disparaissait elle murmura avec tendresse : « Tu es un adorable idiot Jun.

En sortant de la tente de Chieko, Jun se dirige d’abord vers le feu au centre du camp puis bifurque finalement en direction du bois.

Je fais encore une connerie !

Jun finit par retrouver Kagome, assise sous une branche d’arbre, la tête en bas. Il s'assoit, adossé au tronc, en dessous de la jeune femme.

Je vais la laisser parler, ça évitera peut-être une catastrophe.

"Je ne sais pas trop si tu veux me parler mais je suis là si tu as besoin... Mais si tu préfères je peux te laisser..."

Elle hausse les épaules, garde le silence un long moment le regard toujours au loin. Puis soupire. "J'imagine que ce serait naïf de croire qu'en laissant les choses comme elles sont tout finira par s'arranger." Elle penche la tête en arrière et lève les yeux vers Jun. "Mais je ne sais pas quoi te dire."

"Crois en mon expérience dans le domaine : je suis un grand adepte du 'laisser les choses se faire sans mon intervention'... Généralement ça ne donne pas de résultat probant..." Jun lève les yeux vers Kagome. "On peut parler de ce que tu veux, ce qui te passe par la tête. De ce qui s'est passé avec Chieko tout à l'heure ?”

Super exemple, elle doit vraiment avoir envie de parler de ça...

Puis ajoutant rapidement "Ou d'autre chose, hein ? Comme tu préfères."

Elle a posé son front sur ses genoux quand Jun a évoqué la scène avec Chieko. Mais après un moment elle reporte son regard sur le coucher de soleil, le menton reposant sur ses bras. Elle lui confie: "Ces derniers temps c'est ici que je me sens le mieux. Loin du sol."

Jun garde son regard posé sur Kagome, attendant de voir si elle va ajouter quelque chose.

Visiblement Kagome ne poursuivrait pas. "Loin du sol ?"

Dans quoi je me suis fourré encore ?

Jun se tait, réfléchissant encore quelques secondes à ces mots avant de reprendre d'une voix éteinte : "Tu veux dire loin des gens ? De ceux qui t'ont fait souffrir pendant ton enfance ? Ou de notre groupe, nous qui te faisons souffrir lorsque tu nous protège ? Ou de Chieko et moi qui te faisons souffrir en te plaçant face à des choix impossibles ?"

Elle secoue la tête. "Non. C'est comme toujours, vous réfléchissez tous beaucoup trop à des choses qui n'ont pas besoin d'être."

Parfait, je veux lui remonter le moral mais je ne comprends même pas de quoi elle veut me parler… Je suis aussi utile que l’arbre… Moins utile en fait… Lui au moins il la soutient...

Elle regarde le bout de ses pieds, là où la branche semble s'élancer vers l'horizon. Jun ne voit pas très bien d'où il se trouve mais il lui semble apercevoir un léger sourire sur son visage quand elle poursuit. "Je veux juste dire loin du sol. Là où je suis en ce moment."

Sa voix devient songeuse. "Petite, je passais mon temps à grimper aux arbres, aux murs et aux plafonds. Enfin dès qu'on échappait à la surveillance des adultes. J'appelais ça le sol d'en haut."

Pendant que Kagome parle, Jun se relève, époussette ses vêtements, étudie l'arbre plus en détail et commence à grimper, plutôt maladroitement. Elle peut voir qu'il s'aide d'un bras fait de flammes pour remplacer le membre qui lui manque. Arrivé à une branche à peu près au même niveau que celle de Kagome, il s'y suspend par les pieds, la tête en bas et les bras croisés sur le torse, un sourire aux lèvres, et déclare enfin : "C'est vrai que la vue est pas mal d'ici."

Elle sourit.

"Oui."

Après un moment: "Je ne me suis jamais demandée pourquoi je pouvais aller sur le sol du haut. Je pouvais le faire c'est tout, en fait ça m'était aussi naturel que de marcher ou de respirer. Tout comme la couleur de mon sang ou le fait que je guérissais plus vite que les autres. Je crois que c'est ça que j'essaye de retrouver depuis quelques temps. Cette simplicité."

Jun commence à être très mal à l’aise dans cette position. Les arbres n’ont jamais été son fort. Il tente malgré tout de résister à l’envie de redescendre. "Je comprends, moi aussi par moment j'aimerai retrouver la vie simple d'avant, de quand nous étions enfants. De laisser derrière moi tous les soucis et les souffrances qui sont notre quotidien depuis ces derniers mois. J'imagine que c'est naturel. Désolé d'avoir rajouté de la complexité l'autre jour... Ce n'était pas mon intention, je sais bien que tu as déjà fort à gérer même si tu hésites à t'en ouvrir à nous."

Elle hausse les épaules, penche un peu la tête sur le côté. Puis elle glisse un regard dans ta direction et ris doucement: "Tu devrais te redresser, tu es vraiment très rouge."

Jun change péniblement de position, son bras enflammé ayant disparu, et s'assoit à califourchon sur la branche. "J'ai toujours préféré les disciplines mentales" lâche-t-il avec un rire gêné.

"Tu t'en sort plutôt bien."

Nouveau silence. Le soleil poursuit sa course. Il a presque à moitié passé l'horizon.

"Merci Jun."

Jun est quelque peu perplexe… "Euh... De rien ? Je n'ai pas fait grand-chose mais si tu te sens un peu mieux ça me va."

Elle acquiesce: "Je ne sais toujours pas où je vais, ni ce que je suis ou ce que je veux au fond... Mais tu m'as rappelé que les choses sont simples. Au fond il suffit d'être soi-même, le reste est sans importance."

La dernière phrase de Kagome fait tressaillir Jun.

Etre soi-même ?

Il revoir l’autre Jun, les cadavres calcinés qui jonchent le sol. La forêt semble soudain en flamme. Ses poumons s’emplissent de l’odeur des cendres et des corps en train de brûler. Le camp lui-même, visible depuis cette hauteur, a l’air de sombrer dans une mer de feu. L'écho des cris de ses amis lui perce les tympans.

Non ! Ce n’est pas ce qui va se passer ! Jamais je ne leur ferais une chose pareille !

Jun se sent mal, il vacille presque puis, aussi soudainement qu’elle est apparue, la vision reflue : la forêt ne brûle plus, le camp est intacte, l’air de cette fin de journée est frais et on entend seulement le bruit des insectes et le chant des oiseaux. Ses camarades son saufs.

Jun essaie tant bien que mal de se redonner une contenance : "Oui, tu as raison, être soi-même... C'est ça l'important."

Kagome a noté la réaction de Jun. Ses yeux gris sont braqués sur lui. Elle fronce les sourcils, inquiète. "Qu'est-ce qu'il y a ? Ça ne va pas ?"

Jun essaie d'éviter le regard de Kagome mais elle peut quand même apercevoir des flammes noires qui sont soudain apparues dans ses pupilles. Il a l'air très las tout à coup. "Ce n'est rien désolé... Des fois on pense en avoir terminé avec certaines choses mais ce n'est pas aussi simple malheureusement..." Il hésite à poursuivre;

Elle n’a pas besoin d’entendre ça ! C’était déjà une erreur de craquer devant Chieko tout à l’heure, il ne faut pas que ça se reproduise.

Finalement, il commence à chercher des prises pour descendre de l'arbre. "Je n'ai pas envie de t'embêter avec ça. Pas maintenant."

Il sent la main de Kagome sur son épaule. Elle est maintenant à genoux sur le tronc de l'arbre, à côté de sa branche, parallèle au sol.

Jun sursaute à ce contact inattendu, elle peut sentir qu'il tremble. Ses yeux brillent d'un bleu azur. Elle plonge dans son regard. Sa voix est douce. "Jun... Parles moi. Ne gardes pas ces choses-là pour toi."

Kagome, tu as les yeux les plus fascinants que je n’ai jamais vus...

Elle ne semble pas dérangée par le spectacle des flammes dans les yeux de Jun. Lui s’est complètement noyé dans les siens, ne peut penser à rien d’autre. Sans même y réfléchir, il commence à tout lui raconter de ses doutes et ses craintes : “Après l'épreuve de Ramuh j'ai beaucoup réfléchi à ce qui s'est passé, ce que j'ai vu, à l'autre Jun. Je sais qu'il n'est pas moi, je sais que je ne ferai jamais ce qu'il a fait. Pourtant, au fond de moi, il y a comme une voix qui me répète sans cesse 'en es-tu bien sûr ?'. J'arrive à la faire taire la plupart du temps mais à d'autres moments elle se fait beaucoup plus forte." Il marque une pause avant de reprendre : "J'ai bien remarqué que, depuis ce moment, tu restes aux aguets avec moi, principalement quand Chieko est dans les parages. Tu gardes toujours un œil sur moi, pour le cas où je ferai quelque chose à l'un de vous. Je le comprends parfaitement après le spectacle auquel vous avez assisté. Mais c'est dans ces moments-là que la voix parvient à se faire entendre... C'est dans ces moments-là que je doute de moi." Les mots ont de plus en plus de mal à sortir. "En laissant Chieko tout à l'heure, je... Je me suis senti obligé de me justifier. De lui assurer que je ne pourrai jamais rien vous faire. J'y crois de tout mon cœur. Mais est-ce suffisant ?"

"Jun..." Elle ferme les yeux, détourne légèrement la tête un instant, ses tempes se crispent. Puis elle rouvre les yeux. "Tu n'y es pas. Oui j'ai eu un doute, mais quand on a ensuite passé la porte, et que tu m'as remercié j'ai su que cet homme n'était pas toi. Et si j'ai eu l'air distante par la suite, crois-moi ça n'avait rien à voir avec ça. Je crois que nous avons tous nos voix intérieures, et qu'elles sont là pour une bonne raison. Mais je sais qui tu es. Et je sais que si tu doutes c'est justement parce que tu es quelqu'un de bien." Elle vient se placer à califourchon sur sa branche, derrière son dos et l'entoure de ses bras. "En prétendant que parce que tu as vu un soi-disant futur, et que du coup tu es condamné à faire ces choix, la seule personne que tu pourrais trahir, c'est toi-même. Tous te le diront, tu es quelqu'un de bon."

Jun continue de trembler, toujours en proie à ses doutes. Cependant il se laisse aller à l’étreinte de son amie, de la femme qu’il aime de tout son cœur. Il veut tout oublier, le Jun Rei, l’Empire, le futur, tout. Il veut juste rester ainsi, dans les bras de Kagome, à tout jamais.

Elle se rapproche, pose son menton sur son épaule gauche. Et lui laisse un moment avant d'ajouter: "Moi, je crois en ce garçon qui essaye de remonter le moral d'une fille qui ne sait pas ce qu'elle éprouve. Pas pour atteindre un quelconque but, mais juste parce qu'il veut son bien. Et si cette voix t'inquiète, te terrifie à ce point, alors je peux te faire une promesse." Elle le serre plus fort, Jun sens qu'elle frémit pourtant sa voix est ferme quand elle lui glisse à l'oreille: "Je croirais en toi jusqu'à la dernière seconde. Jusqu'à ce que tu me tue, plutôt que de me dire que ce garçon aura baissé les bras."

Moi, la tuer ? Comment ça ?

Déjà cette pensée disparaît, sans même être arrivée jusqu'à son cerveau. Jun commence à se détendre, ses tremblements diminuent. Il pose sa main gauche sur le bras de Kagome et la referme doucement, tendrement avant de dire : "Merci Kagome. Sincèrement. Pour tout." Sa voix est fragile lorsqu’il prononce ces quelques mots. Sa tête est complètement vide, il se sent juste bien, serein. Il ne s'était plus senti ainsi depuis bien longtemps.

Pendant ce temps, le soleil a fini par disparaître à l'horizon, bientôt remplacé par la lune. Après quelques minutes ainsi, les tremblements de Jun ont cessés et, lorsqu'il se sent à nouveau capable de parler, il ajoute, d'une voix maintenant plus calme : “Désolé d’avoir craqué ainsi… J’étais venu pour te remonter le moral, ou pour te servir de sac de frappe, je ne sais pas trop en fait.” Jun a un petit rire en terminant sa phrase. Il lâche le bras de Kagome, un peu à contre cœur. “Mais finalement c’est toi qui a dû me ramasser à la petite cuillère.” Il a un long soupir. “Je crois que je n’avais jamais parlé comme ça à qui que ce soit, aussi ouvertement, surtout d’un sujet pareil. Abaisser toutes les défenses qu’on érige pour se protéger des autres, de leurs regards, leurs opinions, même de ceux qui nous veulent du bien, de ceux que l’on aime. Laisser tomber le masque de ce qu’on veut paraître. N’être que soi, simplement soi. Comme tu le disais tout à l’heure. Ça fait du bien quand on a quelqu’un de bien intentionné en face de soi, quelqu'un en qui on a toute confiance.” Puis d’ajouter, tournant la tête pour voir le visage de la jeune femme : “J’espère que tu trouveras une telle personne Kagome. Sincèrement.” Kagome peut sentir que les sentiments de Jun à son égard ont gagnés en profondeur après cet échange, même s’il n’en dit rien afin de ne pas compliquer les choses davantage.

Elle le libère, passe une main dans son dos. Une caresse réconfortante. Puis se relève en disant: "Je pense qu'il est temps pour nous de rentrer." Pourtant elle ne descend pas tout de suite, mais se tourne vers les lumières du camp. Abimée dans ses réflexions. Maintenant que la lune est levée Jun peux voir ses écailles propager des reflets aux couleurs changeantes au moindre de ses mouvements. Ce spectacle couplé à ses yeux d'un bleu presque luminescent la font presque paraître irréelle. Une créature de conte venue pour secourir un voyageur. Dans un demi-murmure comme pour elle-même elle souffle: "Oui, je l'espère moi aussi. Qu'un jour je pourrais être moi."

Jun est sous le charme. Comment pourrait-il rester de marbre devant un tel spectacle ? En fait, il trouve même que sous cette forme la beauté de la jeune femme est encore plus grande. Oui, depuis qu'elle a repris cette apparence, qui aurait toujours dû être la sienne, elle dégage quelque chose de plus... Pur. De plus... Elle. Se peut-il qu'il soit tombé amoureux de cette personne, celle qu'elle était au fond, sans même savoir que le corps qu'il lui voyait n'était pas son être véritable ? Si elle n'avait pas été le sosie de Chieko, aurait-il eu l'audace de se manifester plus tôt ? Dans cet instant suspendu, comme tiré d'un rêve, il lui semble que cette réalité s'efface. Elle est là. Devant lui. Irradiant de beauté. Et lui n'est qu'à un pas. Une force le porte. Sans s'en rendre compte, il se lève. Encore une fois, tout lui semble si loin, le Jun Rei, leur vie jusqu'ici... Perchés au-dessus du monde il n'y a qu'eux, la lune et l'arbre. Cette force qui le submerge, qui le pousse en avant, vient-elle d'elle ou de lui ? En tout cas Kagome ne bouge pas. Il réalise qu'il a touché son épaule de sa main valide quand il la voit se retourner. Ses yeux si clairs, son menton... Ses lèvres. Ils se tiennent l'un face à l'autre, aucun des deux n'ose rompre le charme. Elle semble attendre quelque chose. Cette seconde dure deux éternités. Va-t-il encore une fois laisser passer l'occasion ? Se détourner ? Fuir ? Et si pour une fois... Juste une fois... Les paroles de cette amie si chère à son cœur lui reviennent, comme le bruit d'une clé qui pivote dans une serrure: "Au fond il suffit d'être soi-même, le reste est sans importance." Oui, c'est si simple. Il n'a qu'à suivre son cœur. Le reste n'a pas d'importance. Il se penche vers elle. Offre son cœur. Leur baisé se prolonge, jusqu'à ce qu'il ose enfin s'éloigner d'elle. Il croise son regard et, un instant, croit déceler le premier frisson d'un sourire. Puis l'instant se désagrège.

Kagome se fige soudain, surprise, choquée peut-être. Dans le silence qui suit, elle porte une main à son visage. Du doigt elle effleure le bout de ses lèvres. "Jun..." Elle secoue la tête peut-être pour se ressaisir. "Pourquoi tu..." Puis elle détourne le regard, fébrile. Croise les bras sur sa poitrine. Ses lèvres tremblent un instant avant qu'elle ne les morde. Ses yeux s'emplissent de larmes. Pendant une seconde elle semble sur le point d'arriver à se contenir, mais elle reporte sur lui ses yeux où brûle une flamme, furieuse. Ses traits cèdent sous la violence de l'émotion. "Idiot !" C'est tout ce qu'elle parvient à dire avant de fondre en larme. Jun est paralysé d'horreur et son cœur manque un battement, il ne comprend pas ce qu'il se passe.

Kagome s'enfuit, sautant sur la branche proche d'un autre arbre, puis d'un autre jusqu'à ce que la forêt la dissimule aux regards du mage. S'est-elle réfugiée là, juste hors de vue ? A-t-elle continué sa course ? En tout cas, Jun reste seul sur sa branche.

Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?! Est-ce que j'ai tout rêve ? Quand il m'a semblé que nous étions sur la même longueur d'onde... Qu'elle éprouvait la même chose que moi... Est-ce qu'en fait il s'agissait uniquement de mon désire qui m'aveuglait ? Qui m'a fait voir ce qui n'a en fait jamais été là ?

Soudain il se rend compte de ce qu'il a fait et manque de défaillir.

Mon dieu qu'est-ce que je viens de faire à Kagome ?! Il faut que je la retrouve, que je m'excuse !!

Jun descend de l'arbre aussi vite qu'il peut, manquant de glisser et se briser la nuque, pour partir en courant à la recherche de Kagome.

Il finit par la retrouver et s’approche de l'endroit où elle s'est réfugiée. Il s'arrête, faisant face au tronc derrière lequel est blottie la jeune femme. Il n'ose aller plus loin, ne veut pas lui faire davantage de mal.

Qu’est-ce que je peux bien dire maintenant ? C’était peut-être une mauvaise idée… J’aurai mieux fait d’aller directement voir Chieko, elle aurait peut-être su comment parler à Kagome… Et Kagome aurait certainement préféré que ce soit Chieko qui vienne lui parler… Plutôt que le salaud qui lui a fait du mal ? Ça parait assez probable oui...

Il hésite, son esprit est totalement embrouillé. “Je suis désolé que les choses aient tourné comme ça… De t’avoir forcé la main de cette façon… L’espace d’un instant j’ai cru voir quelque chose, j'ai cru que tu ressentais la même chose que moi." Il pose son front contre le tronc en soupirant. "J’ai dû me faire des idées. Je suis trop con, j’ai tout gâché… j'espère que je pourrai me racheter un jour.”

En entendant les sanglots de Kagome, le cœur de Jun se serre.

Je suis vraiment le pire des connards...

Il murmure "Je suis vraiment désolé Kagome..." Puis il se retourne et part en direction du camp. Après quelques pas, il ajoute un peu plus fort pour que Kagome l'entende : "Je vais parler à Chieko..."

Qu’est-ce que j’ai foutu ? Qu’est-ce que j’ai foutu ? Qu’est-ce que j’ai foutu ?! Et qu’est-ce que je vais dire à Chieko ?! Je suis déjà à sa tente là… Et j’ai toujours aucune idée de comment lui annoncer ce qu’il s’est passé… Je comprends même pas ce qu’il s’est passé… Je dois me dépêcher ! Kagome a besoin d’elle !

Alors que le soir est tombé depuis quelque temps déjà, Chieko entend quelqu'un tourner autour de sa tente. Des pas approchent de la porte... S'en vont... Puis reviennent et s'arrêtent. La voix de Jun se fait finalement entendre, très faible : "Chieko ?" Puis après un silence : "Il faut que je te parle, c'est important...". Jun semble encore plus paumé qu'à l'accoutumée, plus paniqué aussi.

Plus le temps ! Je verrai bien quand je serai face à elle !

Jun entend rapidement du bruit dans la tente et voit sortir Chieko l’air un peu affolée. Elle ouvre la porte très vite et le regarde de haut en bas. “Qu’est-ce qui se passe ?” Il remarque qu’elle s’inquiète clairement pour lui. “Il s’est passé quelque chose ?” Elle le regarde à nouveau de haut en bas. “Tu es blessé ?”

Quand il la voit surgir ainsi, Jun manque de tomber à la renverse.

Tu ne dois pas t’inquiéter pour moi Chieko ! Je ne le mérite pas ! Je suis un monstre… C’est pour elle qu’il faut s’inquiéter !

Automatiquement il commence à répondre : "Non, non... rien d'aussi grave. Enfin, je sais pas, si peut-être..." Elle peut clairement voir qu'il est très mal à l'aise. Il est presque suppliant lorsqu’il demande : "On peut parler à l'intérieure s'il te plait ?"

Quand elle s’est assurée que Jun es en un seul morceau, Chieko reprend son calme rapidement. Elle lui fait signe de rentrer et le laisse passer devant elle. Une fois rentrée, elle ferme de nouveau derrière eux et marque un temps d’arrêt avant de se retourner. Quand elle lui fait face à nouveau, elle a repris un visage posé. “Oui ? Je t’écoute.”

Après être rentré, Jun va directement se planter de l'autre côté de la tente, face au mur. "Je..." commence-t-il avant de s'arrêter immédiatement. Il se met à faire les cent pas, se tenant la tête.

Allé ! Lance-toi, dis-lui ce qu’il s’est passé, n’importe quoi, mais parle. Kagome a besoin d’elle au plus vite !

Il finit par retourner se planter face au mur. "C'est Kagome... J'ai fait une connerie..." Il se met à s'agiter en poursuivant : "On parlait... Et à la fin, dans le clair de lune... Je sais pas ce qui m'a pris ! Je suis vraiment trop con ! Après ça je l'ai cherchée bien sûr ! Mais j'aurai peut-être pas dû, elle veut plus me parler de toute façon. C'est normal !" Il recommence à faire les cent pas : "Putain mais qu'est-ce que j'ai foutu ?! Fallait que je vienne t'en parler. Vous êtes ensemble et puis on est amis... Ou on l'était avant ça... Je pouvais pas ne pas te le dire... Toi peut-être que tu pourras lui parler, trouver quoi lui dire. Mais surtout ne me laisse plus l'approcher !" Il continue sur sa lancé, la main portée à son visage.

J’arrive même plus à réfléchir ! Je me rends même pas compte de ce que je suis en train de raconter… Elle va rien comprendre c’est clair !

Chieko s’approche de Jun. Elle lui pose une main sur l’épaule gentiment pour le forcer à s'arrêter. Elle murmure d’une voix douce et rassurante. “Jun… S’il te plait, calme-toi. Respire.”

Jun recule en sursaut, balayant la main de son amie de son bras valide: "Ne me touche pas !" Puis reprenant quelque peu ses esprits, il tombe à genoux et s'incline jusqu'à toucher le sol. "Je suis désolé Chieko-sama. Je n'aurai pas dû réagir comme ça. Pitié ne vous approchez pas trop, je ne sais pas ce que je pourrai vous faire !"

MAIS QU’EST CE QUE JE FOUS !!! Pourquoi je lui fais ça à elle également ?! C’est quoi mon putain de problème ?!

Chieko est choquée et blessée par la réaction de Jun, tant par le rejet que par le “sama” et ce qu’il lui a dit ensuite. Sa voix se fait plus froide et plus autoritaire. “Assied toi, s’il te plait.” Elle se retourne et fouille dans la tente. Quand elle revient vers lui, elle lui tend quelque chose à boire. “Du thé.” Elle lui tend la tasse. “Ça devrait t’aider un peu.” Son visage est redevenu neutre.

Jun prend la tasse des mains de Chieko, précautionneusement. "Désolé... Merci...". Il va la porter à ses lèvres, arrête son geste à mi-course et pose rapidement la tasse au sol. "On a pas le temps pour ça ! J'ai fait quelque chose à Kagome !" Les mots sortent de sa bouche comme s'ils lui entaillaient la gorge. "Les détails sont flou dans ma tête maintenant... Je crois que je l'ai violée ! Tu dois aller la voir ! Elle doit avoir besoin de toi ! Tu dois la garder loin de moi ! Et toi aussi tu devrai rester loin de moi..."

Voilà, c’est enfin sortit ! Tient bon Kagome !

Au mot « violée » le visage de Chieko, ce masque de neutralité et de calme, vole en éclat. Elle blêmit. Elle lutte visiblement pour garder pied. “Tu restes ici. Tu ne bouges pas.” Elle se retourne et commence à sortir de la tente. Elle se retourne une dernière fois vers Jun. “Et c’est un ordre.” Elle sort en courant.

Mais Jun n’a rien vu, rien entendu. Il est perdu dans ses pensées. Il se repasse le film des évènements pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Ce qui l’a poussé à faire du mal à celle qu’il aime. Et également à son amie.

Plus tard dans la soirée, elle entend quelqu'un tourner autour de la tente. Des pas approchent de la porte... S'en vont... Puis reviennent et s'arrêtent.
La voix de Jun, très faible :
« Chieko ? »
Puis après un silence :
« Il faut que je te parle, c'est important... »

Il a l'air perdu. Plus que d'habitude.
C'est inquiétant.

Une attaque ? Est ce qu'il est blessé?

Elle sort de la tente rapidement.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Effectivement, Jun est bien là.

« Tu es blessé ? »

Un peu ébouriffé mais en un seul morceau. Il n'est pas blessé.

« Il s’est passé quelque chose ? »

Il semble encore plus perturbé par ma sortie un peu trop hâtive.

« Non, non... rien d'aussi grave. Enfin, je sais pas, si peut-être... »

Quelque chose le bouleverse. Mais quoi…?

« On peut parler à l'intérieure s'il te plait ? »

Il n'est pas blessé, c'est le plus important.

Chieko lui fais signe de rentrer et le laisse passer en premier.

Qu'est ce qui peut bien le mettre dans cet état…?

Son sang ne fait qu'un tour.

Évidemment, Kagome. Il n'a jamais été perturbé avant. Tellement serein et détaché que ça doit être terrible. Ils se sont parlés ?
Il faut qu'il commence par se calmer pour que je puisse comprendre et l'aider.

« Oui ? Je t’écoute. »

Après être rentré, Jun va directement se planter de l'autre côté de la tente, face au mur.
« Je... » commence-t-il avant de s'arrêter immédiatement. Il se met à faire les cent pas, se tenant la tête puis retourne se planter face au mur.
« C'est Kagome... J'ai fait une connerie... »
Il se met à s'agiter en poursuivant :
« On parlait... Et à la fin, dans le clair de lune... Je sais pas ce qui m'a prit ! Je suis vraiment trop con ! Après ça je l'ai cherchée bien sûr ! Mais j'aurai peut-être pas dû, elle veut plus me parler de toute façon. C'est normal ! »

Il recommence à faire les 100 pas :
« Putain mais qu'est-ce que j'ai foutu ?! Fallait que je vienne t'en parler. Vous êtes ensemble et puis on est amis... Ou on l'était avant ça... Je pouvais pas ne pas te le dire... Toi peut-être que tu pourras lui parler, trouver quoi lui dire. Mais surtout ne me laisse plus l'approcher ! »
Il continue sur sa lancée, les mains portées à son visage.

Il faut qu'il se calme. Je ne comprends pas.

Elle lui pose une main sur l’épaule gentiment pour le forcer à s'arrêter.

Il faut que je le rassure.

« Jun… S’il te plait, calme toi. Respire. »

Jun recule en sursaut, balayant ma main de son bras valide :

« Ne me touche pas ! »

Puis reprenant ses esprits, il tombe à genoux et s'incline jusqu'à toucher le sol.

Pardon?

« Je suis désolé Chieko-sama. Je n'aurai pas dû réagir comme ça. Pitié ne vous approchez pas trop, je ne sais pas ce que je pourrai vous faire ! »

Sama? Pitié ? Ce qu'il pourrait me faire ?
Pourquoi est-il si distant ? Se mettre à genoux ? Je suis son amie, pourtant non?

Il faut que je le force à se maîtriser.
Je dois être plus ferme pour le sortir de son état.

« Assied toi, s’il te plait. »

Quelque chose à boire. Du thé, ça lui fera du bien.

Chieko cherche rapidement une tasse et de quoi le servir et lui apporte.

« Du thé. »

Elle lui tend la tasse.

« Ça devrait t’aider un peu. »

Qu'est ce qui se passe bon sang...

Jun prend la tasse précautionneusement.

« Désolé... Merci... »
Il va la porter à ses lèvres, arrête son geste à mi-course et pose rapidement la tasse au sol.

« On a pas le temps pour ça ! J'ai fait quelque chose à Kagome ! »

Les mots sortent de sa bouche comme s'ils lui entaillaient la gorge.

« Les détails sont flou dans ma tête maintenant... Je crois que je l'ai violée ! »

Quoi?

J'ai l'impression d'étouffer.

(« Tu dois aller la voir ! »)

Je connais cette sensation. Osamu ne me sauvera pas cette fois.

(« Elle doit avoir besoin de toi ! »)

Pourquoi est-ce que je me noie ? Il n'y a pas d'eau pourtant. Je n'arrive plus à respirer.

(« Tu dois la garder loin de moi ! »)

Jun? Il me parle? Je vois ses lèvres bouger. Je n'entends plus rien, juste un cognement qui me vrille les tympans.

(« Et toi aussi tu devrais rester loin de moi… »)

Kagome!

La sortie de la tente.

« Tu restes ici. »

Qui parle?

« Tu ne bouges pas. »

A qui est cette voix?

Chieko se retourne.

Jun est vraiment là.

« Et c’est un ordre. »

C'est moi qui parle?

La fraîcheur à l'extérieur lui met une claque.

Hogo ?

La main de Chieko s’est posée par reflexe sur son museau.

« Vérifie qu'il ne se fait pas de mal s'il te plaît. »

Kagome !
Il faut que j’aille la voir.
Elle doit avoir besoin de moi.

Ce bruit. Sourd. Je n’entends toujours que ça.
Calme-toi.
Calme-toi !
CALME-TOI !
Et tu lui servirais à quoi dans cet état ?
A la limite de la crise d’angoisse.
C’est elle qui a besoin de toi.
Et te voir dans cet état ? Ça serait pire que tout.

Chieko porte ses mains à ses oreilles, secoue la tête énergiquement et réajuste ses cheveux derrière ses oreilles par reflexe.

Haha…
« Calme toi Jun, respire ? »
Tu es pire que lui, inconsciente de ce qui t’entoure.
CALME-TOI !
Kagome…
Ouvre les yeux.
Kagome…
Respire.
Kagome…
Remet ton masque…
Ou essaye au moins.

Chieko finit par apercevoir Kagome en haut d’un arbre. Elle a la tête dans les bras, couchée à plat ventre sur une branche.

Mon dieu, elle a l’air effondrée.
Elle ne m’a même pas remarquée… ou elle veut m’ignorer ?

« Kagome ? Est-ce que tu veux me parler? »

Kagome remue un peu.

Je ne sais pas si elle a dit oui, je l’ai juste vu bouger un peu.
Est-ce que j’insiste ?
Est-ce qu’elle veut rester seule ?
Je ne l’ai jamais vu ainsi.

Après quelques secondes Kagome grommelle quelque chose.

Je n’ai pas entendu, elle a dit non ?
Il faut que j’insiste, elle ne peut pas rester seule maintenant.

Chieko fait les 100 pas en dessous de l'arbre pendant un instant. Puis elle finit par s'assoir lourdement, comme une enfant. Encore quelques minutes de blanc.

Non, je ne partirais pas.
Il faut que j’insiste.

Chieko murmure :
« Descend ... S'il te plaît.... Je t'en prie... »

Kagome inspire puis soupire de façon saccadée avant de se laisser glisser le long de sa branche. Elle descend sur la suivante et renouvelle l'opération. Elle poursuit presque sans s’arrêter ainsi jusqu'au sol, un peu à l'écart de Chieko. En évitant de croiser son regard, elle a presque l'attitude d'une enfant qui s'attend à se faire gronder.
Chieko inspecte Kagome de haut en bas, comme quand elle sort d'un combat, à la recherche de quelque chose.

Est-ce qu’elle est blessée ?
Il n’y a pas l’air d’avoir de trace de sang sur ses vêtements, sa tenue n’est pas abimée.
Elle a pleuré. Elle a les yeux rouges. Evidement.
Pourquoi est-ce qu’elle a l’air aussi gênée ? Ce n’est pas elle qui a fait quelque chose de mal.

Kagome fixe ses pieds, les mains dans le dos. Elle ne ramène l'une de ses mains qu'une seconde, pour replacer une mèche qui s'était échappée.

Mon dieu, ses yeux, magnifiques… Non, concentre-toi, ne te perd pas dans son regard.

Chieko commence à tendre instinctivement les mains vers Kagome, se ravise rapidement, secoue la tête, redresse ses cheveux.

Non, elle ne voudra pas de contact physique dans son état.
Elle va me repousser, c’est normal.
Juste lui parler.
« Tu... Tu vas bien? Tu es blessée ? »
Quelle question bête, même si elle avait été blessée, elle serait déjà guérie.

Kagome semble déboussolée, porte la main à sa joue.
« Non. C'est guéri. »
Puis elle rebaisse la tête et reprend son attente silencieuse.

Chieko serre les poings.
C’était donc vrai, il a osé, j’avais bien compris, il a osé, il a touché à Kagome, il lui a fait du mal !!
Chieko reprend :
« Il a vraiment osé. Il t’a fait du mal. »
Elle susurre :
« Je vais le tuer, il va payer. Il devait te protéger. »

Dire que j’étais prête à lui laisser Kagome pour leur bonheur, ce sale… c’est bien un homme, incapable de se retenir… Il doit payer.

Kagome semble légèrement paniquée :
« Quoi? Non! C'était pas sa faute. Enfin je veux dire... j'aurais dû être plus prudente. C'est normal, ça arrive. »

Pardon ? Comment ça ce n’était pas sa faute ?
« Plus prudente? »
Pourquoi elle a dit ça ?
« C'est normal ? »

Kagome explique :
« Oui. J'ai baissé ma garde, sans ça, ça ne serait pas arrivé. Il n'y a pas de quoi vouloir le tuer, quand les choses deviennent aussi intenses, ça dérape vite. »
Elle secoue la tête et se détend un peu.
« Je ne pensais pas que ça te bouleverserait à ce point-là. »

Chieko sens le rouge lui monter aux joues. Un mélange de colère et de gêne.

Elle a… Elle n’a pas été violée ?!
Elle a… couché avec lui ?
Elle était consentante ?
Elle aime Jun ?
« Mais ... Je croyais que... Tu... Il m'a dit que... Tu... »
Je n’arrive même pas à lui demander clairement. J’ai l’impression que mon cœur va exploser, je ne pensais pas que c’était encore possible…

Kagome fronce les sourcils.
« Ce n'était qu'une fracture Chieko... Pas de quoi te mettre dans des états pareils. »
Elle vient se mettre à genoux devant son amie. On dirait qu'elle réalise seulement à quel point celle-ci est perturbée. Sa main esquisse un mouvement aussitôt réprimé mais elle garde tout de même ses yeux dans les siens.
« Tu me connais, j'en ai vu d'autres. Mais je me remets toujours. »

Chieko baisse les yeux.

Juste une fracture ? Mais pourquoi Jun l’a blessé si elle était d’accord ?
« Je ne comprends plus rien. »
Chieko se prend la tête dans les mains.
« Si tu étais d'accord, pourquoi il t’a blessé ? »

« C'était un accident, rien de plus. »
Kagome sourit.
« Vraiment ça ne te ressemble pas de paniquer comme ça pour si peu. »
Son sourire s'attriste légèrement avant qu'elle n'ajoute quelques secondes plus tard :
« Sincèrement, je ne sais pas ce que tu deviendrais sans moi à tes cotés. Tu te rongerais sans doute. »

Kagome sourit ?
Mais oui, elle est heureuse, forcément.
Mais il l’a blessé ?
Ce n’est pas logique ?
Et comment ?

Chieko a les yeux écarquillés.
« Mais... »
Elle tourne la tête vers le camp.
« Comment est-ce qu'il a pu te faire une fracture? »
Si Jun avait agressé Kagome, c’est elle qui aurais eu le dessus.
Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ?

« Avec le pommeau de son sabre. L'élan a aidé bien entendu, mais j'imagine que tu n'as pas besoin de tous les détails. »

« Hein ? »
Chieko a les yeux ronds comme des soucoupes.

Il l’a menacée ?
Il y est allé avec son sabre, donc elle n’avait pas le choix.
« Il t’a menacé avec une arme ? »

« C'est un peu le principe en même temps. »
Kagome la regarde avec insistance:
« Tu es sûre que ça va? »

Comment est-ce qu’elle peut prendre ça à la légère ?
Elle n’a même pas l’air choquée.
Donc elle était bien consentante…
« Mais non ça va pas, je pensais pas qu'il serait capable de faire ça, j'y croyais pas quand il me l'a dit... »
Elle secoue la tête.
« Et tu en parle comme si de rien n’était, j’arrive même pas à savoir si tu étais consentante ou non… »
Chieko baisse encore la tête.
Et maintenant je suis en train de lui faire des reproches… tssss
« J’étais venue pour te réconforter et t’aider mais c’est l’inverse qui est en train de se passer… »

Kagome rétorque :
« Sur le principe oui. Même si j'avoue qu'à choisir j'aurai préféré éviter la partie concernant la fracture. »

Sur le principe oui… Alors c’est bien ça, Jun c’est mépris sur leur relation.
J’ai l’impression que quelqu’un est en train de piétiner les restes de mon cœur.
Je pensais que tout ce que nous avons vécu l’avait déjà fait voler en éclats.
Mais on peut encore les piétiner, ces éclats.

Kagome hausse légèrement un sourcil.
« Enfin je crois... De quoi on parle? »

Chieko se couvre le visage avec les mains.
Dans un murmure :
« Mais pourquoi il m’a dit qu’il t’avait violée alors ? »

« Hisashi t'a dit quoi? »
Kagome est blême, ses écailles frémissent sous la colère dessinant des vagues sur son corps.
Sous la tension qui la raidit sa tenue semble se plaquer sur ses épaules. Son regard devient froid, sa voix n'est qu'un sifflement :
« Je vais le tuer. Même si c'était pour plaisanter, c'est impardonnable. »

« Hisashi ? »
Chieko attrape Kagome par le poignet alors qu’elle passe à côté d’elle.
« Tu me parlais d'Hisashi? »

« Ne t'en fais pas, bientôt on en parlera plus qu'au passé. »

Chieko part d’un rire nerveux.
« Je te parles de Jun. »

« Jun? »
Toute à sa colère, il faut un moment à Kagome pour interpréter le sens de ce que Chieko vient de dire. Puis elle comprend et part elle aussi d'un fou rire.
« Ho bon sang... Non. » Elle rit tout en parlant. « Je pensais que tu faisais référence à ma blessure à l'entrainement. »
Elle continue de rire, un rire sincère, cathartique. Elle en pleure, et fini par s'asseoir pour ne pas perdre l'équilibre. Elle est toute proche de Chieko.
« Jun? Non, rien d'aussi dramatique. Hoho. »
Elle peine à reprendre son souffle. Chasse une larme du doigt.

Alors là… Qu’est ce qui se passe…
Donc Jun ne lui a pas fait du mal, mais qu’est ce qui s’est passé alors bon sang ?!

Son rire reprend de plus belle quand elle croise le regard de Chieko.
« Ha, si tu voyais ta tête... »

Une larme commence à couler le long de la joue de Chieko.

Kagome se calme, pose la main sur le visage de Chieko et écrase la larme du pouce. Il y a une grande tendresse dans son regard. Tous ses doutes semblent s'être envolés.
« Ce n'était qu'un baiser Chieko. Tu imagines vraiment Jun avoir ce genre de comportement? »
Elle secoue la tête, pleine de douceur, son sourire bien que toujours présent s'adoucit.
« Ma pauvre chérie, comme tu as dû te tourmenter. »
Elle serre Chieko sur son cœur.

Chieko s’effondre, elle se met à pleurer comme une enfant.
« Je comprends pas… »
Chieko essaye de parler mais sa voie est entrecoupée de pleurs.
« Il est venu… »
…
« Il était pas bien. »
…
« Il m’a dit que tu voulais plus lui parler. »
…
« Je suis sure qu’il a dit ça. »
…
« Il a dit qu’il t’avait violée. »
…
« Pourquoi il a dit ça ? »

Kagome caresse les cheveux et le dos de son amante. Elle lui murmure des paroles apaisantes jusqu'à ce qu’elle se calme un peu sans la lâcher pour autant.
« Il s'est montré maladroit, j'irai m'expliquer avec lui plus tard. »
Elle tapote son dos.
« Allons calme-toi, je suis là, je vais bien. Et lui aussi, quand il aura compris. »
Elle continue de tapoter son dos.
« Je te raconterai tout, c'est promis mais pas maintenant. Pour le moment il faut que tu te reposes un peu. »
Kagome change délicatement de position pour s'adosser contre l'arbre. Puis avec une douceur infinie, fait s’allonger Chieko la tête sur ses cuisses.
Elle lui caresse les cheveux en fredonnant très bas une chanson.



Je suis nulle, tellement nulle.
C’est elle qui me réconforte, encore.
Et moi je lui ai fait des reproches alors qu’elle n’a rien fait.
Et…

Kagome ne cherche pas à s'imposer, ses yeux bleus parcourent les environs sans inquiétude.

Au bout de plusieurs minutes, les larmes finissent par se calmer.
« Pardon. »

Kagome baisse les yeux sur Chieko.
« Pourquoi? »

« Je viens t'aider et je me retrouve à pleurer comme une gamine... »

Kagome rit doucement :
« Tu as beaucoup de poids sur les épaules. Si tu ne craquais pas de temps en temps, je crois que je m'inquiéterai bien plus. »

Chieko ne bouge pas et cache son visage dans les vêtements de Kagome.
Ses mains se crispent sur l’étoffe.

Il faut que je sache.
« Explique-moi. S’il te plait. »

Kagome la caresse sous les cheveux, à la naissance de la nuque.
« Hé bien... Jun est venu pour me remonter le moral après notre échange. On a parlé un peu, de nos désirs, de nos craintes. Et à un moment, il m'a embrassée. »

Le cœur de Chieko fait un bond dans sa poitrine.

La voix de Kagome est un peu songeuse, lasse mais elle continue sans chercher à dissimuler quoi que ce soit :
« Je ne m'y attendais pas, mais quand il s'est écarté... »
Elle soupire
« Il n'a vraiment pas le sens du timing. Ce baisé m'a jeté en plein désarroi, c'était la dernière chose dont j'avais besoin, surtout en ce moment. Alors je dois avouer que j'ai été débordée par mes émotions, ma colère, mes doutes, tout ça c'était trop d'un coup si tu vois ce que je veux dire. »
Elle continue à caresser les cheveux de Chieko.
« Je me suis enfuie. Plus tard quand il est venu me trouver, un peu comme toi, j'aurais dû lui répondre, mettre les choses au clair avec lui mais je n'en avais pas la force. En fait je ne sais même pas ce que j'aurai pu lui dire. »
Elle soupire de nouveau.
« Mais j'aurai dû me douter que ce grand sensible allait faire une bêtise du genre... J'ai manqué de clairvoyance. »

Et ensuite ?
Quelle bêtise, qu’est ce qui s’est passé ?
Non, je ne veux pas savoir.
Mais il le faut.
Si Kagome préfère Jun, je ne peux pas me voiler la face.
« Et ensuite? »

« Quoi ensuite? »

« Tu me dis qu'il est revenu te voir... Quelle bêtise ? Pourquoi il dit t'avoir... »

Le menton de Kagome décrit de petits arcs de cercles négatifs.
« Ensuite rien, il est reparti en s'excusant, comme souvent, et je suppose que c'est là qu'il t'a mis dans cet état. Je pense que pour lui la gravité de son geste est au moins celle qu'il t'a décrite. Mais ce n'était qu'un baiser. Rien de plus. »

Ça ne répond pas à ma question.
Il faut que je sache.
Que je lui demande.
Non, je ne vais pas encore la forcer, elle se vexerait.
Je suis censée avoir compris peut-être ?
Il faut que ce soit clair.
Comment lui demander ?

Chieko se redresse finalement et regarde Kagome, inquiète.
Dès qu’elle croise le regard de sa suivante, elle le détourne aussitôt.
« Je… »
Elle regarde par terre.
« Tu… »

Kagome passe deux doigts sous le menton de sa maîtresse, relève sa tête. Ses yeux d'un bleu azur et ses écailles opalescentes donnent un air presque irréel à Kagome, comme une créature sortie d'un conte. Elle ne cille pas pendant une seconde, puis se penche doucement vers Chieko et l'embrasse.
Moi je suis sûre.
L’espace d’un instant, j’ai senti un courant électrique me parcourir à son simple contact.
J’ai l’impression d’être une adolescente, d’être retournée à la maison, que tout cela n’a jamais existé.
Je l’aime.
Je ne veux pas la laisser partir.
Je ne PEUX pas.

Chieko se détend d'un coup et ose enfin prendre Kagome dans ses bras.
Elle blottit sa tête dans le cou de Kagome, comme pour se cacher.
Elle murmure :
« Reste avec moi. »

Kagome chuchote :
« Je te l'ai dit : Je suis à toi. Maintenant et pour toujours.
Quoi qui nous attende, quelles que soient les épreuves cela ne changera pas. »
Kagome reste pensive un moment avant d'ajouter:
« Nous sommes tous prêts à donner nos vies pour toi si nécessaire, alors je vais te faire une autre promesse. Une rien qu'à nous. »
Chieko sent l’étreinte autour d’elle se resserrer.
« Je te jure que tant que je vivrai, je continuerai de t'aimer de toute mon âme. »

Chieko n’a pas bougé, Kagome sens des larmes dans son cou.

« Kagome Kohaku… »
Il faut que je lui dise.
« Quand tout ça sera terminé… »
On n’est même pas sûrs de survivre à tout ça.
« Si on s’en sort… »
Je ne peux pas risquer qu’elle ne le sache pas.
« Est-ce que tu voudras devenir ma femme ? »
Mon dieu, mon dieu, mon dieu.
Et si ça se trouve, elle pense toujours à Jun.
Elle va dire non ?
Mon dieu s’il vous plait…

Elle serre Kagome contre elle, elle tremble légèrement.

Elle ne répond pas…
Elle ne sait pas comment me dire non.
Quelle cruche, c’était pourtant évident.
C’est Jun qu’elle préfère.
Et puis c’est la pire demande possible, rien de romantique.
Je vais mourir.

« J’en serai honorée. »

Hein ?

Elle lâche Kagome, recule un peu pour regarder la jeune femme.

Elle a dit oui ?

Chieko cligne plusieurs fois des yeux, l’air perplexe, d’avoir osé dire ça et de la réponse.
Elle a les yeux et le nez rouges.
Et elle se remet à pleurer.
« Tu… »
Un frisson parcours tout son corps quand elle réalise.

« Tu veux vraiment… »

Kagome acquiesce, souriante.

Chieko essaye de se calmer, n'y arrive pas, passe plusieurs fois les mains sur son visage pour essuyer les larmes.

Et là voilà qui pleure encore. Mais plus pour les mêmes raisons.
« Pardon. »
Qu’est-ce que je serais sans elle ?
Probablement morte déjà.
Et surtout perdue.
« Merci. »

Kagome enlace Chieko de nouveau et chuchote :
« Fais-moi plaisir... »
Puis elle l’attire contre elle et lui glisse à l'oreille
« Arrête de t'excuser quand tu fais ce que te dis ton cœur. Les conventions n'ont pas leur place entre nous. »

Chieko s'agrippe à Kagome de toute ses forces.

Elles restent ainsi sans bouger pendant un long moment.
Chieko apprécie juste la présence de sa moitié à ses côtés, sans dire un mot.

Elles finissent par revenir vers le camp au bout d’un long moment.

« Mais Chieko, j'aimerai tout de même que tu me promettes une chose. »

« Oui? »

Le visage de Kagome est étrangement sérieux.
« Ne laisse pas cette promesse t'empêcher de faire ce qui te semble juste. Si cet engagement devait nuire à ce que tu juges le mieux pour le futur, que ce soit pour l'empire, le monde ou quoi que ce soit d'autre, je veux que tu saches que je n'ai pas besoin de reconnaissance. Ma famille sers la tienne depuis les ombres aussi loin que remonte notre histoire. Si ça ne devait pas changer pour nous, je continuerai tout de même à honorer ma promesse. Tu ne me dois rien. »
Elle secoue la tête, un sourire doux-amer sur les lèvres.
« C'est bien la première fois que je te demande de faire preuve d'abnégation. C'est vraiment une drôle de nuit. »

Chieko sourit.
Met une pichenette sur le front de Kagome.
« Je mettrai tout en œuvre pour sauver le monde. »
Elle porte sur son âme sœur un regard emplit de malice.
« Mais n’oublie pas une chose. Mon monde, c’est toi. »




Nous sommes tous épuisés.
A bout de nerfs.
Jun attend depuis bien longtemps.
Il doit se sentir mal.
J’ai demandé à Kagome d’attendre.
Je vais demander à Jun d’aller se reposer.
C’est à Kagome de lui annoncer son choix.
Mais pas maintenant, pas dans notre état…


Au bout d’un temps qui a dû sembler infini à Jun, Chieko ouvre la porte.
La scène fait peur à voir, elle a les yeux et le nez rouge, des traces de larmes sur les joues.
Elle arrive seule.
Chieko regarde Jun pendant quelques secondes, les yeux dans le vague et soupire.
Elle s’approche et s’arrête juste à côté de lui.
Un autre soupir.
« Jun, tu es un abruti fini. Tu n’as fait de mal à personne, ou peut être juste à toi. »
Elle sourit.
« Tu es vraiment quelqu’un de bien. Rassure-toi, Kagome va bien. »

Jun semblait perdu dans ses pensées. Il n'a même pas entendu Chieko arriver, pas avant qu'elle ne commence à parler.
Il réfléchit quelques secondes, ne comprenant pas ce que son amie vient de dire, les mots sont bien là mais ils lui semblent totalement dénués de sens.
« Kagome va bien ? Je ne lui ai pas fait de mal ? »
Il semble incrédule.
« Pourtant elle est partie... Elle pleurait, je l'ai bien vue ! C'était juste après que... »
Quelque chose semble s'éclairer dans le regard de Jun, comme si un mécanisme grippé s'était remis en fonction dans sa tête. Un mécanisme finalement capable de donner un sens aux mots qu'il vient d'entendre.
Il ose enfin lever les yeux vers Chieko et commence à la bombarder de questions :
« Tu l'as trouvée ? Tu as pu lui parler ? Elle... Vraiment ? Elle va bien ? »
L'image du visage de Chieko semble arriver finalement à son cerveau. Il s'arrête soudain pour demander inquiet :
« Tu vas bien ? »

Le visage de Chieko, s’illumine avec un sourire plein de tendresse pour Jun. Cela contraste avec le reste.
« Oui je l’ai trouvée. Et oui, elle va bien et moi aussi. »
Elle secoue doucement la tête.
« Kagome est perdue en ce moment, tu le sais bien. Elle se pose beaucoup de question. Et toute cette situation n’a rien arrangé. »
Son regard fixe un point plus loin et elle détourne son regard.
« Je suis désolée pour toute cette situation. J’aurais aimé que tout se passe mieux. »
Elle redresse machinalement une mèche de cheveux.
« Tu sais, je t’aime Jun, pas comme j’aime Kagome bien sûr. Mais tu es aussi quelqu’un qui est important pour moi. Alors s’il te plait, ne me dit plus de rester loin, et de faire attention. Ne me donne plus du « sama » et surtout, ne pose plus les genoux à terre devant moi. »
Chieko tend les bras vers Jun.

Je ne veux pas le perdre non plus.
Il va me détester quand il va savoir.

Jun se relève. Il semble un peu soulagé. Après un premier pas hésitant vers Chieko, il s'arrête, ouvre la bouche pour dire quelque chose, puis se ravise. Il se contente de combler la distance qui le sépare d'elle, un peu mal à l'aise.

Chieko serre Jun dans ses bras.
Elle murmure.
« Je suis désolée pour tout. J’aimerais que tout le monde soit heureux. »
Tu lui as volé celle qu’il aime.
Chieko se remet à pleurer doucement.
« Je suis désolée. »
Et tu oses le prendre dans tes bras.
Quand Chieko referme ses bras, Jun se met à pleurer doucement sur son épaule.
Et tu le réconforte ?
Elle relâche son étreinte et éloigne doucement Jun.
Les larmes coulent sur le visage de Chieko, elle n’essaye même pas de les cacher.
Et le regarder dans les yeux ?
Elle évite le regard de Jun.
« Kagome te parlera, mais demain. Nous sommes tous à bout de nerfs. Nous devons nous reposer. »

Quand elle le relâche, il finit par dire à grand peine :
« Tu n'as à t'excuser de rien... Ce n'est pas toi qui m'a traité sans ménagement, comme si notre amitié n’avait jamais rien signifié. J'avais peur de ce qu'il s'était passé avec Kagome, je ne comprenais pas, mais ça n'excuse rien. Je suis sincèrement désolé et, comme pour Kagome, j'espère que je pourrai me racheter un jour. »
Notre amitié.
Bien sûr qu’elle signifie beaucoup pour moi.
Mais…
Non, ce n’est pas contre toi.
Il essuie ses larmes et essaie de sourire sans être très convaincant :
« C'est la deuxième fois que je fais des excuses à quelqu'un que j'ai fait souffrir, ce soir. Je suis vraiment nul. »
Mais non…
C’est moi qui vais te faire souffrir.
Te priver de ton bonheur.
Je le sais.
Et je ne suis même pas capable de te le dire.
Non, c’est à Kagome d’expliquer à Jun qu’elle ne veut pas être son amante.
Je fuis…

Quand elle entend ce que Jun dit, Chieko s’affale lourdement sur le sol.
Elle cache son visage dans ses mains.
Elle se met à pleurer comme une enfant.
« Et c’est toi qui t’excuse… Pardon, je suis désolée Jun… Pardon…. Pardon…. Pardon…. »
Elle arrive difficilement à parler.
« C’est à Kagome de te parler de ça. Pas à moi. Je peux pas. Pardon. »
Chieko de recroqueville.
« Je suis désolée… attend Kagome. J’espère que tu me pardonneras. »


Jun est en paniqué.
« Chieko ? J'ai encore dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Je comprends rien, je suis désolé, je suis vraiment nul ! »
Il ne sait pas quoi faire. Il fouille la tente du regard comme si la solution pouvait magiquement lui apparaitre.
Lorsqu’il l'attrape le bâton et commence à le secouer :
« Titan ? Titan ! »
Puis semblant se remémorer qu'il a affaire à un Eon, il repose le bâton révérencieusement avec un petit :
« Désolé... »

Non !!
Ne vous mêlez pas de ça.
Chieko murmure :
« Non, laissez-nous, ça ne vous concerne pas. »

Je le fais déjà souffrir.
Je dois me reprendre.

Elle se redresse légèrement, le visage baissé. Ses cheveux cachent ses yeux, elle semble fixer le sol.
« Non Jun, c’est moi qui suis nulle, pardon. »
Elle renifle.
« Je te promet que tu verras Kagome demain. »
Elle renifle de nouveau.
« Il faut que tu te reposes. Et nous aussi. »
Elle serre les poings.
« Pardon, on arrivera à rien de bon dans cet état. »
Je fuis…
Encore…
Je ne peux pas parler au nom de Kagome.

« D'accord, d'accord... Désolé... »
Jun s'approche de Chieko et lui tend sa main.
« Je vais te laisser mais avant laisse-moi au moins t'aider. »

Chieko lui tend la main et se relève. Elle évite systématiquement le regard de Jun.

C’est quelqu’un d’admirable.
Est-ce que Kagome ne serait pas plus heureuse avec lui ?
Si, surement.
Mais, je ne peux pas.
Sans elle je ne suis rien.

Jun évite également son regard.
« Euh... Bon... Du coup je te laisse... Ça va aller ? Tu es sûre ? Tu veux que je fasse entrer Hogosha peut-être ? »
Il est toujours aussi paniqué et hésite vraiment à laisser Chieko seule.

Chieko s’essuie le visage avec le dos de la main.
« Oui, tout ira bien, j’ai juste besoin de temps et de repos. »
Elle serre la main de Jun dans la sienne.
« …. Merci de t’inquiéter pour moi… »
Tellement attentionné.

Quand Chieko lâche sa main, Jun commence à reculer.
« Bon ben... Repose toi bien ok ? »
Puis, en sortant de la tente il se retourne et termine par un :
« Euh... Bonne nuit ? »
Un leader ?
N’importe quoi…
C’est vraiment moi qui les blesses le plus.

Une fois ressorti dans l'obscurité, Jun laisse tomber un profond soupir en levant les yeux au ciel.
« J'ai rien compris à ce qui s'est passé mais... Plus jamais ça par pitié. »
Puis, à Hogosha : « Veille bien sur Chieko cette nuit, elle en aura besoin. »

Il est encore plus stressé et perdu à cause de moi.
Je suis vraiment pitoyable.
J’avais juste à lui dire de patienter et d’aller se coucher…
Et j’ai même réussi à rater ça.

Au bout d’un certain temps, Chieko ouvre la porte. La scène fait peur à voir, elle a les yeux et le nez rouge, des traces de larmes sur les joues. Elle arrive seule.

Chieko regarde Jun pendant quelques secondes, les yeux dans le vague et soupire. Elle s’approche et s’arrête juste à côté de lui. Un autre soupir. “Jun, tu es un abruti fini. Tu n’as fait de mal à personne, ou peut être juste à toi.” Elle sourit. “Tu es vraiment quelqu’un de bien. Rassure-toi, Kagome va bien.”

Jun est perdu dans ses pensées depuis le départ de Chieko. Il ne l’a même pas entendu arriver, pas avant qu'elle ne commence à parler. Il réfléchit quelques secondes, ne comprenant pas ce que son amie vient de dire, les mots sont bien là mais ils lui semblent totalement dénués de sens. Il pense à voix haute : "Kagome va bien ? Je ne lui ai pas fait de mal ?" Il semble incrédule. "Pourtant elle est partie... Elle pleurait, je l'ai bien vue ! C'était juste après que..." Quelque chose semble s'éclairer dans son regard, comme si un mécanisme grippé s'était remis en fonction dans sa tête. Un mécanisme finalement capable de donner un sens aux mots qu'il vient d'entendre. Il ose enfin lever les yeux vers Chieko et commence à la bombarder de questions : "Tu l'as trouvée ? Tu as pu lui parler ? Elle... Vraiment ? Elle va bien ?"

L'image du visage de Chieko arrivant finalement à son cerveau il s'arrête soudain pour demander inquiet "Tu vas bien ?"

Le visage de Chieko, s’illumine avec un sourire plein de tendresse pour Jun, ce qui contraste avec le reste. ”Oui je l’ai trouvée. Et oui, elle va bien et moi aussi.” Elle secoue doucement la tête. “Kagome est perdue en ce moment, tu le sais bien. Elle se pose beaucoup de question. Et toute cette situation n’a rien arrangée.” Son regard fixe un point plus loin et elle détourne son regard. “Je suis désolée pour toute cette situation. J’aurais aimé que tout se passe mieux.” Elle redresse machinalement une mèche de cheveux. “Tu sais, je t’aime Jun. Pas comme j’aime Kagome bien sûr, mais tu es aussi quelqu’un qui est important pour moi. Alors s’il te plait, ne me dit plus de rester loin, et de faire attention. Ne me donne plus du ‘sama’ et surtout, ne pose plus les genoux à terre devant moi.” Chieko tend les bras vers Jun.

Jun se relève. Il semble un peu soulagé.

Elles vont bien. Toutes les deux. Quel soulagement ! Mais pourquoi elle s’excuse ? C’est moi qui ai fait n’importe quoi… C’est moi qui l’ai faite s’inquiéter...

Après un premier pas hésitant vers Chieko, il s'arrête, ouvre la bouche pour dire quelque chose, puis se ravise.

Non, je ne dois pas lui demander ce qu’il s’est passé. Ça pourrait encore mal tourner.

Il se contente de combler la distance qui le sépare d'elle, un peu mal à l'aise.

Chieko serre Jun dans ses bras. Elle murmure. “Je suis désolée pour tout. J’aimerais que tout le monde soit heureux.” Chieko se remet à pleurer doucement. “Je suis désolée.”

Pourquoi est-ce qu’elle tient tant à s’excuser ? Qu’est-ce que je loupe ? Je me sens encore plus mal vis à vis d’elle...

Jun aussi pleure sur son épaule. Il pleure de à cause de la fatigue. Il pleure à cause des nerfs qu’il a à vif depuis des heures. Il pleure de soulagement. Mais il pleure aussi de culpabilité.

Elle relâche son étreinte et éloigne doucement Jun. Les larmes coulent sur son visage, elle n’essaye même pas de les cacher. Elle évite le regard de Jun. “Kagome te parlera, mais demain. Nous sommes tous à bout de nerfs. Nous devons nous reposer.”

Jun finit par dire à grand peine : "Tu n'as à t'excuser de rien... Ce n'est pas toi qui m'as traité sans ménagement, comme si notre amitié n'avait jamais rien signifiée. J'avais peur de ce qu'il s'était passé avec Kagome, je ne comprenais pas, mais ça n'excuse rien. Je suis sincèrement désolé et, comme pour Kagome, j'espère que je pourrai me racheter un jour."

Il essuie ses larmes et essaie de sourire sans être très convaincant : "C'est la deuxième fois que je fais des excuses à quelqu'un que j'ai fait souffrir, ce soir. Je suis vraiment nul."

Quand elle entend ces mots, Chieko s’affale lourdement sur le sol. Elle cache son visage dans ses mains. Elle se met à pleurer comme une enfant. “Et c’est toi qui t’excuse… Pardon, je suis désolée Jun… Pardon…. Pardon…. Pardon….” Elle arrive difficilement à parler. “C’est à Kagome de te parler de ça. Pas à moi. Je peux pas. Pardon.” Chieko de recroqueville. “Je suis désolée… attend Kagome. J’espère que tu me pardonneras.”

Quoi ?! Non ! Qu’est-ce que j’ai encore fait ? Pourquoi tu réagis comme ça tout d’un coup Chieko ?!

Jun est paniqué. "Chieko ? J'ai encore dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Je comprends rien, je suis désolé, je suis vraiment nul !" Il ne sait pas quoi faire. Il fouille la tente du regard comme si la solution pouvait magiquement lui apparaître... Lorsque soudain : Le bâton !

La méditation c’est son truc ! Il pourra surement la calmer !

Il l'attrape et commence à le secouer "Titan ? Titan !" Puis se remémorant qu'il a affaire à un Aeon, il repose le bâton révérencieusement avec un petit "Désolé..."

Jun entend Chieko murmurer : “Non, laissez-nous, ça ne vous concerne pas.”

Elle se redresse légèrement, le visage baissé. Ses cheveux cachent ses yeux, elle semble fixer le sol. “Non Jun, c’est moi qui suis nulle, pardon.” Elle renifle. “Je te promet que tu verras Kagome demain.” Elle renifle de nouveau. “Il faut que tu te reposes. Et nous aussi.” Elle serre les poings. “Pardon, on arrivera à rien de bon dans cet état.”

Mais qu’est-ce qu’il se passe à la fin !

“D'accord, d'accord... Désolé..." Jun s'approche de Chieko et lui tend sa main "Je vais te laisser mais avant laisse-moi au moins t'aider."

Chieko prend sa main et se relève. Elle évite systématiquement le regard de Jun.

Jun évite également son regard. "Euh... Bon... Du coup je te laisse... Ça va aller ? Tu es sûre ? Tu veux que je fasse entrer Hogosha peut-être ?" Il est toujours aussi paniqué et hésite vraiment à laisser Chieko seule.

Chieko s’essuie le visage avec le dos de la main. “Oui, tout ira bien, j’ai juste besoin de temps et de repos.” Elle serre la main de Jun dans la sienne. “... Merci de t’inquiéter pour moi…”

Quand Chieko lâche sa main, Jun commence à reculer. "Bon ben... Repose-toi bien ok ?" Puis, en sortant de la tente il se retourne et termine par un "Euh... Bonne nuit ?"

Une fois ressortis dans l'obscurité, Jun laisse tomber un profond soupir en levant les yeux au ciel.

J'ai rien compris à ce qui s'est passé mais... Plus jamais ça par pitié…

Avisant Hogosha à côté de la tente, il lui dit : "Veille bien sur Chieko cette nuit, elle en aura besoin." Après quoi il part s’effondrer dans sa propre tente avec l’impression de n’avoir pas dormi depuis des jours.

Une fois un peu calmée Kagome s’étendit sur la branche du chêne ou elle se trouvait, sur le flanc d’abord puis après de longues minutes sur le ventre, la tête enfouie dans ses bras. Elle en avait plus qu’assez de cet exercice : analyser ses sentiments, se questionner, penser. Tout ça n’était pas dans ses habitudes.
Elle aurait juste voulu s’élancer en avant et voir ou les choses l’amèneraient comme le lui suggérait Kakan mais elle savait que c’était une mauvaise décision. Comme Kyooyo le lui rappelait, si elle faisait n’importe quoi elle ferait souffrir ses amis. Et puis Satori n’aimait pas qu’ils agissent sous le coup de l’émotion. De même que Ganko qui préférait qu’ils choisissent une ligne de conduite et s’y tiennent. Hasei et Shinme n’avaient pas d’avis précis sur la question, ce qui n’empêchait pas le premier de mettre son grain de sel dans le débat dès qu’il en avait l’occasion.

Après une interminable discussion et une bonne dose de patience et de diplomatie Kagome sentait poindre une migraine mais elle possédait quelques éléments de réponses sur ce qu’elle éprouvait et pourquoi elle avait été chamboulée à ce point. Elle craignait que ses sentiments pour Jun ne se soient développés au détriment de ceux qu’elle éprouvait pour Chieko. Ou qu’elle ait développé ces sentiments parce qu’elle avait réalisé qu’elle ne les éprouvait pas vraiment pour la jeune femme mais qu’ils étaient forcés, artificiels. Et ce qui la terrifiait plus que tout c’était de savoir que, si c’était le cas, l’apprendre allait dévaster sa maîtresse. Elle même, malgré sa tournure d’esprit particulière, n’était pas totalement à l’aise avec l’idée que toute leur histoire commune n’ait été qu’une imposture.

En fait elle évitait soigneusement de s’appesantir sur la question, cette simple idée étant déjà bien trop douloureuse. Kagome préférait plutôt se questionner sur l’impact que pourrait avoir cette histoire sur son rôle auprès de Chieko. Après tout, officiellement elle n’était que la demoiselle de compagnie de son amie, et maintenant qu’elle ne pouvait plus prétendre être sa doublure… Est-ce qu’elle avait encore sa place dans ce périple ? Elle aurait voulu croire qu’elle était nécessaire au groupe, surtout au combat mais elle n’était pas du genre à se mentir pour ménager son égo. Et de toute façon Satori lui rappelait les faits sans ménagement, ce qui était plus que suffisant pour qu’elle ne puisse pas se voiler la face. En situation de combat elle n’avait jamais résisté à la première attaque qu’elle avait subi, l’exception avait été durant leur combat contre Ifrit mais elle soupçonnait l’Aeon de les avoir ménagés. Et ses prises de décisions étaient pour le moins discutables, comme par exemple le fait de retraverser le lac de sang seule juste pour aller essayer de calmer Chieko. Non, objectivement elle n’était pas un atout stratégique, en tout cas plus depuis qu’elle avait perdu sa fonction de Kagemusha. Logiquement donc, la seule raison pour laquelle elle était encore là c’était sa relation avec l’héritière. Hors, si cette relation venait à disparaître…

« Kagome ? Est-ce que tu veux me parler ? »

Une voix venue du sol. Absorbée par ses réflexions elle n’avait pas entendu que quelqu’un s’était approché de l’arbre. Décalant légèrement son coude elle vit que c’était justement la femme qui occupait ses pensées qui s’était adressée à elle. Ce n’était pas vraiment la personne qu’elle aurait voulu voir à ce point de ses réflexions mais, apparemment, c’était systématiquement le cas. Une autre raison qui la poussait à croire que l’univers entier semblait vouloir la dissuader de réfléchir. Détournant la tête pour reposer sa tempe sur ses avant-bras elle grommela vaguement une réponse : « Pas vraiment non. » La présence de la jeune femme faisait rejaillir la peur confuse qu’elle s’efforçait de chasser. Lui parler serait sans doute pire.

Elle ne savait pas si l’autre avait saisi sa réponse ou pas, mais elle l’entendit s’éloigner, juste avant que les pas ne se rapprochent de nouveau pour marquer un arrêt sous sa branche.
Puis de s’éloigner encore, mais cette fois de l’autre côté, avant de revenir.
Elle fait les cent pas. Conclut Satori. En général c’est quand quelque-chose la travaille et quelle ne sait pas comment l’aborder.
Je suis au courant, merci. Sa réponse n’était pas agressive, mais la présence de Chieko l’irritait légèrement. Que ce soit le fait qu’elle ne tenait pas compte de son avis, son irrésolution ou peut-être juste parce qu’en sa présence, Kagome était incapable de nourrir plus avant ses réflexions, elle aurait préféré que la Daishoji ne se trouve pas ici à ce moment précis. Elle faisait de son mieux pour l’ignorer, mais malgré elle un recoin de son esprit gardait la trace de son activité, essayait de se représenter ce qu’elle faisait d’après les sons.
Est-ce que Jun ne lui avait pas dit qu’elle avait besoin de rester un peu seule ?
Et si oui, pourquoi était-elle venue malgré tout?

Chieko venait de se laisser tomber au pied du chêne. Cela aussi ne lui ressemblait pas trop. C’était seulement quand elle était épuisée ou effondrée qu’elle se laissait aller ainsi. En temps normal elle aurait rassemblé ses vêtements autour d’elle avant de s’asseoir de façon gracieuse et contrôlée. Kagome fit un violent effort pour ne pas jeter un nouveau coup d’œil en bas. Si elle ne réagissait pas, Chieko se découragerait peut-être et finirait par s’en aller, ce qui lui laisserait de nouveau le loisir de réfléchir…
Et en même temps elle avait l’impression que toutes ces pensées qu’elle nourrissait formaient petit à petit une dense et noire fumée qui asphyxiait son esprit. Est-ce qu’elle s’était déjà sentie mélancolique comme ça ? Elle voyait bien quelques occasions, mais dans la situation actuelle il n’y avait pas de dénominateur commun.

Un murmure, un appel à l’aide.

« Descend… S’il te plait… Je t’en prie… »

Elle essaya de résister mais presque malgré elle son corps se mettait en mouvement. Et l’image de Chieko assise au pied de l’arbre la mine défaite qu’elle avait en tête sapa vite le peu de raisons qu’elle avait pour l’éviter. Kagome prit donc une inspiration rendue saccadée par son irritation de céder au premier appel et sa relativement récente crise de larmes puis soupire en abandonnant la lutte, avant de se laisser couler le long de sa branche. Elle atterrit sur celle juste en dessous, trouva une autre candidate et se laissa tomber dessus, rebondit ainsi vers une autre et ce jusqu’à ce que ses deux pieds arrivent finalement au sol, à quelques mètres d’une Chieko la scrutant dans les moindres détails.

Un peu malgré elle Kagome joignit les mains dans son dos, fixant le sol devant la pointe de ses pieds. Elle n’était pas à l’aise devant Chieko, elle ne voulait pas que cette confrontation ait lieu. Elle ne voulait pas découvrir ce qu’étaient devenus ses sentiments pour elle. Pendant la descente une mèche de cheveux s’était échappée devant son visage. Elle la plaça rapidement derrière son oreille avant de reprendre son attente silencieuse. Même sans la regarder, elle discernait les remous que l’énergie de sa maîtresse faisait autour d’elle. Oui elle était inquiète et préoccupée par quelque-chose. En revanche Kagome ne voyait Hogosha nulle part aux alentours. Chieko parlait :

«Tu… Tu vas bien ? Tu es blessée ? »

Blessée ? Pourquoi aurait-elle été blessée ? Sa dernière blessure en date c’était… Elle porta instinctivement la main à sa mâchoire là ou Hisashi l’avait frappée. Est-ce que Chieko avait eu vent de cet incident ? Est-ce que c’était pour cela qu’elle s’inquiétait ? Elle était en tenue de nuit, peut-être qu’Hisashi ne la voyant pas revenir au camp avait cru bon de l’avertir. Et une chose en entraînant un autre Chieko s’était mise à sa recherche morte d’inquiétude.

« Non. C’est guéri. »

Elle se sentait d’autant plus mal à l’aise maintenant qu’elle comprenait que la présence de Chieko n’était qu’un malentendu. Jun n’avait pas dû la croiser avant qu’elle ne se lance à sa recherche. Et selon ce qu’Hisashi lui avait dit, sa conduite première avait dû encore plus l’inquiéter. Il se pouvait qu’elle ait perdu son affection pour Chieko, mais elle s’inquiétait quand même pour elle. Il n’y avait aucune raison de la tourmenter plus que nécessaire.

« Il a vraiment osé. Il t’a fait du mal. »

Le ton de chieko déclencha comme une alarme à l’intérieur de Kagome.
Colère.
Fuir.
Protéger.
Tuer.
Danger.
Servir.

Chieko avait un regard anormalement fixe, ses poings blanchissaient aux jointures tant elle les serrait fort. Elle parlait bas, avec une douceur et une passion malsaine.
« Je vais le tuer, oh il va payer. Il devait te protéger. »

«Quoi?! Non! »

La panique s’emparait de Kagome. Elle n’avait jamais vu Chieko dans cet état de toute sa vie.
En fait elle ne la pensait même pas capable d’éprouver une colère aussi violente.
Il y avait sûrement un grand malentendu derrière tout ça. Il fallait qu’elle le dissipe le plus vite possible.

Hisashi! Qu’est-ce que tu as bien pu lui dire pour la mettre dans cet état ?

« Ce n’était pas de sa faute ! »
En fait, si c’est bien lui qui t’a cassé la mâchoire.
Satori n’avait pas tort mais ce n’était pas le moment.
« Enfin, je veux dire… J’aurais dû être plus prudente. »
Pourquoi réagissait-elle de façon aussi disproportionnée ?
Ce n’était pas la première fois qu’elle se blessait à l’entraînement.
« C’est normal, ça arrive! »

La fureur de Chieko sembla vaciller. Elle répétait comme si les mots avaient du mal à trouver leur chemin dans son esprit : « Plus prudente ? C’est normal ? »

Continue de parler.
«Oui.»
Trouver les bons mots, vite.
Elle se remémore l’action, ça lui semble déjà si lointain.
« J’ai baissé ma garde. Sans ça, ça ne serait pas arrivé. Il n’y a pas de quoi vouloir le tuer. Quand les choses deviennent aussi intenses, ça dérape vite. »

Kagome secoue la tête. Elle semblait avoir réussi à stopper les pulsions meurtrières de sa compagne mais elle n’arrivait toujours pas à croire ce dont elle avait été témoin. Et tout ça pour quoi ? Une bête fracture ?
« Je ne pensai pas que ça te bouleverserait à ce point. »

Chieko semble perdue, comme un poisson hors de l’eau elle ouvre quelques fois la bouche avant de parvenir à émettre des sons. « Mais… Je croyais que… » Son visage devient rouge vif elle est en proie à une émotion intense. « Tu… » Puis elle semble de nouveau perdue « Il m’avait dit que… Tu… »

Kagome fronce les sourcils.
«Ce n’était qu’une fracture Chieko. Pas de quoi te mettre dans des états pareils. »
Elle n’est clairement pas dans son état normal. Remarque Satori.
Non, acquiesce Kyooyo, il doit y avoir quelque-chose de plus que cette histoire de fracture.

L’héritière du clan Kohaku s’agenouille devant la jeune femme éperdue. Elle voudrait saisir ses mains pour la tranquilliser mais une pensée la retient. En a-t-elle vraiment le droit ? Elle plonge tout de même son regard dans les yeux de Chieko. Elle voudrait l’étreindre, l’aider à se tranquilliser. Elle parle d’un ton très doux.
« Tu me connais, j’en ai vue d’autres. Mais je me remets toujours. »

L’élue des Aeons baissa les yeux. Comment quelqu’un qui détenait un si grand pouvoir pouvait paraître aussi vulnérable ? Le cœur de Kagome se serait dans sa poitrine en la voyant se prendre la tête des deux mains.
« Je ne comprends plus rien. » Disait-elle « Si tu étais d’accord, alors pourquoi il t’a blessé ? »

« C’était un accident, rien de plus. »
Elle gardait le même ton rassurant qu’elle avait adopté plus tôt. Un sourire fleurit sur son visage, comment ce petit brin de femme faisait-il pour la faire fondre de la sorte ? Elle pouvait se montrer si forte parfois, et si désemparée par moments. «Vraiment, ça ne te ressemble pas de paniquer comme ça pour si peu. Sincèrement...»

Attention. Lui souffla Hasei. Tu vas lui retomber dans les bras à ce rythme.
Mais peut-on la laisser souffrir ainsi sans rien faire ? Demandait Shinme.

Malgré elle son sourire s’attristait. Oui, elle avait créé une distance entre elles pour une bonne raison, elle ne devait pas perdre cela de vue. Pourtant la pensée de s’éloigner d’elle lui était tellement douloureuse.
«Je ne sais pas ce que tu deviendrais sans moi à tes cotés. Tu te rongerais sans doute. »

Chieko qui poursuit ses propres réflexions écarquille les yeux . « Mais... » Elle tourne son regard vers leur campement, fronçant les sourcils comme si elle constatait la présence d’une mouche dans son bouillon.
« Comment est-ce qu’il a pu te faire une fracture ? »

La chose semblait évidente à Kagome qui haussa imperceptiblement les épaules pour répondre sur le ton de l’évidence: « Avec le pommeau de son sabre. L’élan a aidé bien entendu mais j’imagine que tu n’as pas besoin des détails.»

« Hein ?! »
Les yeux de Chieko venaient de tripler de taille sous le coup de l’émotion. On aurait presque dit qu’ils essayaient d’échapper à leurs orbites. «Il t’as menacé avec une arme ? »

« C’est un peu le principe en même temps.»
Kagome était atterrée comment pouvait-on ne serait-ce qu’envisager de parler de situation de combat réel sans imaginer l’utilisation d’une arme ? D’autant qu’Hisashi et Osamu étaient tous deux rompus au maniement du sabre, il aurait été idiot pour eux de ne pas s’en servir même à deux contre une.
L’état de Chieko l’inquiétait de plus en plus. Quelque-chose ne tournait définitivement pas rond chez elle ce soir. Elle s’efforça de cacher son inquiétude du mieux qu’elle pouvait en demandant :
« Tu es sûre que ça va ? »

« Mais non, ça ne va pas ! » La jeune femme était au bord de la crise de nerfs. « Je ne pensais pas qu’il serait capable de faire ça. Je n’y croyais pas quand il me l’a dit… » Elle secoua la tête. Kagome pouvait voir des larmes perler au bord de ses cils. « Et tu en parles comme si de rien n’était. Je n’arrive même pas à savoir si tu étais consentante ou non... » Enfin, baissant la tête elle avoua plus bas : « J’étais venue pour te réconforter et t’aider, mais c’est l’inverse qui est en train de se passer… »

Plus leur conversation avançait, moins Kagome comprenait. Pourquoi aurait-elle eu besoin d’être réconfortée ? En quoi cette histoire de blessure à l’entraînement nécessitait toute cette angoisse et cette agitation ? Elle pouvait au moins aider Chieko sur un point. Son interrogation sur le consentement.
« Sur le principe oui. Même si j’avoue qu’à choisir j’aurai préféré éviter la partie concernant la fracture. »

A ces mots elle vit son amie s’effondrer sur elle-même, comme si quelque chose en elle se désagrégeait.
« Enfin je crois… » Elle fronçait les sourcils devant ce spectacle. Il y avait trop de points qui ne collaient pas, trop d’incohérences entre ce qu’elle disait et les réactions de Chieko. Est-ce que par hasard il se pouvait qu’elles soient en train de discuter de deux sujets complètement différents ?
Le seul moyen d’en avoir le cœur net était de poser la question : « De quoi on parle ? »

Chieko ne semblait pas l’avoir entendue. Elle avait caché son visage dans ses mains. Kagomait hésitait à reposer sa question quand elle laissa enfin échapper dans un souffle, à peine un soupir.
« Mais pourquoi il m’a dit qu’il t’avait violé alors? »

Le choc d’abord.
« Hisashi t’as dit quoi ? »
Puis la compréhension, Chieko était dans cet état parce qu’elle pensait qu’il lui était arrivé quelque-chose d’horrible. Hisashi était venu la trouver et avait dit…
En elle six voix sifflaient d’indignation. Et elle même se joignait à leur cœur.
Enfin la colère. Elle serrait les poings si fort que le sang avait dû arrêter d’y circuler. La tension en elle était telle qu’elle sentait les muscles de son dos se faire douloureux, particulièrement le long de sa colonne vertébrale. Mais dans sa rage elle n’y prêtait pas vraiment attention, pas plus qu’aux frissons qui la parcouraient, propageant des ondes chatoyantes en faisant frémir ses écailles.
Elle siffla entre ses dents.

« Je vais le tuer. »
Qu’il ait osé dire ça sans raisons, sur elle, à Chieko qui plus est… Oh oui, il allait souffrir.
« Même si c’était pour plaisanter, c’est impardonnable. »

Loin de sa conscience, Chieko parlait:
« Hisashi ? Tu me parles d’Hisashi ? »
«Ne t’en fais pas. » Lui répondit Kagome. « Bientôt on en parlera plus qu’au passé. »

Chieko partit d’un rire cassant. Son esprit venait manifestement d’atteindre sa limite. Hisashi devrait répondre de ça aussi. Qu’il dise des choses aussi horribles sur elle passe encore, il avait peut-être une explication, mais qu’il les dises à Chieko… Kagome se leva. Bien décidée à régler toute l’histoire dans les minutes à suivre elle tourna les talons. Mais la main de Chieko saisit sa manche au vol, la retenant :

« Je te parles de Jun. »
« Jun ? »

Qu’est-ce que Jun venait faire là-dedans ?

Dans le brouillard de sa colère l’information peinait à lui parvenir, de même que ses implications, mais le processus se fit malgré tout. Puis comme si le jour entrait soudain dans une pièce, tout devint clair dans son esprit. Toute cette conversation qu’elles venaient d’avoir n’était qu’un vaste malentendu. Libérée de toutes ces émotions d’un coup, Kagome ne put que se mettre à rire à son tour. En fait elle aurait été bien en peine de s’arrêter. Elle en pleurait même.

Elle se laissa tomber à côté de Chieko tant qu’elle voyait à peu près ou elle se trouvait.
« Jun? Non, rien d’aussi dramatique. Hoho. »
Elle peinait à articuler tant elle riait. Elle finit par se calmer un peu, chassant une larme coincée au coin de ses cils du bout d’un doigt elle regarda sa douce Chieko à côté d’elle.
Et repartit de plus belle devant sa mine incrédule. «Ha, si tu voyais ta tête...»

La larme qui roula sur la joue de la jeune femme lui fit vite reprendre la maîtrise d’elle. Elle ne devait pas trouver ça aussi risible qu’elle. Kagome posa la paume de sa main sur la joue de Chieko. Comment avait-elle pu douter ne serait-ce qu’une seconde des sentiments qu’elle éprouvait pour cette femme ? Comment ne s’était-elle pas rendu compte qu’elle ferait n’importe quoi pour elle, quels que soient les circonstances, le contexte, les enjeux ? Et que rien ne pourrait diminuer l’amour qu’elle lui portait ?

Du pouce elle écrasa la larme qui lui faisait l’affront de rouler sur la joue de celle qu’elle aimait. Elle débordait de tendresse quand elle lui dit du ton rassurant : « Ce n’était qu’un baisé Chieko. » Son sourire s’élargit en poursuivant: « Tu imagines vraiment Jun avoir ce genre de comportement ? »
Bien sûr que non, il en était incapable. Il était beaucoup trop bon pour ça. Il devait y avoir eu un malentendu entre lui et Chieko. Et de là, elle s’était imaginée une pléthore de scénarios tous plus catastrophiques les uns que les autres. C’était assez courant chez elle mais elle avait dû vraiment se faire souffrir cette fois en se figurant ce genre de choses. Kagome compatissait de tout son cœur.
« Ma pauvre chérie, comme tu as dû te tourmenter. »

Qu’aurait-elle pu faire à ce moment-là sinon l’étreindre contre sa poitrine comme une mère consolant son enfant ? Après les craintes qu’elle avait éprouvé et le dialogue déconcertant qui venait d’avoir lieu, cette enfant fondit naturellement en larmes, lâchant la bride à ses émotions.

« Je comprends pas… »
Malgré ses pleurs, Chieko essayait de parler. Entre les larmes et les hoquets, Kagome parvenait à saisir quelques mots de loin en loin.
«Il est venu… »
Jun sans doute.
« Il était pas bien… »
Pas bien ? Il aurait dû être ravi pourtant. À moins que ce n’ait été de faire face à Chieko après l’avoir embrassée qui l’avait embarrassé ?
« Il m’a dit que tu ne voulais plus lui parler… »
Alors c’était à cause de son état après leur baisé ? Se pouvait-il qu’il ait mal interprété son silence ?
«Je suis sûre qu’il a dit ça… »
C’était peut-être aussi elle qui avait mal compris ses intentions quand il l’avait laissée seule. Quand il s’était excusé, et avait dit aller parler à Chieko.
« Qu’il t’avait violée… »
Oh, Jun…
C’était bien ça, cette fois-là aussi ils ne s’étaient pas compris. Et avec son caractère il avait dramatisé la situation. Mais pourquoi de toutes les personnes sur terre avait-il choisi d’aller parler à Chieko dans ce cas?
« Pourquoi il a dit ça ? »

Pourquoi en effet ? Kagome arrivait à peu prés à se faire une idée de ce qu’il s’était passé pour chacun d’eux au cour de cette soirée maintenant. Jun avait dû paniquer quand elle s’était enfuie, et cette panique s’était transmise à Chieko. Chieko qu’elle devait apaiser maintenant que les choses s’éclaircissaient.

Tout en réfléchissant, elle continuait de caresser le dos de son amante, murmurant des paroles de réconfort. Sans vraiment chercher à leur donner de sens. Elle attendait que Chieko reprenne un peu le contrôle de ses sens pour la rassurer de façon plus rationnelle. Quand ce fut le cas elle dit :

« Il s’est montré maladroit, j’irai m’expliquer avec lui plus tard. »

Oui il y avait un gros malentendu entre eux. Elle ne s’était pas enfuie à cause de ce baisé, mais à cause de la peur de ses implications. Elle n’avait pas pu lui parler à cause de son émotion et non pas parce qu’elle le détestait. Comment aurait-elle pu détester quelqu’un qu’elle aimait ? Qu’elle venait de laisser l’embrasser ? Mais pour l’heure elle devait s’occuper de la jeune femme dévastée qu’elle tenait contre elle. Délicatement elle commença à tapoter son dos du bout des doigts tout en lui susurrant :

« Allons, calme toi. »
A cet instant c’était son vœu le plus cher. Que l’averse cesse dans ces yeux magnifiques.
« Je suis là. »
Elle la serrait, pour que son corps sente sa présence, son amour.
« Je vais bien. »
Elle n’avait jamais été en danger. Et maintenant elle savait exactement ce qu’elle éprouvait.
« Et lui aussi quand il aura compris. »
Oui après tout si elle l’aimait et que lui aussi l’aimait, il n’y avait qu’à dissiper ce malentendu pour que Jun cesse de se tourmenter sur ce qu’il s’était passé. C’était si simple.

Son attention revint sur la femme qu’elle aimait. Elle aussi méritait qu’on lui explique ce qu’il s’était passé durant cette nuit. Sans quoi elle ne serait jamais totalement rassurée et risquait de continuer d’imaginer des choses. Kagome murmurait, plus comme une promesse pour elle-même que pour être réellement entendue de Chieko :
« Je t’expliquerai tout, c’est promis, mais pas maintenant. Pour le moment il faut que tu te reposes un peu.»

Délicatement, pour ne pas déranger Chieko, elle se cala un peu plus contre le tronc de l’arbre qui les soutenait. Puis avec une infinie douceur elle fit s’allonger son aimée pour que sa tête repose enfin sur l’oreiller de ses cuisses. Elle se mit alors à lui caresser les cheveux, en attendant qu’elle se calme.
Un peu plus tard elle fredonnait sans y penser une vieille comptine au rythme doux, comme une berceuse. L’histoire parlait d’un baleineau qui devait parcourir le vaste océan pour trouver ce qui était cher à son cœur et revenait toujours à l’amour de sa mère.
Tout en chantant Kagome laissait son regard parcourir les environs. Elle était sereine. Elle attendrait le temps qu’il faudrait pour que Chieko se remette, et elle lui donnerait tout l’amour et toute la douceur dont elle aurait besoin pour ce faire. Le temps s’écoulait lentement à travers le bruit des feuilles et le doux fredonnement. Les pleurs s’estompaient larme après larme, sous les tendres caresse. L’instant s’éternisait dans sa simplicité, quand enfin s’essuyant le visage la jeune femme pu de nouveau parler.



« Pardon. »
« Pour quoi ? » Demanda-t-elle surprise.
Chieko était toute penaude, bien qu’elle ne se soit pas relevée Kagome pouvait le voir très clairement.
« Je viens pour t’aider, et je me retrouve à pleurer comme une gamine… »

La mine boudeuse de la gamine en question confortait cette image. Devant cette vision Kagome laissa échapper un rire discret et clair comme une pluie de perles. Elle reprit en caressant le crane sous les cheveux de son amante du bout des doigts : « Tu as beaucoup de poids sur les épaules. Si tu ne craquais pas de temps en temps, je crois que je m’inquiéterai plus. »

L’autre ne dit rien. Toujours blottie contre elle, ses mains jouaient avec l’étoffe de sa tenue. Puis après un moment elle vint enfouir son visage dans le tissu, resserrant sa prise comme si elle s’attendait à souffrir.
Elle demanda, d’une voix étouffée tant par l’inquiétude que par les vêtements qui dissimulaient son visage :
« Explique-moi. S’il te plaît. »

La brune suspendit sa caresse pendant une seconde. Elle aurait préféré que sa compagne soit complètement reposée avant de lui faire ce récit, mais elle savait également que c’était peine perdue que d’essayer de lui faire entendre raison. Elle ne pourrait pas trouver le repos tant qu’elle n’aurait pas eu la certitude que tout allait bien. La servante reprit donc ses caresses, plaçant ses doigts à la naissance de la nuque cette fois-ci. « Hé bien… » Par quoi commencer ? Le plus simple était sans doute de reprendre depuis le début, en peu de mots.

« Jun est venu pour me remonter le moral après notre échange. On a parlé un peu, de nos désirs, de nos craintes. Et à un moment il m’a embrassée. Je ne m’y attendait pas, mais quand il s’est écarté...» Encore une fois elle replongeait dans ce souvenir, combien de fois y avait-elle repensé durant ces quelques heures ? Mais cette fois elle devait poursuivre son récit. Elle se contenta de soupirer. « Il n’a vraiment pas le sens du timing.» Avant de continuer : « Ce baisé m’a jetée en plein désarroi. C’était la dernière chose dont j’avais besoin, surtout en ce moment. Alors je dois avouer que j’ai été débordée par mes émotions, ma colère, mes doutes. Tout ça, c’était trop d’un coup, si tu vois ce que je veux dire. »

Oui, elle n’avait pas été en mesure de gérer cet afflux, sans parler de son cercle qui ne facilitait pas les choses. Quand ils travaillaient tous de concert c’était un vrai bonheur, chacun apportait ses qualités et son regard à la situation, elle n’était plus seule. Mais dès qu’elle doutait, qu’elle perdait une once de sa détermination tout lui échappait. Chacun n’en faisait qu’à sa tête, et elle était comme un radeau mal assemblé en pleine tempête, chacune de ses planches menaçant de se désolidariser de l’ensemble. Et dans ces moments là elle était plus seule que jamais. Ce qui avait été le cas après ce baisé.

« Je me suis enfuie. »

Que dire de plus ? La suite présentait d’étranges similitudes avec ce qu’il s’était passé au début de leur conversation actuelle.
« Plus tard, quand il est venu me trouver, un peu comme toi, j’aurai dû lui répondre, mettre les choses au clair avec lui mais je n’en avait pas la force. En fait, je ne sais même pas ce que j’aurai pu lui dire. »
Elle avait pensé qu’il savait pourquoi elle s’était éloignée. Si à ce moment-là il avait insisté, ou qu’elle avait pu lui parler les choses auraient sans doute été plus simples. Elle soupira.
« Mais j’aurai dû me douter que ce grand sensible allait faire une bêtise. J’ai manqué de clairvoyance. »

Voilà, après cela Jun était allé trouver Chieko et, pensant avoir agi sans son consentement, s’était accusé des pires horreurs qui lui venaient en tête. Ce qui avait complètement chamboulé celle-ci et donné lieu à ce qui devait être selon elle le plus spectaculaire malentendu de l’histoire.

« Et ensuite ? »

La timide question de Chieko la tira de ses réflexions.

« Quoi ensuite ? »

« Tu dis qu’il est revenu te voir… Quelle bêtise ? Pourquoi il dit t’avoir… »

Devant le spectacle du menton de Kagome qui dansait de gauche à droite, Chieko ne termina pas sa phrase.

« Ensuite rien, il est reparti en s’excusant, comme souvent, et je suppose que c’est là qu’il t’a mise dans cet état. Je pense que pour lui la gravité de son geste est au moins celle qu’il t’as décrite. Mais ce n’était qu’un baiser. Rien de plus. »

Maintenant qu’elle savait tout, elle finirait par se calmer, ce n’était qu’une question de temps. Mais pendant qu’elle digérait tout ça, Kagome ne pouvait pas s’empêcher de la contempler. On lui avait inculqué beaucoup de choses au fil de son éducation, mais avec le temps elle en avait remis un bon nombre en question, et finalement elle avait trouvé sa vérité. Le seul juge qu’elle devait souffrir c’était son cœur. Tant qu’elle agissait en accord avec sa nature fondamentale elle ne pouvait pas se tromper. Quand elle était jeune on lui avait appris qu’une femme était destinée à aimer un homme. Pourtant elle savait depuis longtemps que ce n’était pas une fatalité. Et aujourd’hui son cœur lui soufflait une autre vérité.

«Je… » Les grands yeux de Chieko étaient braqués sur elle, mais la jeune femme aux cheveux roses les détourna presque aussitôt. Pour ensuite les baisser vers le sol.
Kagome était certaine de ses sentiments, mais elle savait comment confirmer son intuition. Une simple expérience qui révélerait une fois pour toute si c’était son cœur ou son éducation qui détenaient la vérité.
« Tu… »

Elle glissa deux doigts sous le menton de Chieko avec délicatesse et fermeté, pour ramener sur elle ces deux diamants scintillants. Cette femme était belle. Non, divine. Lentement elle se pencha vers elle sans cesser de la soutenir du bout de ses doigts. Enfin, avec tendresse elle l’embrassa. En elle tout était clair. Sûr.
Oui ce sentiment était plus fort, mieux ancré grâce à des années de complicité et de partage, mais le contact de ces lèvres ne saurait mentir. Elle ressentait de l’amour pour Chieko. Et Jun. Et si ce dernier sentiment était encore timide d’être arrivé le second, il n’était plus hésitant. L’amour qu’elle portait à l’un n’affaiblissait pas celui qu’elle avait pour l’autre. La preuve était faite. Il n’était pas impossible d’aimer sincèrement plus d’une personne à la fois.

Elle interrompit un instant son baisé pour sourire, toute heureuse de cette révélation. Oui, c’était si simple quand on se détachait de ce qu’on avait appris et tenu pour acquis sans véritable raison.
Chieko se blottit contre elle, reprenant leur baisé encore un moment avant de venir glisser sa tête contre le cou de Kagome comme pour y dissimuler son visage. Un murmure lui parvint alors, comme une supplique.

« Reste avec moi. »

Bien sûr qu’elle resterait avec elle.
« Je te l’ai dit : Je suis à toi. Maintenant et pour toujours. Quoi qui nous attende, quelles que soient les épreuves cela ne changera pas. »
Comment l’assurer de sa constance maintenant qu’elle savait que ses sentiments pour elle était bien les siens et non le produit de la volonté d’un autre ? Elle aurait aimé lui offrir sa vie mais… Une idée germa.
« Nous sommes tous prêts à donner nos vies pour toi si nécessaire. Alors je vais te faire une autre promesse. Une rien qu’à nous. »
Cette existence qui reposait entre ses bras, qui s’abandonnait à elle, elle était prête à tout lui donner. C’était la force d’un amour bâtit avec les années, et qui continuerait de croître. Son étreinte se fit plus forte.
« Je te jure que tant que je vivrai, je continuerai de t’aimer de toute mon âme. »

C’était un manifeste, une promesse qu’elle lui faisait librement avec toute la simplicité et la sincérité qui la caractérisaient. Aucune force ne pourrait l’empêcher de continuer d’honorer cet engagement qu’elle prenait aujourd’hui de sa propre volonté. Elle n’attendait pas de réponse, mais l’humidité que Kagome sentait se répandre sur son cou et son épaule lui confirmèrent que son vœu avait été entendu et compris à sa juste valeur.

Un ange s’égara sous la voûte des frondaisons avant que Chieko ne reprenne, sans relâcher son étreinte :
«Kagome Kohaku.
…
Quand tout sera terminé…
…
Si on s’en sort…
…
Est-ce que tu voudras devenir ma femme ? »

La question sonna un peu Kagome. Même les voix de son cercle lui semblaient lointaines.
Sa femme ?
Quand elle y pensait, toute leur histoire en tant que couple avait démarré avec une question sur le mariage. Une conversation que Chieko avait eu avec son père. Et Kagome savait à quel point un mariage représentait un atout politique de choix pour assurer l’avenir. Que cette femme d’une lignée aussi ancienne que prestigieuse veuille faire d’elle sa compagne aux yeux et su de tous…
Leur histoire s’était épanouie dans l’ombre, et Kagome ne s’était jamais attendue à la voir sortir de celle-ci. En fait elle s’était même résolue quelque part à ce qu’un jour Chieko doive épouser un homme pour garantir la stabilité du pays. Mais maintenant c’était elle qui avait la possibilité de l’épouser, pas pour des raisons politiques, mais parce qu’elles s’aimaient et voulaient le faire savoir au monde entier.

Elle réalisa qu’elle n’avait toujours pas répondu quand elle eut la sensation que l’autre allait lui briser des côtes tant elle la serrait fort contre elle. C’est dans un souffle qu’elle répondit ce qui lui semblait le plus approprié :
« J’en serai honorée.»

C’est une Chieko aux yeux et au nez rougis d’avoir tant pleuré qui la regarda incrédule, les yeux hagards. Elle ne semblait pas croire ce qu’il venait de se passer, comme si elle l’avait rêvé de toute ses forces pour se réveiller soudain devant le fait accomplis. « Tu… » Elle ne trouvait même plus ses mots. « Tu veux vraiment ? »

Le sourire qui étirait ses lèvres ne laissait pas d’autre choix à Kagome que d’acquiescer silencieusement. Pour elle aussi l’émotion était grande. Mais elle parvint à ne pas fondre en larmes, contrairement à Chieko.
Celle-ci bataillait des deux mains pour essayer de contenir ce flot abondant qui dévalait sur ses joues. Tout ce qu’elle trouva à dire ce fut : « Pardon. » et « Merci. »

Kagome aurait voulu être celle qui l’aurait remerciée d’avoir fait ce choix, autrement plus dur pour l’héritière des Daishoji que pour l’humble demoiselle de compagnie qu’elle était, mais elle voyait une autre urgence, plus importante à souligner. Elle passa délicatement ses bras derrière les épaules de sa fiancée avant de murmurer : « Fais-moi plaisir… » Puis de lui glisser à l’oreille en l’attirant tout contre elle : « Arrête de t’excuser quand tu fais ce que te dis ton cœur. »

Oui, il fallait qu’elle s’affirme, et même si ça ne se ferait pas en un jour elle savait qu’elle pouvait déjà lui montrer la voie par des petites touches délicates. Le cœur, c’était la seule vérité dont on pouvait être sûr.
Elle repensait à toute leur histoire commune, tout ce qu’elles avaient vécu et partagé. Qui aurait pu prétendre avoir ne serait-ce qu’approché ceci avec la personne qui allait partager sa vie ? Elle ajouta donc : « Les conventions n’ont pas leur place entre nous. »

L’étreinte de Chieko fut sa seule réponse. Et elle dura. Dura longtemps. Pourtant tout à son bonheur qu’elle était Kagome sentait une préoccupation grandir en elle. Jusqu’à ce que Ganko soulève la question « à voix haute » pour ainsi dire.

Mais est-ce qu’en faisant ce choix par amour elle ne met pas en péril son devoir envers l’empire ? Est-ce qu’elle ne se prive pas d’un outil qui pourrait éviter bien des problèmes lors de futures négociations ?

Oui, il disait vrai et toute à son bonheur, elle se devait tout de même de penser au futur de celle qui était déterminée à devenir sa femme. Aussi sur le chemin du retour elle la fit s’arrêter.

« Chieko, j’aimerai tout de même que tu me promettes une chose. »
« Oui ? » Le sourire qu’elle lui adressait était désarmant, mais elle tint bon.
« Ne laisse pas cette promesse t'empêcher de faire ce qui te semble juste. » Oui, elle refusait d’être une nouvelle chaîne que sa maîtresse se passerait au cou. « Si cet engagement devait nuire à ce que tu juges être le mieux pour le futur, que ce soit pour l'empire, le monde ou quoi que ce soit d'autre, je veux que tu saches que je n'ai pas besoin de reconnaissance. »
Cela lui paraissait l’évidence même mais il fallait qu’elle soit claire. Il y avait déjà eu trop de malentendus au cour de cette soirée. « Ma famille sers la tienne depuis les ombres aussi loin que remonte notre histoire. Si ça ne devait pas changer pour nous, je continuerai tout de même à honorer ma promesse. Tu ne me dois rien. »
Ainsi c’était dit, elle ne voulait pas que Chieko oublie son devoir pour elle. Une pensée lui fit secouer la tête incrédule tandis qu’un sourire entre ironie et désabusement s’emparait de son visage.
« C’est bien la première fois que je te demande de faire preuve d’abnégation. C’est vraiment une drôle de nuit. »

Le sourire de Chieko s’élargit encore. Lentement elle leva une main vers la tête de Kagome, puis frappa légèrement son front d’une chiquenaude.
« Je mettrai tout en œuvre pour sauver le monde. »
Un éclat malicieux illuminait son regard.
« Mais n’oublie pas : Mon monde, c’est toi. »

Kagome n’était pas sûre que cette réponse soit celle qu’elle désirait entendre, mais elle savait qu’elle n’obtiendrait pas mieux ce soir.
En arrivant près des tentes Chieko lui demanda d’attendre là un moment, à voix basse elle expliqua:
« Jun attend à l’intérieur, il faudra que tu lui parles mais pas ce soir. Nous sommes tous épuisés et il n’en sortirait rien de bon. Je vais aller lui parler. »

Kagome attendit donc dans l’obscurité à quelques dizaines de mètres de la tente elle échangea quelques regards avec Hogosha, ce qui la plongea dans une réflexion assez complexe sur la relation qu’elle aurait avec lui après avoir épousé Chieko, cela en ferait techniquement son beau-frère… Mais en même temps elle avait du mal à imaginer la noble créature comme un membre de sa famille. Quand enfin Jun sortit de la tente, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Elle aurait aimé lui sauter au cou, l’embrasser, partager son bonheur avec lui. Mais il semblait épuisé, il dit quelques mots à Hogosha avant de s’éloigner. Kagome attendit un signe de sa compagne, puis celui-ci tardant à venir et Jun ayant regagné sa propre tente, elle se décida à entrer. Elle trouva Chieko dos à l’entrée, le regard résolument braqué sur la toile en face d’elle. Ce qui n’était jamais bon signe.

« Tout va bien ? » demanda-t-elle en refermant l’entrée derrière elle.

« Il s’est excusé de nous faire du mal. »

Des larmes étaient encore accrochées à ses cils.

« Je n’ai pas pu lui dire, c’est à toi de le faire. D’ailleurs comment j’aurai pu le regarder en face après ce que je viens de faire ? »

Chieko était visiblement à bout de nerfs. Trop d’émotions en trop peu de temps. Plus les pressions qui pesaient sur elle. Kagome se rapprocha d’elle. Elle savait quelle était la seule chose à faire.
L’étreignant, elle lui chuchota dans le creux de l’oreille : « Tu sais ce dont tu aurais besoin ? »
Elle laissa la question en suspens un moment avant d’y répondre avec un sourire taquin : « Une bonne nuit de sommeil. »

Sa compagne renifla. « Oui… C’est ce que je lui ai dit. » Puis soudain comme si elle avait failli oublier. « Je lui ai promis que tu lui parlerai demain. »

Toujours serrée contre elle Kagome hocha la tête. « Je le ferai, de toute façon c’est ce que j’avais prévu de faire. » Elle repensait à leur conversation du début de soirée. « On ne peut pas juste laisser les choses suivre leur cours et espérer que tout va s’arranger. »

Son cercle avait de nombreux avis sur la question, et la situation en général, mais elle était trop lasse pour suivre le débat, et puis elle avait déjà choisi sa ligne de conduite. Elle ne pouvait pas laisser le jeune homme se tourmenter pour une faute imaginaire. Pourquoi semblait-il, tout comme Chieko, prendre autant de plaisir à se sentir coupable de choses dans lesquelles il n’avait aucune part ? Elle soupira.« Et puis ce serait injuste pour lui. » Oui elle devait le sortir de ce supplice ou il s’était plongé tout seul.
Chieko acquiesçait : « Il doit savoir… » Puis comme réalisant quelque-chose : « Il va me détester… »

Kagome secouait la tête. L’un comme l’autre, définitivement.
« Qui pourrait te détester Chieko ? Clairement pas l’un d’entre nous. »
Elle devait l’empêcher de ressasser. Son ton se fit gentiment plus autoritaire.
« Aller, il est tard. Viens te coucher. »
Et en l’entraînant vers son lit pour la border. « Demain tu n’y pensera plus. »
Chieko était épuisée, elle ne semblait même plus avoir la force de débattre. Elle fit juste un non de la tête avant d’abandonner la bataille et de se laisser mettre au lit. Bientôt c’est entre les bras de Morphée qu’elle se laissait aller. Kagome éteignit la lumière puis se changea rapidement. Si elle voulait profiter de quelques heures de sommeil avant l’aube grise, c’était le moment ou jamais.

Quand Kagome ouvrit, les yeux, seuls quelques oiseaux sifflaient timidement les premières notes de leurs chants. À ses cotés sa fiancée dormait encore d’un sommeil de plomb que la brune souhaitait réparateur. Avec la plus grande précaution elle s’extirpa du lit, se saisit de quelques affaires, de son nécessaire de toilette puis elle déposa le tout dans une bassine en bois qu’elle prit sous son bras en sortant à pas de loup.
Chieko n’avait même pas bronché. Le déluge d’émotions aussi intenses que contradictoires de la veille avait vraiment dû l’épuiser. La servante s’éloigna donc dans la fraîcheur du gris matin en direction du cour d’eau voisin. L’un des avantages à voyager avec Osamu, c’était la quasi-certitude de trouver un cours d’eau prés de leurs campements, quand c’était possible, le guerrier mentaliste préférant s’entraîner prés de ceux-ci.
Elle avait bien besoin de se rafraîchir, d’autant qu’elle avait probablement dormi sur une racine: son dos était douloureux, raide et courbaturé. Pouvoir s’étirer dans l’eau, lui ferait le plus grand bien.

La faible lumière, les ondulations de l’énergie du monde autour d’elle dans le calme du matin. La présence rassurante de son cercle près de sa conscience, et la douceur de ses sentiments... Tout dans ce moment était parfait. Elle fit durer son bain bien plus que nécessaire juste pour prolonger un peu ce simple et pur bonheur. Puis presque à regret elle sortit de l’eau, enfila une tenue propre, s’empara du peigne en nacre et entreprit de démêler ses longs cheveux. Plus fins que les précédents ils lui rendaient la tache plus simple, même si du même fait il aurait été plus délicat de les faire tenir en une coiffure élaborée, c’est pourquoi elle optait pour une queue de cheval placée très haut sur son crane. Mais cela attendrait qu’elle soit revenue dans la tente. Pour l’heure elle les laissa sécher, lâchés librement sur ses épaules tandis qu’elle regroupait ses quelques affaires et son peigne dans la bassine avant de prendre le chemin du retour.

C’est là, aux abords du camp silencieux, qu’elle l’aperçut. Son cœur bondit aussitôt en avant. Assis sur une large pierre à un jet de lance d’elle, Jun était plongé dans la tache érudite et délicate qu’était la confection de ses sorts. Kagome à force d’expérience savait que cette activité lui demandait calme et concentration, même si elle ne comprenait pas le moins du monde les tenants et aboutissants de ce processus. Aussi hésita-t-elle une seconde avant de dévier de sa route initiale. Elle avait promis de mettre les choses au clair avec lui, et c’était une excuse comme une autre pour passer du temps prés de lui.
Plongé dans son travail l’homme ne semblait pas remarquer sa présence. Elle choisit donc d’attendre, croisant les poignets au dessus de son léger fardeau, en silence. Tandis qu’elle attendait elle avisa les nombreuses feuilles chiffonnées qui constellaient le sol autour du mage. Ce dernier froissa de sa main unique celle sur laquelle il travaillait avant de l’envoyer rejoindre les autres, il poussa un soupir exaspéré en se passant la main sur le visage. « Je n’arriverai à rien aujourd’hui. Pas la peine de gâcher plus d’encre. »

Il releva alors les yeux, croisant le regard de la jeune femme. Elle lui adressa un timide sourire, peu sûre d’être la bienvenue. Jun semblait préoccupé, peut-être aurait-il préféré rester seul un moment. S’il le lui demandait, elle partirait sans insister. Pourtant elle voulait rester avec lui, profiter de sa présence.
Ne sachant pas sur quel pied danser, elle n’émit qu’un simple: « Salut. »

Durant un instant il sembla sur le point de paniquer. Comme un lapin que l’on débusque, ses yeux s’écarquillèrent et sa respiration s’accéléra. Il bégaya un salut en retour avant de manifestement se détendre en notant le sourire de la jeune femme qui s’élargissait. « Ça va… Bien ? » demanda-t-il encore un peu hésitant.

« Ça va. » Kagome sentait son cœur s’alléger: il ne lui avait pas demandé de partir. Elle parcourut du regard les vestiges de ses vains efforts du matin, hésitant à poser la question qui finit par franchir le seuil de ses lèvres : « Et toi ? Tu sembles avoir quelques tracas. »

Les yeux du mage suivirent le même parcours que ceux de la dame de compagnie avant qu’il ne hausse les épaules. « C’est juste de la fatigue, ce n’est rien. » Il ajouta ensuite, rassurant : « Ça ira mieux demain.»
Et conclut d’un ton badin : « Et puis j’étais droitier, ça n’aide pas. » En disant ces mots il soulève un peu le moignon de son bras, la perte de son membre ne semblait pas l’empêcher de rire de sa situation. Pourtant il semblait hésitant quand il demanda après une courte pause : « À propos d’hier… On peut en parler ou c’est encore trop tôt ? »

Hier… Le souvenir du baisé échangé dans l’arbre était encore vivace en elle. Ce moment, presque hors du temps. Et le choc de la révélation qui s’en était suivie. Pourquoi n’avait-elle pas compris plus tôt ? Jun poursuivait, presque paniqué: « Si tu n’as pas envie d’en parler je comprends! Surtout je ne veux pas te forcer. »

Kagome soupira intérieurement. Jun...
Pourquoi se souciait-il toujours autant des sentiments des autres et si peu de ce que lui-même désirait ? Quelque-part, cela faisait partie de son charme. Et puis elle avait promis de s’expliquer avec lui, même si ce n’était pas la raison pour laquelle elle avait recherché sa compagnie. Elle hocha donc la tête.
« Non, il n’y a pas de problème. Je suis aussi venue pour ça. » Elle se rapprocha de la pierre ou Jun était assis, avec l’intention d’y prendre place également. Quand celui-ci se fut écarté un peu pour lui laisser la place de s’installer confortablement elle déposa la bassine sur un des cotés de la pierre et s’installa auprès de l’homme. Elle chercha ses mots un moment: « Je… »

Ses idées étaient confuses. La présence de Jun la troublait, elle n’arrivait pas à penser clairement. Secouant la tête pour se ressaisir, elle se lança sur le premier point concret qui lui vint à l’esprit : « Je ne sais pas ce que vous vous êtes dit avec Chieko, mais je pense que je devrais commencer par m’excuser de m’être enfuie comme je l’ai fait. Cela a eu des conséquences terribles pour toi. »

Elle se sentait coupable de ce que sa réaction avait déclenché en lui. Comment il en était venu à considérer ce moment de partage, d’union, comme quelque chose qu’il aurait forcé unilatéralement. Mais le mage regardait l’horizon pensif. Serein?

« A vrai dire, je n’ai toujours pas compris ce qu’il s’est passé hier soir. » Disait-il. Puis il tourna son regard vers le sien, le croisant un instant avant de baisser les yeux en rougissant légèrement : « Mais tu n’y es pour rien. C’est ma faute : Je n’aurai pas dû t’embrasser comme ça. J’aurais dû comprendre que tu avais besoin de temps.» Il marqua une brève pause, prit une inspiration. « Mais j’ai paniqué.Et quand je suis allé voir Chieko… » Un nouveau silence pendant lequel la vision de la scène passée sembla revenir le hanter, avant qu’il ne la chasse en secouant la tête pour conclure: « C’est comme si mon cerveau avait choisi de rester soigneusement à l’écart de toute cette histoire. Je vous ai fait du mal à toutes les deux, et j’en suis sincèrement désolé. »

Un ange passa avant qu’il ne reporte vers Kagome un regard inquiet.
« Tu ne vas pas te mettre à pleurer hein ? »Comme pour se justifier, il ajouta : « Chieko s’est effondrée hier quand je lui ai dit qu’elle n’avait rien à se faire pardonner. » Il risqua un pâle sourire, visiblement angoissé à l’idée que le phénomène puisse se répéter. « Ne me fais pas ce coup-là, s’il te plaît… »

Kagome haussa les épaules. Pourquoi aurait-elle pleuré maintenant qu’elle y voyait clair et qu’il était là avec elle ? Quand aux larmes de Chieko… « Elle était vraiment épuisée. D’ailleurs elle dort encore. Mais cela dit. » Elle frappa doucement du poing dans l’épaule de Jun. Ce n’était même pas une vraie frappe, plus une punition symbolique. « Tu feras passer à ton cerveau quand il aura décidé de revenir. Tu as vraiment failli la tuer d’inquiétude avec tes bêtises.» Si ses mots étaient durs, elle était cependant incapable de lui en vouloir. Après tout, tout s’était bien fini et le malentendu avait été dissipé. Mais qu’il ait pu laisser entendre qu’il avait abusé d’elle… Fallait-il qu’il soit niais. « Il y a une sacré différence entre un baisé et ce dont tu t’es accusé. » Le chapitre était clos.

Dans le silence qui suivit, elle laissa son esprit vagabonder, revenant sur les sensations de la veille. Sans qu’elle ne s’en rende compte, un sourire s’épanouissait sur son visage. « C’est vrai que j’aurais eu besoin de temps, mais c’est bien que tu ais eu le courage de faire le premier pas. » Son sourire s’élargit encore, se faisant plus espiègle. « Et puis ça m’a aidé à y voir plus clair donc: c’était définitivement une bonne chose. »
Même si Jun semblait perplexe il accepta cette dernière déclaration par quelques mots allant dans le même sens. Mais rapidement ses réflexions le rattrapèrent, et après moins d’une minute il revint sur le sujet:
« Tout de même, la réaction de Chieko m’inquiète beaucoup. Ce n’était pas juste de l’épuisement. Pourquoi fondre en larmes en s’excusant si c’était le cas ? Et s’excuser à quel propos ? »
Sa voix se faisait plus songeuse à mesure que sa réflexion s’approfondissait, comme s’il explorait une abysse et que chaque phrase devait remonter jusqu’à la surface pour être exprimée. « Elle y tenait vraiment… Elle m’a dit que tu m’en parlerais...» Et comme émergeant soudain des profondeurs, il tourna vers elle ses yeux sombres, ses yeux qui contenaient une telle intensité par moment. « Tu peux m’éclairer ? »

Quand il la regardait comme ça, elle était prête à faire tout ce qui était en son pouvoir pour lui donner satisfaction. Elle voulait vraiment lui apporter la solution qu’il cherchait avec une telle résolution… Mais hélas, elle n’était même pas capable de saisir le détail qui retenait l’attention de Jun. Pour elle la situation était simple. Et comme il était peu probable que le sage se trompa…
Elle écarta les bras, paumes au ciel pour souligner son impuissance.
« C’est au-delà de ma compréhension. » Ce n’était pas glorieux, mais c’était la vérité. Elle était comme une aveugle à qui l’on essayait d’expliquer les couleurs. « Si tu penses que c’était plus que la fatigue, la tension nerveuse et la culpabilité d’avoir douté de toi, je serai bien en peine de te dire ce qu’elle avait en tête. »

La question commençait à tourner en boucle dans sa tête. Y avait-il quelque-chose qui lui avait échappé ? Est-ce que Chieko avait pu vouloir dire autre chose que ce qu’elle pensait quand elle lui avait demandé de parler à Jun ? Mais si ce n’était pas pour lever le malentendu de la veille, de quoi voulait elle qu’elle parle?
Kagome se sentait dépassée. Elle aurait voulu laisser cela de coté mais… « Mais je lui avais promis de mettre les choses au clair avec toi, alors je suis là. »

Par ces quelques mots, elle se mettait à la disposition de Jun pour résoudre ce mystère. Mais le jeune homme ne devait pas l’avoir noté car il poursuivait comme pour lui même :
«Quand même, j’aurai juré qu’il y avait autre chose… »

«Alors c’est qu’il y a autre chose. » affirma-t-elle.
Kagome était sûre d’une chose : Jun ne pouvait pas se tromper.
Elle croisa les bras pour se forcer à se concentrer.

Peut-être que Chieko savait qu’elle ne pourrait pas trouver seule le secret de cette situation. Peut-être que c’était quelque chose dont le mage détenait la clé et elle la serrure. Ou l’inverse.
Son esprit se mettait en ébullition. Une agitation qui ne laissa pas son cercle indifférent. Chacun essayait de trouver, y allant de sa petite théorie. Satori reprenait les faits inlassablement. Kyoyo soutenait que c’était pour s’assurer que Jun ne se morfondait pas. Ganko demandait si la Daishoji ne souhaitait pas la placer au service de cet homme. Kakan soutenait que ce devait-être quelque-chose qu’elle seule pouvait faire que Chieko attendait d’elle ici. Shinme suggérait qu’ils suivent les directives du mage pour élucider cette affaire. Et Hasei signalait qu’ils faisaient probablement tous (en dehors et au dedans) une montagne d’une taupinière.

«Je peux te demander de quoi vous avez parlé quand Chieko est venue te retrouver ? »
Dans le tumulte qui résonnait dans l’esprit de Kagome, la question de Jun aurait pu passer complètement inaperçue si Shinme n’avait pas attiré l’attention de sa maîtresse sur celle-ci et que Satori ne la lui avait pas répétée. « Ho oui, bien sûr. »

Elle ramena le calme en elle-même pour accomplir la mission que Jun lui confiait. Celle-ci était bien plus à sa portée. Elle reprit le déroulement de la soirée, faisant un rapport succin de la chaîne des événements, comme elle avait appris à le faire depuis son entrée au service des Daishoji. Si un détail nécessitait des précisions son interlocuteur les demanderait. Elle commença donc son récit avec application pour être certaine de ne pas omettre un élément clé:
«Hé bien, d'abord j'ai cru qu'elle allait tuer Hisashi, mais en fait non c'était toi. Du coup c'est moi qui ai eu des pulsions de meurtre envers ton frère. Puis quand j'ai compris que c'était de toi qu'on parlait, j'ai été prise de fou rire. Ça m'a fait du bien. C'est à partir de là qu'elle a commencé à s'effondrer. Je l'ai calmée puis je lui ai raconté ce qu'il s'était passé entre nous. Au bout d'un moment elle a fini par comprendre qu'il n'y avait rien eu de grave. Je lui ai renouvelé mon serment et… Ha! »
Soudain le déclic. Et si c’était de l’événement suivant dont Chieko n’avait pas réussi à parler à Jun ? Cela pouvait avoir du sens. Tandis que les pièces du puzzle s’emboîtaient, lentement, elle continuait de parler:
« Si, c’est là qu’elle m’a demandé le l’épouser. »

Elle allait poursuivre quand une onde de chaleur, similaire à celle qui se produit lors de l’ouverture du fourneau d’une forge, l’interrompit. Elle semblait émaner de son compagnon. Un regard aux traits de Jun lui permit de lire sur son visage une expression qu’elle ne lui avait jamais vue, juste avant que ses traits ne se figent en un masque livide sur lequel vint se plaquer un sourire. Aussitôt un froid mordant remplaça la fournaise. Kagome aurait dû s’étonner de ce phénomène mais elle était bien trop sidérée par ce changement d’attitude, si peu en accord avec ce qu’elle savait du caractère de Jun.

Celui-ci parlait, d’un ton froid qui se voulait léger mais qui sonnait creux, voire cynique.
« Je vois.
Je comprends mieux du coup...
C’est bien.
Trés bien. »



Kagome était alarmée. Il y avait un problème quoi qu’il puisse en dire, quoi qu’il essaye de montrer en surface elle le sentait souffrir. Et plus grave, il essayait de le lui dissimuler. Pourquoi ?
Déjà il se levait, disant du même ton glaçant : « Je suis désolé, j’ai dit à Hisashi que j’irai l’aider quand j’en aurai terminé avec mes sorts. J’ai déjà trop traîné. »

Il s’enfuit !
Il nous abandonne !
Il souffre !
Il nous ment !
Il a compris quelque-chose !
Il nous congédie !
« Attends ! »

Sa main saisit au vol l’étoffe de la manche de l’homme. Elle n’avait pas le temps de comprendre ce qu’il se passait, elle sentait qu’elle était en train de le perdre, qu’il avait vu ce qui lui échappait, qu’il n’y avait pas de temps à perdre si elle voulait l’empêcher de se fermer définitivement. Alors les question montèrent en elle spontanément. « Pourquoi tu t’enfuis ? Pourquoi tu es en colère pour ça ? C’est toi qui m’a demandé de te raconter. » Malgré la panique qui montait en elle devant ce déchaînement qu’elle ne comprenait pas, son esprit essaye de reconstituer ce qu’il s’est passé dans celui du mage. « Tu crois que c’est ça qui a dévasté Chieko ? Mais pourquoi ? Je ne comprends pas. Elle était heureuse quand je lui ai dit oui. Pourquoi est-ce qu’elle aurait d’un coup changé d’humeur ? »
Elle était presque au bord des larmes.
Pourquoi fallait-il qu’elle soit si sotte alors qu’il faudrait au contraire qu’elle comprenne rapidement la situation pour pouvoir l’aider. Elle se cramponnait à la manche de Jun comme si c’était l’unique chose qui pouvait lui éviter de se noyer dans un océan de panique et d’incompréhension. Sa voix se fit suppliante. « Jun, ne te fermes pas je t’en prie… Je ne peux pas comprendre aussi vite que toi. Explique moi s’il te plaît. »

Elle n’osait pas reprendre son souffle de peur de voir l’homme poursuivre son chemin.
Mais celui-ci se retourna lentement, sans chercher à dégager sa manche.
Du sourire il n’y avait plus de traces. Juste ce teint livide et son regard sur elle, sombre.
Puis vinrent les mots.

« Vraiment Kagome ? »
Le ton froid qu’il avait employé pour lui souffler ces deux seuls mots mordit dans le cœur de la jeune femme plus douloureusement que s’il avait crié.
« Tu ne comprends vraiment pas ?! »
Le poids de son regard, la fureur qu’elle sentait derrière, lui firent rentrer la tête entre les épaules. Comme un chien qui attend de recevoir un coup.
« Tu vas me forcer à t’expliquer ça ? »
Sous ce regard qu’il portait sur elle, elle se sentait d’une bêtise crasse. Juste bonne à lui faire perdre son temps avec l’insecte qu’elle était alors qu’il avait de véritables sujets de préoccupation ailleurs.
« Ça n’est pas déjà suffisant ?! »
Les mots tombaient sur elle comme la grêle, la meurtrissant un peu plus à chaque seconde. Percluse, défaite, elle finit par lâcher la manche à laquelle elle se cramponnait et se recroqueviller sur le rocher.
Dans le silence qui suivit elle rassembla sa douleur, ses questions. Elle avait mal agit. Et elle était trop bête pour comprendre comment. Au fond elle méritait la colère de Jun. Elle se serait mise à pleurer si la voix de celui-ci n’avait pas de nouveau résonné, mais comme le tonnerre de l’orage qui s’éloigne enfin, tourné vers quelqu’un d’autre.

« Désolé… »
Elle risqua un regard dans sa direction sans oser bouger encore, silencieuse.
« Ce n’est pas contre toi que je suis en colère. »
Malgré sa prudence elle se sentit soulagée. Ce n’était pas de sa faute alors ? Elle avait juste subis sa colère parce qu’elle était là ? Il ne lui en voulait pas ? Elle releva la tête.
« C’est surtout contre moi… Et un peu contre Chieko. »
Il prit une grande inspiration. Sa voix retrouva un peu de chaleur.
« Ok. On va essayer… »

Il marqua une pause, inspira à nouveau. Elle attendait, suspendue à ces lèvres qui détenaient les réponses.

«En tant qu'ami, je suis heureux pour vous. Sincèrement !
En tant que personne qui t’aime, je ne veux que ton bonheur, même si c’est avec quelqu’un d’autre.
Et avec Chieko je sais que tu es entre de bonne main, et elle aussi. »

« Mais malgré tout ça fait mal ! » Le soudain éclat de voix fit instinctivement rentrer la tête à Kagome.
« Trop mal ! » Il marque une courte pause, essaye de contenir son émotion puis abandonne lâchant tout d’un trait. « Même si je m’y attends depuis que je t’ai avoué mes sentiments. J’ai besoin de digérer ça ! Chieko s’en doutait bien, c’est pour ça qu’elle s’est effondrée de la sorte hier soir, sans pouvoir m’en parler. J’aurai juste préféré qu’elle le fasse elle-même plutôt que de t’envoyer au front."

Kagome était sonnée.
Elle assimilait ces informations, l’une après l’autre.
Oui, maintenant tout cela prenait du sens...
Mais quelque-chose dans ce tableau lui semblait étrange. Dissonant.
Elle réfléchit longuement. Pourquoi ?
Pourquoi en arrivait-il à la conclusion qu’elle devait-être heureuse avec quelqu’un d’autre ?

Malgré le risque de se faire remettre à sa place, elle posa une question :
«Je ne comprends toujours pas. Tu m’aimais déjà quand Chieko ne m’avait pas demandé de l’épouser, non?»

La réponse fût cinglante, mais Kagome l’encaissa sans broncher. Il fallait qu’elle comprenne.
« Bien sûr ! Je l'ai dit l'autre jour, ça fait des années. J'ai juste toujours été trop stupide pour oser te l'avouer. »

Elle serra les dents pour garder la maîtrise d’elle même. Même si elle devait déclencher une nouvelle tempête il fallait qu’elle sache. Même si la réponse pourrait lui faire mal.
« Et tes sentiments n’ont pas changés depuis ? »
« Bien sûr que non ! »

Si elle était soulagée, elle n’en était pas moins perdue. Elle secoua la tête : « Alors je ne comprends pas. »
Si il l’aimait pourquoi est-ce qu’il la rejetait ?
Pourquoi croyait-il qu’il l’avait perdue au profit de Chieko ?
A cause de la demande en mariage ?

Et soudain elle comprit.
« Ha ! Mais si. »
C’était exactement le même sentiment qui l’avait poussée à s’enfuir après leur baisé. L’impression que son amour pour Chieko devait avoir diminué puisqu’elle éprouvait de l’amour pour lui.
« Tu en es au même point que moi hier. »

Soudain toute son inquiétude, sa peur, son chagrin s’envolèrent, comme si le soleil venait de dissiper les noirs nuages de ses chauds rayons. Elle détenait la réponse à son problème. Un solution aussi simple qu’évidente.
Elle se leva, prête à partager sa joie et son bonheur avec lui. Son regard gris s’était illuminé d’étoiles quand elle le plongea dans ses yeux noirs, moroses. « Jun. Tu ne vois pas ? C’est pourtant évident ! »
On leur avait inculqué des valeurs durant toute leur jeunesse, valeurs qu’ils n’avaient jamais remis en causes… Et la solution se trouvait justement là.

Jun demeurait de glace. « Non, je ne vois pas où tu veux en venir. »

Elle le scruta un moment, incrédule. Comment quelqu’un d’aussi intelligent que lui pouvait manquer quelque chose d’aussi simple ? Malgré elle, elle se mit à rire. Le soulagement sans doute. L’euphorie d’avoir compris ou était le problème et d’avoir une solution simple à lui apporter. Son rire tintait comme du cristal. Elle soupira comme un doux reproche. « Ho... Jun. »
Elle embrassa cet adorable idiot, si paradoxal.
Ses lèvres, son contact. Elle se sentait électrisée, différemment de lorsqu’elle embrassait Chieko, mais elle connaissait maintenant la parenté de ces sentiments. Et elle savait que l’un n’existait pas au détriment de l’autre. Elle s’abandonna à cette douce ivresse.

Les mains de Jun sur ses bras se firent soudain plus ferme. Ils l’écartèrent résolument, l’arrachant à la douceur de ce contact. Comme on se réveille en tombant du lit, elle ouvrit les yeux sur le visage de Jun que ses sourcils froncés rendaient excessivement dur. Elle remarqua le bras de flamme noires qu’elle avait déjà aperçu la veille. Mais la question de l’homme ne lui laissa pas le loisir de s’étonner. « Mais qu’est-ce qu’il te prend bon sang ! »

Comment ça : ce qui lui prenait ?
Ce n’était pas elle qui interrompait cet étreinte sans signe avant-coureur.
« Mais… Je t’aime aussi. »
Elle ne comprenait pas l’attitude de l’homme qu’elle aimait. Il aurait du être heureux de ne pas la perdre, tout comme elle avait été heureuse de ne pas avoir perdu Chieko, ou lui au nom d’un principe idiot qu’on leur avait inculqué selon lequel on ne pouvait aimer qu’une personne.

Mais la colère de Jun, ardente cette fois-ci acheva de détruire ce moment.
«Est-ce que tu t'entends parler ?! Tu as accepté la demande de Chieko il y a seulement quelques heures et maintenant tu te comporte comme... Comme… »
Il ne dit pas le mot, mais Kagome frémit sous l’insulte.

« Tu l’as choisie bon sang ! Tu as choisi Chieko! Pas moi ! »
Ce qu’il disait là était faux. Elle les avait choisi tous les deux.
« Assumes tes actes, et ne fais pas comme si ça n’avait aucune importance ! »
Elle n’avait jamais renié ses choix. Elle les assumait tous, elle vivait avec.
« Ne la fait pas souffrir d’avantage ! »
Elle aurait préféré se damner que de faire souffrir Chieko.
« Ne me fais pas souffir d’avantage ! »
...

En elle montait une vague d’émotions extrêmes, violentes, que son cercle reprenait en un chœur disparate mais suivant le thème central sur la même pulsation.

Elle était beaucoup de choses.
Fière ! Libre ! Amoureuse ! Forte ! Différente ! Loyale !
Elle avait longtemps cherché son identité.
Une fille ! Une servante ! Une élève ! Une amante ! Une guerrière ! Une Kohaku !
Elle avait ses défauts.
Stupide ! Impulsive ! Manipulable! Faible ! Sensible ! Soumise !
Mais elle n’était pas une catin.

« Je ne te pensais pas comme ça. »
La moue de dégoût de Jun alors qu’il lâchait prise pour se détourner fut comme un déclencheur.
Vive comme un serpent, elle le saisit par les épaules avant qu’il n’ait eu le temps de pivoter.
« Comment ça j’ai choisi ? »
Il n’était pas question qu’il s’en aille comme ça. Elle avait déjà essuyé une fois sa colère sans réagir, il était temps maintenant qu’elle lui rappelle qu’ils avaient le même rang, et qu’elle fasse valoir son droit de réponse. Les mots réussirent à sortir d’elle dans un ordre à peu prés cohérent.

«J’ai eu un mal fou à comprendre ce que j’éprouvais. En fait, je n’y serais jamais arrivée seule. Et maintenant que je sais que je ressens le même amour pour l’un et pour l’autre d’entre-vous, tu me dis que j’ai choisi ? »
Et tu me considère comme une…
Elle serre les dents au souvenir de l’insulte. Sa voix se fait sifflante entre ses dents.
« Je ne donne pas mon cœur à la légère Jun. Quand tu as posé tes lèvres sur les miennes, tu devais bien te douter de ce que je ressentais. Ou alors je me serai trompée sur ton compte moi aussi ? »
Est-ce qu’il l’aurait manipulée ? Joué avec ses sentiments dans un moment où elle était vulnérable?
Tandis qu’elle le scrutait à la recherche d’une réponse elle vit qu’elle avait retrouvé son attention. Il ne partirait plus avant qu’ils aient tiré toute l’affaire au clair. Elle le lâcha donc et fit un pas en arrière. Leurs deux énergies pulsaient, faisant trembler le flux du monde autour d’eux.
Sa colère, sa douleur et la fièvre du moment l’aiguillonnaient. Elle avait bien d’autres choses à lui dire, et puisqu’il l’écoutait à présent il était temps qu’elle aussi martèle là ou ça fait mal.

« Pourquoi est-ce-que tu cherches toujours à compliquer ce qui est simple? Pourquoi tu es incapable de juste vivre les choses ? »

Elle aurait voulu poursuivre mais sa colère l’étouffait. Elle sentait le brasier en elle qui cherchait à lui échapper. Elle ne se dominait que par un pur effort de volonté, et parce que quoi qu’il en soit, elle aimait cet homme. Qu’elle aurait été prête à tout pour lui s’il le lui avait demandé. Tout comme pour Chieko.
Et lui… Une autre question parvint à la surface, sifflée d’une voix basse, menaçante.
« Tu tiens à ce point à ce que les choses soient noires ou blanches ? »

Si une part d’elle cherchait à faire sortir Jun de ses gonds, celle-ci pouvait à présent considérer sa mission comme accomplie. Le jeune homme roulait des yeux exorbités par la fureur, il hurlait à présent.
« Moi je complique les choses ?! On croirait rêver ! Tu as dit avoir accepté la demande de Chieko ! Mais c’est ça faire un choix ! » Tandis qu’il s’époumonait, les flammes noires de son bras se propagèrent tout autour de son corps, comme un incendie et son énergie se déversait à foison. A seulement quelques pas, Kagome pouvait sentir la chaleur qui se dégageait du brasier. Pourtant elle ne cillait pas. Le menton légèrement rentré, stable dans ses appuis elle était prête à encaisser n’importe qu’elle attaque. Il poursuivait :
«Est-ce que tu penses ne serait-ce qu’une seconde à ce qu’elle peut ressentir ?! Quand je t’ai embrassée je pensais réellement avoir vu une lueur d’amour en toi, sinon je ne me le serait jamais permis ! Mais je me trompais ! »

Jun lâchait enfin la bride à ses émotions. Il ne se morfondait plus mais agissait, exprimant clairement ce qu’il pensait au lieu de tout garder pour lui. Et malgré les coups de boutoir que ses reproches faisaient sur la carapace de détermination dont Kagome s’était armée, elle tenait bon. Elle tiendrait jusqu’à la fin, pour voir le bout de cette dispute. Pour qu’ils comprennent tous les deux ce qui leur avait échappé chez l’autre. Ensuite ils verraient bien ou ils en étaient l’un pour l’autre. Mais au moins il ne fuyait plus.

« Et toi aussi tu te trompes ! »
Il y avait dans cette affirmation quelque chose qui retint l’attention de Kagome. Était-ce une inflexion de voix, ou un changement de posture ? On aurait dit que l’homme venait de réaliser quelque-chose et qu’il formulait sa pensée en même temps qu’elle prenait forme dans son esprit.

« Je ne sais pas ce que tu ressens, ce que tu penses être de l’amour, mais ça n’en est certainement pas ! »

Un grand froid envahit soudain Kagome. Sa carapace mentale se lézarda instantanément.
Qu’est-ce qu’il voulait dire?
Le coup de grâce ne se fit pas attendre.
« Ce n’est pas le même sentiment que nous ressentons Chieko et moi à ton égard ! »


Tout vola en éclat.


Elle avait le souffle coupé. Elle se sentait vaciller sous la force de l’impact.
Même le coup de Bellum ne l’avait pas brisée à ce point...

Comme des éclairs, des scènes, des échanges qu’elle avait eu lui revenaient.

Elle chancelait en arrière. Sa vision se troublait.

« Le lien que tu partages avec Chieko-sama peut te guider en cette période troublée. Fais lui confiance.»
Oui, ce lien. Il fallait qu’elle croit en son amour pour elle.

Un autre pas en arrière.

« J’ai été façonnée de nombreuses façon, pour servir un but que je ne connais peut-être même pas »
Kamaji avait-il une raison de l’avoir façonnée ainsi? Avait-il raison ?

Encore un pas. La tête lui tournait…

Elle est la créature du clan Kôhaku, elle n'a rien d'humain ou de naturel.
« Les Kôhakus ne sont pas humains » lui avait dit un vieux forgeron aveugle du clan Ito.
Pas humaine ? Non, mais ça ne voulait pas dire qu’elle n’avait pas de sentiments n’est-ce pas?
C’est ce qu’elle a dans son cœur qui compte non ?

Un autre pas. Tout était noir autour d’elle. Elle se sentit tomber en avant.

«La légende veut que le premier membre votre clan ait été créé à partir de l’une des écailles d’Orochi. »
Shi, le passeur qui les avait conduit jusqu’à Titan avait dit cela. Qu’avait-il dit d’autre ?
« Ceux de votre lignée ont été façonnés pour ressentir un attachement sans borne pour les Daishojis. »
Oui, elle avait des sentiments, c’était la preuve.
« Contrairement aux humains, ils ne peuvent éprouver d’amour. »
...
Quoi?

«Je ne sais pas ce que tu ressens, ce que tu penses être de l’amour, mais ça n’en est certainement pas ! »
Pas de l’amour...

Elle se sentait tomber comme au ralentit.
Tout n’avait été qu’une illusion alors ?
Elle n’était qu’une chose ?
Une arme ?
Un instrument ?

Pourtant Jun lui avait assuré le contraire.
Le même Jun qui venait de détruire la seule certitude qu’elle ait jamais possédé.

Il n’y avait plus de cercle.
Plus de Kagome.
Plus rien.

Elle était brisée.

Son pied droit vint se placer devant elle, interrompant sa chute.
Dans le silence du grand rien qui avait été Kagome une chose demeurait.
« Je… »

Une flamme qu’aucune volonté ne refoulait plus désormais.
Et dans le silence du rien, son rugissement s’amplifiait.
L’expansion du maelstrom ne semblait plus rencontrer d’obstacles.
Celui-ci croissait maintenant avec une vitesse encore jamais vue.
Tandis qu’elle reprenait conscience de son environnement, Kagome releva la tête.
Entre ses cheveux tombants, la première chose qu’elle reconnut fut Jun.

« Je vais… »

Elle ne pensait plus. Elle ressentait. Réagissait. Répondant à un instinct primal.
Et en face d’elle il y avait ce qui avait cherché à la détruire.
Elle ne lui donnerait pas l’occasion de réessayer.
C’était tout ce qu’elle voyait maintenant.
Sa proie.

« JE VAIS TE TUER ! »

Avec son cri, le maelstrom déborda de son corps.
Ça n’avait pas d’importance.
Elle était la fournaise.

Il lui fallut une seconde pour se rappeler comment faire fonctionner son corps.
Seconde que la proie mit à profit pour préparer sa défense.
Ça n’avait pas d’importance.
Son œil voyait au travers.
Elle pouvait la traverser.

Elle bondit.
En une fraction de seconde elle avait dévoré la distance qui la séparait du mur de feu.
Et soudain celui-ci s’éteignit.
La proie avait baissé sa garde.
Elle allait lui faire regretter cette erreur.
Sans hésiter elle ouvrit la main.
Plutôt que de frapper elle empoigna la gorge exposée et bondit.
Emportés par l’élan ils atterrirent à plusieurs mètres de là.
Sa proie était sous elle, à sa merci.

Lentement elle serrait la main gauche autour de la gorge.
Elle aurait sans doute pu briser cette nuque, mais elle voulait faire durer.
Elle arma lentement son bras droit, serrant le poing jusqu’à le rendre dur comme l’acier.
Alors elle riva ses yeux dans ceux de la proie.
Elle voulait qu’elle réalise ce qui allait arriver.
Adieu, Jun.

Jun ?

Elle battit des paupières deux fois.
La proie, c’était Jun.
Elle le reconnut. Le vit essayer d’articuler quelque-chose.
« … »
C’était Jun qu’elle s’apprêtait à tuer.
Est-ce que cela faisait une différence ?
Elle serra plus fort son poing.

KAGOME!
STOP!

Comme si on avait soudain tiré sur une chaîne, elle se sentit arrachée, tirée en arrière.
Sa main gauche se desserra instantanément.
Son poing perdit son intention meurtrière.
La fournaise se mit à réduire.

Graduellement, Kagome reprit conscience de ce qui l’entourait.
Elle se releva libérant Jun, sur le diaphragme duquel elle était assise.

Il resta au sol.
Il l’avait laissée faire.
Il l’aurait sûrement laissée le tuer.

Elle le regarda un moment en silence.

En elle, il n’éveillait à présent que haine et mépris.
Mais elle ne pouvait pas le tuer.
Alors Kagome cracha : « Puisque c’est blanc ou noir, je ne veux plus avoir affaire à toi. »
Chieko arriva à leur hauteur, essoufflée, paniquée.

Kagome se détourna, s’éloignant.
Alors Jun cria : « Si c’était blanc ou noir Kagome, tu crois que je serais capable de t’aimer et te détester à la fois ?! »
Kagome s’immobilisa.

Aimer et détester quelqu’un en même temps.
Elle lui accorda un regard par dessus son épaule.
Elle l’avait aimé.
Mais...
« Mon cœur est plus simple. »

Et elle reprit sa route.
Dans la tente elle fit un état des lieux.
La fournaise l’avait laissée vidée, et ses émotions commençaient à peine à retrouver leur chemin en elle.
Son cercle n’en avait plus que le nom, chacun de ses membres partant dans un direction différente.
Et le fruit de plusieurs semaines de longue réflexion venait d’être piétiné.

Bon…
On dirait que je vais avoir pas mal de boulot dans les prochaines heures.

Elle commença à remballer ses affaires.
Elle s’occuperait de tout ça après leur première série de sauts.
Ha, zut.
J’ai laissé la bassine là bas.

Tant pis.
J’irai la chercher juste avant de partir.
Du coup autant laisser de la place dans ce sac.

Il valait sans doute mieux qu’elle reste concentrée sur de petites choses de ce genre.
Sinon il y avait un grand risque pour qu’ils ne repartent qu’à quatre.
Elle serra les lanières un peu plus fort que nécessaire.
Oui, un très grand risque.

Jun est assis sur une pierre, à la périphérie du camp. Il est en train de préparer des sorts, ou plutôt il essaye d’en préparer, un tas d'ofudas roulés en boule à côté de lui.

J’ai pas réussi à me calmer de la nuit, ne parlons même pas de dormir… Et au plus je rate au plus je m’énerve ! Un dernier essai et j’abandonne pour aujourd’hui.

Kagome voyant Jun assis un peu à l'écart s'arrête une seconde avant d'obliquer vers lui. Elle tient la bassine dans laquelle reposent ses affaires de toilette. Ses cheveux sont encore humides et pas encore coiffés. Elle attend qu’il la remarque.

Jun finit par poser son pinceau avec un soupir exaspéré, prend la feuille de parchemin sur laquelle il travaillait et la froisse avant de la jeter avec les autres. "J'arriverai à rien aujourd'hui, pas la peine de gâcher plus d'encre et de papier." Il se passe la main dans les cheveux avant de lever les yeux et de voir que Kagome est à côté et le regarde.

Kagome ! Mince je ne l’ai même pas entendu arriver !

Elle penche la tête un peu sur le côté, a un timide sourire et dit juste: "Salut."

Vraiment ? Elle sourit ?

Jun hésite un instant puis se détend en voyant son sourire. "Euh... Salut. Ça va... Bien ?"

Le sourire de Kagome s'affirme un peu plus. "Ça va. Et toi?..." Elle parcourt des yeux les embryons d'ofudas qui constellent le sol. "Tu sembles avoir quelques tracas."

Jun suit son regard. "C'est juste la fatigue, c'est rien. Ça ira mieux demain. Et puis bon… J’étais droitier." Il soulève son bras sectionné et ajoute avec un sourire malicieux : “Ça n’aide pas.”

Bon allé, il faut que je sache ce qu’il s’est passé hier. Pourquoi Chieko a réagi de la sorte. Elle m’a dit que Kagome m’en parlerait aujourd’hui. Ça me rend fou de ne rien comprendre à tout ça : mettons les pieds dans le plat ! De toute façon ça semble être ma spécialité...

Il reporte à nouveau son attention sur Kagome avant de demander, un peu incertain : "A propos d'hier... On peut en parler ? Ou c'est encore trop tôt ?" Puis d'ajouter rapidement : "Si tu n'as pas envie d'en parler je comprends, surtout je ne veux pas te forcer..."

"Non, il n'y a pas de problème. Je suis aussi là pour ça." Elle se place à côté de son ami avec l'intention de s'assoir sur la même pierre. "Tu permets ?"

Jun se décale attendant la suite.

Elle s'assied, un ange passe. Des frissons parcourent l’échine de Jun au souvenir de la soirée de la veille.

"Je..." Elle secoue la tête. "Je ne sais pas ce que vous vous êtes dit avec Chieko, mais je pense que je devrais commencer par m'excuser de m'être enfuie comme je l'ai fait. Ca a eu des conséquences terribles pour toi."

Jun est pensif, le regard posé sur l'horizon. "A vrai dire, je n'ai franchement toujours pas compris ce qui s'est passé hier soir..." Il tourne son regard vers son amie avant de rapidement le baisser vers le sol. "Mais tu n'y es pour rien. C'est ma faute : je n'aurai pas dû t'embrasser comme ça. J'aurai dû comprendre que tu avais besoin de temps. Mais j'ai paniqué et quand je suis allé voir Chieko... C'est comme si mon cerveau avait décidé de rester bien à l'écart de toute cette histoire. Je vous ai fait du mal à toutes les deux et je suis sincèrement désolé..." Jun fixe finalement Kagome du regard, l'air très inquiet : "Tu ne vas pas te mettre à pleurer hein ? Chieko s'est effondrée, hier, quand je lui ai dit qu'elle n'avait rien à se faire pardonner." Essayant un timide sourire : "Ne me fais pas le coup s'il te plait."

Kagome hausse les épaules: "Elle était vraiment épuisée. D'ailleurs elle dort encore. Mais cela dit : " Elle donne un léger coup de poing à Jun, dans l'épaule : "Tu feras passer à ton cerveau quand il aura décidé de revenir. Tu as failli la tuer d'inquiétudes avec ce que tu lui as dit comme bêtises. Il y a une sacré différence entre un baiser et ce dont tu t'es accusé." Elle regarde aussi l'horizon, visiblement détendue et pas rancunière pour un sou. Elle sourit toujours. "C'est vrai que j'aurai eu besoin de temps mais c'est bien que tu ais eu le courage de faire le premier pas. Et puis ça m'a aidé à y voir plus clair à terme donc c'était définitivement une bonne chose."

Pour le moment ça se passe plutôt mieux que je ne l’espérais. C’est presque déconcertant. Mais tant mieux !

Jun semble un peu dubitatif mais son moral s'est visiblement amélioré. "Ok... Tant mieux du coup, j'imagine ?" dit-il en faisant semblant de se masser l'épaule. Mais rapidement son visage s'obscurcit à nouveau : "Quand même, la réaction de Chieko m'inquiète beaucoup... Ce n'est pas juste de l'épuisement... Pourquoi fondre en larme en s'excusant ? Et s'excuser à quel propos ? Elle y tenait vraiment... Elle a dit que tu m'en parlerai. Tu peux m'éclairer ?"

Elle écarte les mains, paumes au ciel. "C'est au-delà de ma compréhension. Si tu penses que c'était plus que la fatigue, la tension nerveuse et la culpabilité d'avoir douté de toi, je serai bien en peine de te dire ce qu'elle avait en tête. Mais de mon côté je lui avais promis de mettre les choses au clair avec toi, alors je suis là."

Elle est juste là parce qu’elle l’a promis à Chieko ? Oh…

Jun est irrité par cette pensée, mais il l’écarte, ce n’est pas important pour le moment. "Quand même, j'aurai juré qu'il y avait autre chose..."

"Alors c'est qu'il doit y avoir autre chose." Elle fronce les sourcils et croise les bras, visiblement concentrée. Sa réflexion dure un long moment.

Il hésite. "Je peux te demander de quoi vous avez parlé quand Chieko est venue te retrouver ?"

Distraitement "Hum?" Puis sortant de ses pensées "Oh oui, bien sûr."

Kagome prend quelques secondes pour se remémorer la veille puis d'une voix légèrement songeuse: "Eh bien, d'abord j'ai cru qu'elle allait tuer Hisashi, mais en fait non c'était toi. Du coup c'est moi qui ai eu des pulsions de meurtre envers ton frère."

Quoi ?! Mais qu'est-ce que Hisashi vient faire dans toute cette histoire ? Au plus ça va au moins je comprends...

"Puis quand j'ai compris que c'était de toi qu'on parlait, j'ai été prise de fou rire. Ça m'a fait du bien. C'est à partir de là qu'elle a commencé à s'effondrer. Je l'ai calmée puis je lui ai raconté ce qu'il s'était passé entre nous. Au bout d'un moment elle a fini par comprendre qu'il n'y avait rien eu de grave. Je lui ai renouvelé mon serment et..." Soudain elle semble comprendre quelque chose, son regard s'allume. Et du même ton qu'on déclare avoir oublié d'acheter du pain elle dit: "Ah si, c'est là qu'elle m'a demandé de l'épouser."

A peine la phrase de Kagome achevée, une intense vague de chaleur se fait ressentir puis disparaît tout aussi rapidement remplacée par un froid mordant.

Chieko lui a demandé de l'épouser ? C'était donc ça ? C'est normal, ça ne devrait pas m'étonner, je savais bien que ça arriverait… Mais ça fait mal ! Trop mal !

Jun affecte un sourire de façade mais ses yeux sont vides. "Vraiment ? Je comprends mieux du coup... C'est bien. Très bien."

Faut que j'aille me calmer... La douleur va passer… J'ai juste besoin de 5 minutes… Sinon je sens que je vais partir en vrille !

Il se lève : "Je suis désolé, j'ai dit à Hisashi que j'irai l'aider quand j'en aurai terminé avec mes sorts. J'ai déjà trop traîné."

Vite !

"Attends!" Elle l'attrape par la manche.

Non Kagome ! Par pitié ! Pas maintenant !

Jun s'arrête mais ne se retourne pas.

"Pourquoi tu t'enfuis ? Pourquoi tu es en colère pour ça ? C'est toi qui m’as demandé de te raconter. Tu crois que c'est ça qui avait dévasté Chieko ? Mais pourquoi ? Je ne comprends pas. Elle était heureuse quand j'ai dit oui. Pourquoi est-ce qu'elle aurait d'un coup changé d'humeur ?" Il y a une réelle détresse dans sa voix. Elle sert plus fort ta manche, peut-être inconsciemment. "Jun, ne te fermes pas je t'en prie. Je ne peux pas comprendre aussi vite que toi. Explique-moi s'il te plait."

Lorsque le mot "oui" est prononcé par Kagome, Jun vacille.

Bien sûr qu'elle a accepté, sinon Chieko n'aurait pas réagi de la sorte. Je le savais déjà mais entendre Kagome le dire elle-même… Je sens la douleur qui se mue en un brasier qui va me consumer entièrement. C'est comme si je n'ai plus le contrôle de mon corps… tout se fait tellement distant…

Il se retourne lorsqu’elle a terminé de parler et la regarde dans les yeux, comme pour s’assurer qu’elle n’est pas en train de se payer sa tête. Le sourire forcé a fait long feu, son visage est maintenant aussi blême que celui qu'un cadavre et ses yeux restent désespérément vides.

Elle est vraiment en train de me demander pourquoi je suis en colère quand j’apprends que la femme que j’aime a choisi quelqu’un d’autre ?

Il commence d'une voix tremblante de rage : "Vraiment Kagome ? Tu ne comprends vraiment pas ?! Tu vas me forcer à t'expliquer ça ? C’est pas déjà suffisant ?!"

Même avec toute ma bonne volonté, même si j’ai dit que je respecterai son choix, j’ai trop mal ! Allé ! Un effort ! Juste le temps qu’elle lâche l’affaire... Après je pourrai trouver un coin à l’écart pour panser mes plaies.

Il se force à se calmer: "Désolé… Ce n’est pas contre toi que je suis en colère. C’est surtout contre moi… Et un peu contre Chieko…" Il inspire profondément : "Ok, on va essayer…" Nouvelle inspiration : “En tant qu'ami, je suis heureux pour vous. Sincèrement ! En tant que personne qui t’aime, je ne veux que ton bonheur, même si c’est avec quelqu’un d’autre. Et avec Chieko je sais que tu es entre de bonne main, et elle aussi."

Si au moins Chieko avait pu préparer le terrain hier soir !

Finalement il ne peut plus se contenir et élève la voix : "Mais malgré tout ça fait mal, trop mal. Même si je m’y attends depuis que je t’ai avoué mes sentiments. J’ai besoin de digérer ça ! Chieko s’en doutait bien, c’est pour ça qu’elle s’est effondrée de la sorte hier soir, sans pouvoir m’en parler. J’aurai juste préféré qu’elle le fasse elle-même plutôt que de t’envoyer au front."

Kagome semble déboussolée. Mais écoute tout avec attention. Quand Jun termine elle fronce les sourcils durant un bon moment avant de déclarer. "Je ne comprends toujours pas." Elle a un visage très sérieux quand elle lui demande: "Tu m'aimais déjà quand elle ne m'avait pas demandé de l'épouser non ?"

Quelle question !

Jun est de très mauvaise humeur, il répond plutôt sèchement mais sans élever la voix : "Bien sûr ! Je l'ai dit l'autre jour, ça fait des années. J'ai juste toujours été trop stupide pour oser te l'avouer."

Elle poursuit de la même manière, sans dérider son front. "Et tes sentiments n'ont pas non plus changés entretemps ?"

"Bien sûr que non !"

Elle secoue la tête. "Alors je ne comprends pas." Nouveau silence. Puis sous le coup d'une idée, ses sourcils se haussent: "Ha ! Mais si, tu en es au même point que moi hier."

Comment ça ?

Son visage s'éclaire d'un sourire, elle se lève, vient braquer ses yeux dans ceux de Jun. "Jun, tu ne vois pas? C'est pourtant évident."

Quoi ?!

"Non je ne vois pas où tu veux en venir..."

Elle le regarde incrédule, mais toujours souriante. "Ha." Un hoquet, un rire qui la prend par surprise "Hahaha !" Puis elle secoue doucement la tête presque comme un reproche. "Oh, Jun." Et là-dessus elle place ses mains de chaque côté de son visage et l'embrasse.

A ce moment-là, la colère de Jun est sur le point de disparaître complètement, étouffée par le contact des lèvres de Kagome. Il n'a qu'une seule envie : s'abandonner à ce baiser. Le reste peut bien attendre. Mais à peine cette envie s'est-elle fait jour, qu'elle est immédiatement remplacée, dans son esprit, par le visage de Chieko, en larme. Il la revoit comme la veille, lorsqu'elle s'est effondrée alors qu'elle aurait dû être aux anges après que Kagome ait acceptée sa demande.

Mais bordel ! Qu'est-ce-que je fous ?! Elle va être dévastée !

La colère ne se ravive pas immédiatement, comme si elle-même ne sait plus où elle en est.

Jun repousse Kagome, avec fermeté mais sans lui faire le moindre mal, à l'aide de ses deux mains. Le bras de flammes noires ne brûle pas Kagome ni ses vêtements, il n'est pas plus chaud qu'un membre humain ordinaire. "Mais qu'est-ce qu'il te prend bon sang ?"

Elle ne se défait pas de sa bonne humeur, même si elle semble un peu déconcertée. "Mais... Je t'aime aussi."

Comment peut-elle penser cela ? Le dire sur un ton pareil ? J'ai envie de vomir.

La colère se rappelant finalement à son bon souvenir, Jun bout visiblement de rage : "Est-ce que tu t'entends parler ?! Tu as accepté la demande de Chieko il y a seulement quelques heures et maintenant tu te comportes comme... Comme... Tu l'as choisie bon sang ! Tu as choisie Chieko ! Pas moi ! Assumes tes actes et ne fait pas comme si ça n'avait aucune importance ! Ne la fais pas souffrir d'avantage ! Ne me fais pas souffrir d'avantage..." Il se retourne l'air dégoûté : "Je ne te pensais pas comme ça..."

Elle maintient sa prise. "Comment ça j'ai choisi ?" Elle semble réagir à son émotion, dans un mélange de colère et de déception. "J'ai eu un mal fou à comprendre ce que j'éprouvais, en fait je n'y serai jamais arrivée seule, et maintenant que je sais que je ressens le même amour pour l'un et pour l'autre d'entre vous, tu me dis que j'ai choisi ?" Elle serre les mâchoires. Sa voix est sifflante entre ses dents serrées. "Je ne donne pas mon cœur à la légère Jun. Quand tu as posé tes lèvres sur les miennes tu devais bien te douter de ce que je ressentais. Ou alors je me serai trompée sur ton compte moi aussi ?" Elle le lâche, fait un pas en arrière. Ses yeux à présent azurés brillent d'un éclat farouche. "Pourquoi tu cherches toujours à compliquer ce qui est simple ? Pourquoi tu es incapable de juste vivre les choses ?" Elle est frémissante. D’un coup, elle lui semble dangereuse, une impression qu’il n'avait jamais ressenti venant d’elle. Il s'attend à ce qu'elle se mette à hurler mais c'est au contraire dans un murmure qu'elle lâche sa dernière question. "Tu tiens à ce point à ce que les choses soient noires ou blanches ?"

Jun ne se retient plus de hurler, il enrage : "Moi je complique les choses ?! On croirait rêver ! Tu as dit avoir accepté la demande de Chieko ! Mais c'est ça faire un choix ! Qu'est-ce que tu crois ?! Est-ce que tu penses une seule seconde à ce qu'elle peut ressentir ?!" Les flammes qui formaient jusqu'alors son bras l'engloutissent et leur température augmente instantanément. "Quand je t'ai embrassé, je pensais réellement avoir vu une lueur d'amour en toi, sinon je ne me le serai jamais permis ! Mais visiblement je me suis trompé. Et toi aussi tu te trompes : je ne sais pas ce que tu ressens, ce que tu penses être de l'amour, mais ce n'en est certainement pas ! Ce n'est pas le même sentiment que nous ressentons, Chieko et moi, à ton égard !"

Il voit qu'elle accuse le coup. Elle est devenue blême, porte une main à son diaphragme. Le souffle coupé elle titube en arrière. Puis chancelle un instant, Jun s’attend à ce qu'elle s'effondre quand ses épaules s'affaissent et que sa tête tombe en avant. Mais elle se rétablit en campant un pied devant elle. Ses cheveux défaits tombent sur son visage le dissimulant. Elle ressemble totalement à la femme que Hisashi et lui ont rencontrée dans l'océan de sang, sous l'œil reptilien.

"Je..."

Des lignes lumineuses se dessinent sur son corps.

"Je vais..."

L'énergie s'échappe en volutes par ces lignes, comme si c'étaient des fissures dans un fourneau. Elle relève la tête, révélant un œil à travers la masse de ses longs cheveux. Il n'y a rien d'humain dans le regard de cet œil bleu et fendu verticalement.

"JE VAIS TE TUER!"

Le déferlement d'énergie la nimbe d'une aura blanche comme si elle était un brandon. Le phénomène est bien moins concentré que les flammes noires de Jun et se disperse en s'éloignant d'elle mais son intensité n'a rien de rassurant. Dans la fraction de seconde qui suit son cri elle se jette vers le mage comme une furie, sa main visant la gorge de ce dernier.

Vraiment Kagome ? Ça va se terminer ainsi ?

En voyant cela, Jun se met en position, se préparant à l'impact. Les flammes enflent autour de lui : c’est tellement facile avec toute la colère qui bouillonne dans ses entrailles. L'énergie noire se concentre autour de ses mains...

Puis soudain : plus rien.

J’ai tellement mal ! Je ne comprends même plus mes sentiments ! Je la déteste tellement avec ce qui vient de se passer ! Et pourtant je l’aime toujours de tout mon être ! Je ne peux pas lever la main sur Kagome… Qu’elle me tue ici et maintenant si ça lui chante… Au moins je ne souffrirai plus...

Jun se redresse, les bras écartés, le regard fixé sur Kagome.

La main de la jeune femme vient le saisir à la gorge, mais son élan ne s’arrête pas là. Avec une force inattendue de la part d'un corps aussi frêle elle soulève Jun du sol pour atterrir sur lui à plusieurs mètres de là. Elle serre la main, lentement tandis qu'elle arme l'autre bras pour porter un coup.

Adieu mon amour…

Dans un souffle, Jun dit simplement : "Veille sur les autres..." se préparant recevoir le coup mortel.

A cet instant, elle semble s’interrompre moins d'un dixième de seconde peut-être mais il peut la voir battre deux fois des paupières. Sous la lumière de ses flammes, ses écailles ressortent légèrement. Elle croise son regard et...

« Oh mon dieu, Kagome, stop ! » Chieko est en train de hurler, elle se met à courir vers ses deux compagnons.

Les flammes diminuent rapidement tandis que qu’elle s’approche. Quand elle arrive à leur hauteur, Kagome s'est relevée. Elle a une expression que Chieko ne lui connait pas. Peut-être quelque part entre fureur et dégout. Jun quant à lui porte à la gorge des traces de strangulation extrêmement visibles.

Après un instant Kagome lâche : "Puisque c'est blanc ou noir, je ne veux plus avoir affaire à toi."

Chieko s’arrête devant Jun, perplexe, elle lui tend par réflexe une main pour l’aider à se relever.

Tu essayes de me tuer et maintenant tu me fais des reproches ? Vraiment ?

Jun rétorque, le plus fort qu'il puisse pour que Kagome l'entende : "Si c'était blanc ou noir Kagome, tu crois que je serai capable de t'aimer et te détester à la fois ?!"

Elle braque un œil gris sur lui par-dessus son épaule et dit: "Mon cœur est plus simple."

Chieko regarde Jun, puis Kagome, de nouveau Jun, et encore Kagome… Elle a la bouche grande ouverte, les yeux encore plein de fatigue et surtout d’incompréhension.

Jun finit par accepter la main de Chieko. En se relevant il murmure un "Grand bien te fasse..." Puis, une fois debout, il regarde Chieko :"Je suis désolé" puis il commence à se retourner pour s'éloigner

Chieko ne lâche pas sa main.

Pas toi aussi Chieko...

Jun se retourne à nouveau vers Chieko, ne disant rien, se contentant de masser sa gorge de sa main de flammes.

"Qu'est-ce que.... Je dois faire un cauchemar..."

Jun a l'air exténué. Il répond, la voix enrouée : "J'aimerai aussi que ce soit le cas. Encore désolé mais je ne pouvais pas me retenir." Il s'arrête, hésite une seconde puis ajoute : "Tu devrais avoir une discussion avec Kagome quand elle se sera calmée. A propos de ce que vous vous êtes juré hier soir et ce que ça représente pour elle..."

Je ne peux pas lui en dire plus… Elle ne le croira pas si ça vient de moi. C’est bien normal.

Elle incline légèrement la tête sur le côté, visiblement, elle ne comprend pas. « Pourquoi elle t’as attaqué ? »

Jun considère la question quelques secondes, puis, quand il répond finalement, sa voix se fait totalement vide de toute émotion : "Je vais être franc. Ça ne serait peut-être pas arrivé si tu avais eu le courage de me parler de la demande en mariage hier soir !"

D’un coup la colère pointe dans sa voix : "Alors que d'habitude tu prends toujours tout sur toi, il fallait que tu ne le fasses pas, juste cette fois ! Tu as laissé Kagome m'apporter la nouvelle, bon sang !"

Il tente de se reprendre : "J’étais inquiet pour ta réaction d’hier, donc je lui ai demandé ce que tu n'avais pas pu me dire : elle ne voyait pas. Du coup, quand je lui ai demandé si elle pouvait me parler de ce dont vous aviez discuté quand tu es allé la chercher... Elle m'a balancé comme si de rien n'était que tu lui avais demandé de t'épouser et qu'elle avait accepté !"

Visiblement il fait des efforts pour garder un semblant de calme : "Soit, je respecte ça. Ça fait mal mais je te l’avais déjà dit hier : Je voulais son bonheur même si ce n’étais pas avec moi ! Je suis donc parti rapidement pour éviter de sortir une ânerie. J’avais besoin de digérer ça. Bien sûr Kagome ne l’a pas entendu de cette oreille et a voulu que je lui explique ce qu’il se passait. En appuyant bien là où ça fait mal. Je voyais rouge mais j’ai tout de même essayé de lui expliquer ce que je ressentais… Et là elle est allée trop loin ! On pourra en parler plus tard si tu y tiens vraiment mais je préfèrerai que tu en parles d’abord avec elle."

Chieko encaisse le coup sans broncher. “Je suis désolée, je ne pouvais pas dire à la place de Kagome qu’elle avait choisi d’être avec moi. C’était à elle de te dire qu’elle ne pouvait pas accepter tes sentiments…”

Les efforts de Jun sont de plus en plus importants pour ne pas s'emporter : "Mais c'est ça le problème ! Elle n'a pas rejeté mes sentiments ! Elle ne t’a pas choisie ! Ou en tout cas pas comme on l'entend ! Je t'en prie vas lui parler..." Il revoit la scène dans son esprit : quand Kagome l’embrasse juste après lui avoir annoncé qu’elle allait épouser Chieko. La colère menace de le submerger à nouveau.

Soudain, le visage de Chieko se décompose… “Hein ? Mais… Elle m’a dit oui…” Elle bégaie : “Comment ça pas rejeté… ?”

Elle lâche finalement la main de Jun.

Puisqu’il faut en arriver là… Je suis vraiment désolé Chieko...

Jun s'adosse à un tronc proche et se laisse tomber au sol, l'air las : "Tu veux vraiment que ce soit moi qui te dise ça ? Ok... Je ne sais pas comment tourne son esprit tordu mais, visiblement, Kagome nous ‘aime’ tous les deux, ou tout du moins elle ne sait pas encore qui elle aime le plus. Hier soir, après t'avoir vu craquer, elle a accepté ta demande pour te faire plaisir et te protéger j'imagine. Et là, en voyant comment je réagissais elle m'a affirmé qu'elle m'aimait et a commencé à m'embrasser, comme si ce qu'il s'était passé entre vous quelques heures auparavant n'avait aucune importance. Putain je comprends vraiment pas comment elle fonctionne ! Quand je l'ai repoussée et que je lui ai dit ce que j'en pensais, ça l'a mise en rogne, j'étais également furieux et ça a dégénéré."

Chieko est perdue, elle semble entendre ce que Jun lui dit, mais elle a du mal à comprendre ce que ça implique. “Mais elle m’a dit que...” Elle réfléchit et murmure. “Elle m’a dit…” Elle panique. “Non en fait elle ne m’a pas dit…” Elle réalise enfin. “Oh mon dieu… Je suis désolée, j’ai bêtement pensé que ça impliquait qu’elle te dirait non… Ça me semblait évident hier soir, je ne voulais pas que ce soit moi qui t’apprenne qu’elle te rejetait, c’est pour ça que je n’ai rien dit…”

Jun non plus n’entend pas réellement ce qu’elle dit, il est vraiment à bout, tous ses efforts pour se retenir ne sont plus suffisants.

J’ai besoin d’être seul Chieko. Maintenant. Il faut que je me reprenne. Putain mais elle a essayé de me tuer ! Et je l’aime toujours ! Je ne comprends rien !

D’un coup, sans même s’en rendre compte, il explose : "Chieko ! Va parler à Kagome bordel ! Ou à Osamu ou Hisashi ! Je sais pas ! Je peux rien pour toi là... Je peux pas remettre de l'ordre dans ma tête et essayer de te gérer par-dessus le marché... Pas maintenant..."

Elle se lève sans un mot et s'éloigne.

Il la suit du regard toujours perdu dans ses pensées… Puis, tout d’un coup, l’énormité de ce qu’il vient de dire à Chieko s’impose à lui. "C’est pas vrai… Mais quel con ! Encore !"

S’il lui arrive quelque chose je ne m'en remettrais jamais !

Il se lève et la suit de loin... Au cas où...

Chieko finit par s'assoir un peu plus loin. Elle remonte les genoux contre sa poitrine et cache son visage dans ses bras. Elle murmure toute seule en pleurant.

Jun reste loin, hors de vue, Il se contente de s'assurer qu'elle ne fasse rien de dangereux. Ça lui brise encore d’avantage le cœur de laisser ainsi la jeune femme, après lui avoir parlé de manière aussi cruelle, mais il n'a pas la force d'en faire d'avantage. De toute façon il ne ferait qu’empirer les choses…

Il reste ainsi adossé à un arbre, perdu dans ses pensées, essayant de remettre un tant soit peu d’ordre dans ses émotions en ébullition, de recoller les morceaux de son cœur brisé… Sans grand succès.

Finalement Hisashi est peut-être chanceux d’avoir perdu son cœur… Je donnerais tout, en cet instant, pour me séparer du mien...

Au bout d’une dizaine de minutes, Chieko se lève et part. Jun ne le remarque pas immédiatement, il commence à paniquer, imaginant déjà le pire, avant d’apercevoir la silhouette de la jeune femme qui se dirige vers le camp. Il lâche un profond soupire, entre reproche et soulagement et si dirige à son tour vers le camp pour se préparer pour leur prochaine téléportation.

Du bruit ?
Des cris ?
Une attaque ?

Chieko se lève en sursaut à cause du bruit à l’extérieur.
Par reflexe, elle tend la main et attrape son bâton avant de sortir en courant.

Elle aperçoit Kagome dans une tempête de flammes blanches qui semblent s'échapper de son corps par des fissures larges comme la main. Elle est penchée sur Jun qui est étendu au sol. Elle a le poing armé et une main sur la gorge de son ami.

Quoi ?
« Ho mon dieu, Kagome, stop ! »
Elle lâche son bâton dans la tente et se met à courir dans le but de les séparer.

Les flammes diminuent rapidement tandis que Chieko s'approche.
Quand elle arrive à leur hauteur, Kagome s'est relevée. Son visage exprime des émotions très vives, quelque part entre fureur et dégout. Jun porte à la gorge des traces de strangulation extrêmement visibles.
Kagome lui décoche des propos venimeux :
« Puisque c'est blanc ou noir, je ne veux plus avoir affaire à toi. »
Avant de se détourner et de s’éloigner.

Chieko s’arrête devant Jun, perplexe.
Elle lui tend par reflexe une main pour l’aider à se relever.

Jun rétorque, le plus fort qu'il puisse pour qu’elle l'entende :
« Si c'était blanc ou noir Kagome, tu crois que je serai capable de t'aimer et te détester à la fois ?! »

Jun hésite un moment puis accepte la main de Chieko.

Le regard de Chieko passe de Jun à Kagome plusieurs fois.
Qu’est ce qui s’est passé ?
Pourquoi ils en sont arrivés là ?

Elle a la bouche grande ouverte, les yeux plein de fatigue et d’incompréhension.

Kagome braque un œil gris sur Jun par-dessus son épaule et rétorque :
« Mon cœur est plus simple. »

En se relevant Jun murmure :
« Grand bien te fasse... »

Une fois debout, Jun regarde Chieko :
« Je suis désolé. »
Puis il commence à essayer de s’éloigner mais Chieko ne lui lâche pas là main.

Le regard de Chieko continue de passer de l’un à l’autre. Elle semble avoir oublié qu’elle tenait la main de Jun.

Jun se retourne à nouveau vers Chieko, ne disant rien, se contentant de masser sa gorge de sa main de flammes.

Chieko murmure :
« Qu'est-ce que.... Je dois faire un cauchemar... »

Jun a l'air exténué. Il répond à Chieko, la voix enrouée :
« J'aimerai aussi que ce soit le cas. Encore désolé mais je ne pouvais pas me retenir. »
Il s'arrête, hésite une seconde puis ajoute :
« Tu devrais avoir une discussion avec Kagome quand elle se sera calmée. A propos de ce que vous vous êtes juré hier soir et ce que ça représente pour elle... »

Chieko incline légèrement la tête sur le côté, visiblement, elle ne comprend pas.
« Pourquoi elle t’a attaqué ? »

Jun considère la question quelques secondes, puis, quand il répond finalement, sa voix se fait totalement vide de toute émotion :
« Je vais être franc. Ça ne serait peut-être pas arrivé si tu avais eu le courage de me parler de la demande en mariage hier soir ! »
D’un coup la colère pointe dans sa voix :
« Alors que d'habitude tu prends toujours tout sur toi, il fallait que tu ne le fasses pas, juste cette fois ! Tu as laissé Kagome m'apporter la nouvelle, bon sang ! »
Il tente de se reprendre :
« J’étais inquiet pour ta réaction d’hier, donc je lui ai demandé ce que tu n'avais pas pu me dire : elle ne voyait pas. Du coup, quand je lui ai demandé si elle pouvait me parler de ce dont vous aviez discuté quand tu es allé la chercher... Elle m'a balancé comme si de rien n'était que tu lui avais demandé de t'épouser et qu'elle avait accepté ! »
Visiblement il fait des efforts pour garder un semblant de calme :
« Soit, je respecte ça. Ça fait mal mais je te l’avais déjà dit hier : Je voulais son bonheur même si ce n’étais pas avec moi ! Je suis donc parti rapidement pour éviter de sortir une ânerie. Bien sûr Kagome ne l’a pas entendu de cette oreille et a voulu que je lui explique ce qu’il se passait. En appuyant bien là où ça fait mal. Je voyais rouge mais j’ai tout de même essayé de lui expliquer ce que je ressentais… Et là elle est allée trop loin ! On pourra en parler plus tard si tu y tiens vraiment mais je préfèrerai que tu en parles d’abord avec elle. »

Bien sûr, il est en colère.
C’était évident.
Chieko encaisse le coup sans broncher.
« Je suis désolée, je ne pouvais pas dire à la place de Kagome qu’elle avait choisi d’être avec moi. C’était à elle de te dire qu’elle ne pouvait pas accepter tes sentiments… »

Visiblement, Jun fait de gros efforts pour ne pas s'emporter :
« Mais c'est ça le problème ! Elle n'a pas rejeté mes sentiments ! Elle ne t’a pas choisie ! Ou en tout cas pas comme on l'entend ! Je t'en prie vas lui parler... »

Comment ça ?
Elle n’a pas rejeté ses sentiments ?
Pourtant elle a accepté ma demande hier soir.
Le visage de Chieko se décompose…
« Hein ? Mais… elle m’a dit oui… »
Elle bégaye :
« Comment ça pas rejeté… ? »
Elle lâche la main de Jun.

Jun s'adosse à un tronc proche et se laisse tomber au sol, l'air las :
« Tu veux vraiment que ce soit moi qui te dise ça ? Ok... Je ne sais pas comment tourne son esprit tordu mais, visiblement, Kagome nous aime tous les deux, ou tout du moins elle ne sait pas encore qui elle aime le plus. Hier soir, après t'avoir vu craquer, elle a accepté ta demande pour te faire plaisir et te protéger j'imagine. Et là, en voyant comment je réagissais elle m'a affirmé qu'elle m'aimait et a commencé à m'embrasser, comme si ce qu'il s'était passé entre vous quelques heures auparavant n'avait aucune importance. Putain je comprend vraiment pas comment elle fonctionne ! Quand je l'ai repoussée et que je lui ai dit ce que j'en pensais, ça l'a mise en rogne, j'étais également furieux et ça a dégénéré. »

Pour me faire plaisir ?
Mais elle avait l’air sincère.
Et puis, je lui ai même demandé si j’avais bien compris.

Chieko est perdue, elle entend ce que Jun lui annonce, mais elle ne semble pas comprendre ce que cela implique.
Elle murmure d’une voix blanche, plus pour elle-même que pour Jun :
« Mais elle m’a dit que… »
Kagome m’a dit qu’elle voulait rester avec moi !
Elle m’a dit qu’elle m’aimait !
« Elle m’a dit… »
Elle m’a bien parlé de ses sentiments ?
Non.
À aucun moment.
Elle ne m’a jamais dit qu’elle ne l’aimait pas…
Le désarroi et la consternation se lisent sur son visage.
« Non en fait elle ne m’a pas dit… »
Chieko semble enfin assimiler ce que Jun vient de lui énoncer.
« Ho mon dieu… Je suis désolée, j’ai bêtement pensé que çà impliquait qu’elle te dirait non… Ça me semblait évident hier soir, je ne voulais pas que ce soit moi qui t’apprenne qu’elle te rejetait, c’est pour ça que je n’ai rien dit… »

Jun est vraiment à bout, tous ses efforts pour se retenir ne sont plus suffisants :
« Chieko ! Va parler à Kagome bordel ! Ou à Osamu ou Hisashi ! Je sais pas ! Je peux rien pour toi là... Je peux pas remettre de l'ordre dans ma tête et essayer de te gérer par-dessus le marché... Pas maintenant... »

Elle se lève sans un mot et s'éloigne.

Evidement.
La femme qu’il aime vient de manquer de le tuer.
Est-ce qu’elle serait allée jusqu’au bout ?
Non.
Enfin je crois.

Elle finit par s’assoir un peu plus loin.
Chieko remonte les genoux contre sa poitrine et cache son visage dans ses bras.
Elle marmonne toute seule en pleurant.

Comment on a pu en arriver là ?
Je suis aveugle.
Kagome aime Jun ?
Au point de me tromper avec lui ?
En même temps, je ne lui ai jamais demandé clairement.
Est-ce qu’elle m’aime vraiment ?
Tu es idiote.
Incapable.
Et aveugle.
Ta seule présence fait souffrir tout le monde.
C’est bien beau les promesses.
« Je vais les soutenir. »
« Ils ont besoin de moi. »
Tsssss
Alors que je suis incapable de voir ce qu’ils ressentent.
Et que je suis encore en train de pleurer.
Le corps de Chieko se met à dodeliner lentement, dans une vaine tentative de se calmer.
Ressaisit toi bon sang !
Tu penses vraiment que Kagome serait capable de te mentir ?
Sur CE sujet ?
Est-ce qu’elle avait l’air de le prendre à la légère ?
Non.
Je devrais le savoir depuis le temps.
Kagome est différente.
En de nombreux aspect.
Elle me fait confiance aveuglément.
Alors pourquoi je doute d’elle ?
Elle t’aime.
Elle redresse légèrement la tête et passe les mains sur son visage.
Et elle aime Jun…
Un immense chagrin semble de nouveau s’abattre sur elle.
Et moi ?
Qu’est-ce que je suis prête à faire pour elle ?
Jusqu’où je peux aller ?

Au bout d’une dizaine de minutes, elle se lève et se dirige vers le camp, toujours perdue dans ses pensées.
Elle commence à ranger les affaires instinctivement pour le prochain départ.
 



Après avoir de nouveau monté le camp, Jun s'approche de Chieko :
« Je peux te parler ? »

Chieko tourne la tête vers Jun, elle a le regard vide.
Elle semble fixer un point loin derrière Jun, ne le regarde pas directement.
Puis elle semble réaliser que son ami lui a parlé.
Elle secoue la tête, comme pour chasser les pensées qui la taraudent.
« Oui ? »

Jun regarde autour d'eux pour s'assurer qu'ils ne pourront pas être entendu.
« Je suis désolé pour tout à l'heure. J'avais besoin de rester seul un moment mais je n'aurai pas dû te parler comme ça... Toi aussi tu souffres de la situation actuelle... »
Il hésite : « Si jamais tu as besoin de parler... Pas forcément tout de suite hein ? Mais ce soir, ou dans les jours à venir, n'hésites pas. Je ne sais pas si je pourrai t'être d'une grande aide mais je ferai de mon mieux. »
Quand il a terminé, il regarde Chieko un moment, ne pensant pas avoir de réponse de sa part.

Un sourire amer se dessine sur le visage de Chieko.
Elle fait un pas vers Jun et le prend dans ses bras.
Elle murmure :
« Merci, et tu es encore en train de t’inquiéter pour moi malgré tout. »

Jun enlace également son amie.
« J'ai envie de penser que ce qui s'est passé aujourd'hui n'est qu'un malentendu, une suite d'incompréhensions, d'un côté comme de l'autre. Mais une part de moi ne peut s'empêcher de penser que Kagome est pleinement consciente de ce qu'elle fait, de lui en vouloir pour ça... Bref, je ne parviens pas à la comprendre par contre je pense plutôt bien comprendre ce que tu ressens. Donc si je peux essayer d'arranger ça, ne serait-ce qu'un peu, ce sera déjà pas mal. »

Elle fait un pas en arrière et prend Jun par les épaules.
« Je pense qu’il vaut mieux lui laisser du temps. »
Elle soupire.
« Nous avons bien pu voir ce que ça a donné quand nous avons poussé Kagome à prendre des décisions rapidement. »
Elle ose enfin croiser le regard de Jun.
« Je suis vraiment désolée, j’aurais dû te dire que je lui avais fait ma demande. Je suis une idiote. »

Jun semble un peu rasséréné de voir son amie reprendre le contrôle d'elle-même :
« Une suite d'incompréhension, d'un côté comme de l'autre... Pour ce qui est de Kagome, pour le moment je pense que je te laisse la main... »

Elle sourit de nouveau.
« Merci. Tu es vraiment quelqu’un de bien. Je suis heureuse que tu sois à mes côtés. »
C’est injuste, pourquoi est-ce qu’il ne pourrait pas être heureux également ?
Elle lève les yeux au ciel.
« Malheureusement, je ne sais toujours pas quoi faire, je crois que j’ai… peur tout simplement. Mais je vais essayer de lui parler si j’en ai l’occasion. Ça ne m’avancera à rien de fuir. »

Jun soupire.
« J'espère qu'elle t'écoutera plus qu'elle ne m'a écoutée... Si je peux me permettre un conseil : reste calme. Je ne sais pas si un de nous pourra la retenir cette fois. »
Il pose la main sur l'épaule de Chieko avant de se retourner pour partir.

Les pensées de Chieko la submergent de nouveau tandis que Jun s’éloigne

Si j’arrivais à énerver Kagome, je pense que ce n’est pas que pour moi qu’il faudrait s’inquiéter.
Chieko est de nouveau engloutie par un flot de doute. Instinctivement, sa main vient chercher un contact rassurant. Elle effleure doucement la crinière d’Hogo et fini par y enfouir son visage.

Pourquoi est-ce que tout le monde ne pourrait pas être heureux finalement ?

Je peux pas en rester là avec Chieko, j’ai vraiment été horrible avec elle. Je vais aller m’excuser… Je ne sais pas si elle voudra m’écouter mais je peux au moins essayer...

Après la téléportation, Jun s'approche de Chieko : "Je peux te parler ?"

Chieko tourne la tête vers lui, elle a le regard vide. Il a presque l’impression qu’elle ne le regarde pas directement mais plutôt un point loin derrière toi.

Elle va me jeter...

Puis elle semble réaliser que qu’il a parlé. “Oui ?”

Ou pas. C’est Chieko après tout… Elle a un cœur d’or.

Jun regarde autour d'eux pour s'assurer qu'ils ne pourront pas être entendus. "Je suis désolé pour tout à l'heure. J'avais besoin de rester seul un moment mais je n'aurai pas dû te parler comme ça... J’aurai dû te demander un peu de temps au lieu de te hurler dessus… Toi aussi tu souffres de la situation actuelle..." Il hésite : "Si jamais tu as besoin de parler... Pas forcément tout de suite hein ? Mais ce soir, ou dans les jours à venir, n'hésites pas. Je ne sais pas si je pourrai t'être d'une grande aide mais je ferai de mon mieux." Quand il a terminé, il regarde Chieko un moment, ne pensant pas avoir de réponse de sa part, puis commence à se retourner.

Elle ne laisse pas à Jun le temps de se retourner.

Un sourire triste se dessine sur le visage de Chieko. Elle fait un pas vers lui et le prend dans ses bras. Elle murmure : “Merci, et tu es encore en train de t’inquiéter pour moi malgré tout.”

Je ne mérite pas une telle amie et elle ne devrait pas avoir à supporter un ingrat comme moi...

Jun enlace également son amie. "J'ai envie de penser que ce qui s'est passé aujourd'hui n'est qu'un malentendu, une suite d'incompréhensions, d'un côté comme de l'autre. Mais une part de moi ne peut s'empêcher de penser que Kagome est pleinement consciente de ce qu'elle fait, de lui en vouloir pour ça... Bref, je ne parviens pas à la comprendre. Par contre je pense plutôt bien comprendre ce que tu ressens. Donc si je peux essayer d'arranger ça, ne serait-ce qu'un peu, ce sera déjà pas mal."

Elle fait un pas en arrière et prend Jun par les épaules. “Je pense qu’il vaut mieux lui laisser du temps.” Elle soupire. “Nous avons bien pu voir ce que ça a donné quand nous avons poussé Kagome à prendre des décisions rapidement.” Elle ose enfin croiser le regard de Jun. “Je suis vraiment désolée, j’aurais dû te dire que je lui avais fait ma demande. Je suis une idiote.”

Jun semble un peu rasséréné de voir son amie reprendre le contrôle d'elle-même : "Une suite d'incompréhension, d'un côté comme de l'autre... Pour ce qui est de Kagome, pour le moment je te laisse la main..."

Elle sourit de nouveau. “Merci. Tu es vraiment quelqu’un de bien. Je suis heureuse que tu sois à mes côtés.”

Quelqu’un de bien ? Moi ? Tu plaisantes…

Elle lève les yeux au ciel. “Malheureusement, je ne sais toujours pas quoi faire, je crois que j’ai… peur tout simplement. Mais je vais essayer de lui parler si j’en ai l’occasion. Ça ne m’avancera à rien de fuir.”

Jun soupire. "J'espère qu'elle t'écoutera plus qu'elle ne m'a écoutée... Si je peux me permettre un conseil : reste calme. Je ne sais pas si un de nous pourra la retenir cette fois." Il pose la main sur l'épaule de Chieko avant de se retourner pour partir.

Pour une fois je ne l’ai pas faite pleurer...

Chieko se plonge de nouveau dans ses pensées en regardant Jun s’éloigner.

Kagome ne semble pas m’éviter ou m’en vouloir. Elle continue de s’entrainer mais elle ne sollicite ni Osamu ni Hisashi.
Elle veut rester seule à priori ou juste évacuer sa colère peut-être ?
En tout cas, elle en veut à Jun. Si un regard pouvait tuer, il serait déjà allé rejoindre ses ancêtres.
Plusieurs fois même…
Chieko se décide finalement à aller voir sa compagne.
« Est-ce qu'on peut parler un moment? »

Mais qu’est-ce que je vais lui dire au fait ?
Alors Kagome, il parait que tu aimes Jun aussi ?
Et je lui en ai déjà parlé hier.
Ça n’était pas une franche réussite.
J’avais dit que j’attendrai.
Qu’elle pouvait prendre son temps.
Et je reviens encore sur le sujet.

Chieko est hésitante, elle ne tient pas en place et passe d’un pied sur l’autre en regardant Kagome. Elle ne sait pas trop comment se positionner, croisant et recroisant les doigts, redressant ses cheveux alors même qu’elle n’en a pas besoin.

La sueur perle sur le front de Kagome tandis qu’elle redescend de sa position pour se tenir face à Chieko.
« Ici? »

Non.
Surement pas.
Chieko attrape Kagome par la main et s’éloigne pour être au calme.
« Non. »

Sa main est chaude.
Sa prise se fait plus ferme et son pouce caresse instinctivement le dos de la main de Kagome.
Elle marche pendant quelques minutes, ne sachant pas trop vers ou aller, juste pour s’éloigner quand elle commence à entendre le murmure d’un ruisseau.
Par-là, ils hésiteront sans doute à s’approcher en pensant que nous sommes en train de nous rafraichir.
Chieko dirige ses pas vers le cours d’eau. Elle décide de se diriger vers un arbre aux branches longues et tombantes qui borde l’étendue d’eau. Distraitement, sa main écarte les feuilles pour s’entrouvrir un passage.

Elle finit par s’asseoir et fait signe à Kagome de faire de même en tapotant doucement le sol à côté d’elle.
Le contact frais de la mousse la rappelle quelque peu à la réalité.

Kagome s'assied et lance un regard interrogateur sans pour autant prendre la parole.

Chieko pose la tête sur l’épaule de Kagome.
Profiter au moins un instant avant la probable tempête.
Quelques rayons de soleil passent à travers les frondaisons et créent des éclats miroitant en jouant sur la surface du ruisseau. L’eau est claire et ses ondoiements renvoient des reflets oscillant entre un bleu azuréen et un vert profond.
Chieko admire quelques instants les ondulations des algues dans l’eau. Pendant ce qui lui semble une fraction d'éternité, elle est comme hypnotisée, attirée par cette surface froide et malaisante. Elle soustrait son regard à ce mouvement lascif pour finalement le poser sur la main de sa conjointe, sans pour autant la regarder directement.
« Comment tu vas ? »

Kagome hausse juste une épaule pour ne pas gêner Chieko.
« Bien. »
Et continue après une courte pause.
« Je ne décolère pas mais sinon ça va. »

Chieko finit par se redresser à contrecœur pour pouvoir l’observer. L'ombre des feuillages dessine un voile de dentelle sur le visage de Kagome contrastant avec ses écailles iridescentes. La réverbération de l’eau joue sur sa peau en faisant ressortir le côté diapré de ses écailles. Toute cette scène lui donne un aspect onirique.
Est-elle seulement réelle ?
« Il faut que tu m’expliques. »

Elle grince des dents.
« Disons... Disons que les choses sont au clair une bonne fois pour toute avec Jun. »

Chieko attrape le menton de Kagome et plonge son regard dans le sien.
« Raconte-moi tout. Je pense qu’il y a des choses que je dois savoir. »


Elle tente de détourner le regard mais Chieko fait en sorte qu’elle ne puisse pas.
Kagome fini par laisser échapper un soupir. Et lève finalement les yeux à regret vers Chieko, dans un regard par en dessous.
« Tout? »

Mon dieu.
Cette mine boudeuse.
Je ne sais même pas comment je pourrais en vouloir à cette femme.
Le simple fait de me plonger dans son regard me fait presque oublier que le monde s’effondre autour de nous.
Chieko rétorque malgré tout :
« Tout. Absolument tout. »
Elle soutient le regard de sa future.

« Bon. »
Kagome inspire à fond, avant de se lancer:
« Je suis allée le trouver en revenant de la rivière. Il semblait préoccupé mais je me suis dit que c'était le bon moment pour lui parler d'hier. Alors je l'ai abordé, on a un peu bavardé. Au début ça se passait plutôt bien. Je pensais savoir ou j'en étais, je me sentais en paix si tu vois ce que je veux dire. Mais quand il a voulu savoir pourquoi tu t'étais effondré à ton retour je n'ai pas vraiment su quoi lui dire. Alors je lui ai raconté ce qu'il s'était passé dans le bosquet, dans les grandes lignes. Et quand j'ai évoqué ta demande... »
Elle secoue la tête. Elle semble contenir trop d'émotions violentes.
« Il l'a mal vécu, au fond j'aurais probablement dû m'en douter. »
Elle s’interrompt, son regard gris se durcit.

Chieko ramène lentement sa main sur ses jambes. Elle n’ose pas dire un mot, attendant patiemment la fin des explications.

Kagome inspire avec exaspération cette fois, crispe et relâche quelques fois les mâchoires. Sa colère est visible, impossible de dire si elle essaye de la réfréner ou si elle est en train de la ressasser.
« Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il voit de différent dans ses sentiments entre hier et aujourd'hui. Je pensais avoir compris quelque chose, une vérité plus profonde que ce qu'on m'avait inculqué. J'ai été stupide de vouloir partager ça avec lui. Il... »
Elle serre de nouveau les dents, rentre le menton, se crispe. Son regard se noie dans les remous de l’eau face à elle mais Chieko sait que les larmes ne sont pas loin de poindre à la surface. Est-ce de colère, de douleur ou de chagrin ? Chieko ne saurait le dire à ce moment-là. Kagome arrive à les contenir, siffle entre ses dents.
« Il m'a blessé. Ce que je croyais mien il l'a détruit en quelques instants. Je le hais. »
Si des mots pouvaient tuer, il n'y aurait plus de formes de vies à des lieues à la ronde.
Chieko trésaille en entendant cette affirmation.

Ses yeux ont encore changé de couleur.
Est-ce que je rêve ou ils ont également changé de forme ?
Non, ça doit juste être une impression.

Chieko remarque qu’elle retenait son souffle et pousse un soupir quand elle s’en rend finalement compte.
« Et donc, qu’est-ce que tu as compris Kagome ? »

« Que je ne suis pas faite pour réfléchir. »
Elle est sinistre en sifflant ces mots.

Et moi donc…
Un rire nerveux s’échappe des lèvres de Chieko.
« Aucun d’entre nous ne l’est je pense. Du moins pas en ce moment. Pas sur ce sujet. »

Comment aborder le sujet ?
Elle ne semble pas comprendre le point de vue de Jun.
Comment lui faire entendre ?
Moi je peux très bien l’imaginer.
Commençons par le plus simple.
Chieko cherche ses mots avec prudence.
« Pourquoi est-ce que tu m’as dit oui ? »

« Parce que je t'... »
Kagome s'interrompt. Ses yeux s'écarquillent puis elle fond en larmes.
Elle se tient le ventre, hurle de rage. De désespoir.
Ha…
Moi qui pensait commencer doucement pour tenter de lui faire comprendre.
Je ne m’attendais pas à ça.
Elle qui d’habitude est si stoïque et pragmatique face à ce qui la dépasse.
Mon amour…

Chieko glisse une main au creux du dos de sa bien-aimée et l’attire délicatement vers elle. L’autre main lui effleure les cheveux et entraine doucement le visage de Kagome au creux de son cou. Elle dépose un baisé sur la chevelure et se met à la bercer.
Un murmure affectueux, rassurant au creux de son oreille :
« Là, ça va aller. »

Pendant de longues minutes, Chieko reste sans rien dire. Elle se contente de lui caresser doucement les cheveux et le dos sans desserrer son étreinte afin de l’apaiser. L’épreuve de Rahmu a tellement changé sa compagne. Sa chevelure auparavant plus volumineuse est maintenant semblable a des rubans de soie glissant sans peine entre les doigts de Chieko. Même ses petits frisottis aux racines ont totalement disparu.
Toute son anatomie s’est retrouvée bouleversé, passant de cette apparence fluette a une morphologie plus athlétique et robuste. Chieko redécouvre celle qu’elle croyait connaître par cœur. Ses mains apprennent à reconnaître en toute ingénuité celle avec qui elle a pourtant tant partagé.

Au bout d'une dizaine de minutes toujours en larmes, Kagome cherche à se dégager.
« Je... vais le... tuer. Je vais... le tuer... »
Ses pupilles sont fendues verticalement. Sous l'effet de la colère ce ne sont plus que deux traits verticaux.

Sans dire un mot, Chieko ramène Kagome contre elle.

« Laisse-moi. Je dois... Il n'avait pas le droit. »
Hoquette.
« C'était... à mooooi. »

Chieko serre juste Kagome contre elle. Pour lui montrer son affection. Les mots seraient futiles dans son état. Elle veut juste que Kagome sache qu’elle est là pour elle, qu’elle arrive à se calmer.
Kagome renonce à lutter après quelques minutes et s'effondre contre Chieko.

« Kagome ! Calme-toi ! »
La voix de Chieko est autoritaire.
Il faut que j’interrompe ce maelström dans lequel elle est en train de se perdre.

Chieko sent que sa maîtresse commence à lâcher prise. Elle la change délicatement de position pour qu’elle s’allonge, la tête posée sur ses cuisses et passe la main dans les cheveux de Kagome.

Kagome essaye de se maîtriser de son mieux. Sa respiration est hoquetante. Son visage est détrempé. Elle convulse sous l'effort pour se dominer.

Chieko murmure :
« Mon amour, ma chère et tendre… »
Elle essuie les larmes sur ses joues.
« Même pour moi, tout ceci est compliqué. »

Kagome tente de parler :
« ggg... »
Elle secoue la tête.
« Jeee... Je croyais... Je croyais que c'é...étaient les miens... »
Elle se remet à sangloter âprement.

Chieko se penche doucement et pose un baisé sur le front de Kagome.
« Là… »
Elle continue d’essuyer les larmes délicatement.
« Qu’est-ce que tu croyais ? »

« Sii.. Si mes sen-hen-timents. N'... N'en sont pas. A... Alors. Ca veut di... dire que ri-ien n'e-est... »
Elle perd de nouveau la locution.

« Ma douce… si tu te mets dans ces états-là, entre ta colère, ton désespoir et les sourires que tu m’as montré hier… c’est que tes sentiments sont vrai. »
Je ne l’ai jamais vu comme ça.
Elle caresse la joue de Kagome.
« Il faut parfois juste du temps à l’esprit pour comprendre ce que le cœur lui crie depuis bien trop longtemps. »

Kagome lui serre la taille, s'y cramponne comme à une bouée de sauvetage.
« M-m-mais alo-ors... Q-Q-Qu'est est-ce que je-e suiiiis? »

Chieko passe la main dans les cheveux de Kagome, lui masse l’arrière du cou.
« Tu es juste une jeune femme, plus normale et plus humaine que tu ne sembles toi-même le croire. »

« Mais... I-il m'a-haaa... dit qu- dit que-heu ça-ha n'é-he... n'é-he-tait pas-ha d... pas de... de l'... de l'a-ha-mou-hou-hour! »

Chieko laisse le temps à Kagome de pleurer. Elle en a besoin.
Sa main glisse avec tendresse le long du dos de Kagome.
Elle finit par reprendre :
« Normalement, l’amour est … exclusif. Quand tu m’as dit oui, j’étais persuadée que tu rejetais Jun. C’est pour cela que je n’osais pas le regarder en face. Je me disais que c’était à toi de lui annoncer que tu ne voulais pas de lui en tant qu’amant. Quand je vous ai aperçu hier, je pensais que c’était Jun qui avait perdu pied et qui t’attaquait parce que tu lui avais annoncé. »
Elle s’arrête quelques secondes.
« Je vais tout te dire, quand j’ai compris que Jun était amoureux de toi, j’ai de nouveau senti cette peur de te perdre, celle que je cache depuis si longtemps. Mais en même temps, je voulais que tu sois heureuse. Je me suis demandée si c’était ton choix et je me suis dit que si c’est ce que vous vouliez, vous seriez heureux et que je ne pouvais pas l’empêcher. J’ai eu peur de te perdre, ça m’a fait souffrir à un point…
Ce n’est pas… habituel, mais si tu penses nous aimer tous les deux… »
Sa voix se brise sur cette affirmation et elle ne termine pas sa phrase.

« N-non. Si t-tu penses pareil, a-A-alors c'est vous qui-i avez rai-haison. Jjjje... Je ne d-dois pas. E-être ahamouhoureeeeeuse. C'est au-autre chose. »

Chieko secoue la tête patiemment.
« Ce n’est pas ce que j’ai dit Kagome. Au contraire… Quand je te vois, détruite, par cette situation, je ne peux pas douter de tes sentiments. »
Elle regarde vers le camp.
« Pour ne pas te perdre entièrement, je serais prête à accepter ça. »

Kagome rejette énergiquement l'idée.
« N-non. Je veux... Je ve-eux juste rentrer chez n-nous. Q-Quand il n'y avait que toi et... et moi. »
Elle convulse un peu, reprend son souffle.
« L-lui. I-il... Il m'a fait du-u ma-hal. J--Je ne sss-ais p-plus ce qu-qui e-est moi mai-aintenant. »

Chieko soupire.
Le rejet de Jun l’a profondément blessée.
Ses sentiments pour lui sont sincères.
Sinon elle ne serait pas brisée.
« Et pour quelle raison est-ce que ça te fait aussi mal qu’il ne l’accepte pas directement ? »

« N-Non, c'est pas ça. C'é- C'était à m-moi. Et il... Il me les a.... p-pris. »
Elle reprend son souffle.
« Mes... Mes s-sentiments... »
Exhale :
« Pour t-toi. »
Elle s'effondre en hurlant contre le ventre de Chieko.
« Il m'a pris ma certitude! »

Chieko l’attrape par les épaules, la redresse et prend le menton de Kagome au creux de sa main pour la force à la regarder. Même ainsi, ravagé par les larmes, altéré par ce qu’elle a vécu auprès de Rahmu, le visage de Kagome ne fait naitre en elle qu’un amour irraisonnable et insensé.
« Personne ne peux te prendre tes sentiments, c’est toi qui choisit de les suivre ou pas. »

Elle hurle de rage. De douleur. Etouffe son cri contre sa maîtresse.

Chieko enserre Kagome dans ses bras dans un réflexe protecteur et lui tapote le dos avec compassion. Sa moitié s’appuie avec force contre elle et elle sent ainsi les irrégularités de l’écorce contre son dos.
« Je sais, c’est compliqué. »

« On... On dou-houte tous mai-hain-tenant. Et j-je pars en m-mor-ceaux. Mon a... axe... est cassé. »

Elle dépose un baisé sur les cheveux de Kagome, s’attarde un instant, le nez dans ses cheveux. Hume ce parfum qu’elle chérit tant.
« J’avais des doutes, mais plus maintenant. »
Elle relève la tête.
« Et je réparerai MON monde autant de fois que nécessaire. »
Elle serre Kagome dans ses bras aussi fort que possible.
« Je t’aime. Et si je dois te partager tant pis, tant que tu m’aime aussi. »

Chieko sent Kagome bouger légèrement dans ses bras.
« Chie-eko non. Tu-u es la seu-heule q-qui m'a-accepte comme je s-suis. Je ne... Ne veux q-que toi. Et nous. J- J'ai cru mais... »
Elle secoue la tête.
« Il n'est pas... Comme nous. »

Chieko relâche son étreinte.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Kagome essaye de trouver ses mots, finit par renifler, hausser les épaules, incapable d'exprimer sa pensée. Elle contient avec succès cette fois une nouvelle crise.
« Je... Je ne sais pas. Toi... Tu m'écou...te d'abord. Qu-quand je doute ou me trompe, t-tu cherche à comprendre. Quand j'ai... expo-osé mon cœur... ce qu'il n'a pas compris, il l'a détruit. »

« Tu connais Jun. Il n’est déjà pas du genre à se confier. Et tu vois ce que cette situation a fait naitre que ce soit chez toi, ou chez moi. Il a eu peur. »
Elle sourit légèrement.
« Comme nous tous. L’amour peut nous faire faire des choses étranges, nous faire blesser les gens qui nous sont cher sans vraiment le vouloir, parce qu’on n’a pas réfléchit. »

Kagome secoue la tête.
« Non. Ce n'était pas... Non. »

Elle ramène Kagome contre elle et la berce doucement.
Je suis là Kagome.
Les mains de Chieko effleurent légèrement le dos de sa compagne.
Et tant que je serais vivante, je serais là.
Pour toi.
Kagome enfoui son visage dans les cheveux de Chieko.

Elles restent ainsi jusqu’à ce que Chieko sente que Kagome commence à se décrisper.
Elle attrape Kagome par les épaules et la redresse légèrement. Elle plonge ses yeux dans les siens.
Elle finit d’essuyer les yeux de sa future délicatement, son regard est empli de tendresse pour Kagome. La main de Chieko s’attarde sur la joue de celle qu’elle aime à la folie. Chieko pourrait se perdre pendant des heures dans son regard. Serait prête à se damner pour elle.
Le reste de l’univers peut bien s’effondrer.
Je ne vis que pour elle.
Maintenant et à jamais.
Chieko se penche vers elle et l’embrasse.
Une kyrielle de papillons virevolte.
Kagome reste inerte une seconde puis elle ferme les yeux, resserre les mains sur les manches de Chieko. Une nouvelle larme roule sur sa joue. Unique.
Chieko oublie tout à cet instant. Elle est retournée là-bas. Dans leur bulle. Un sentiment de plénitude l’envahit. Plus rien d’autre n’existe, juste elles, hors du monde et hors du temps.

Écouter la terre.
Avoir conscience de son poids.
N’être que l’instant.
Respirer.
Lever une main. Lentement.
Garder l’équilibre.
Revenir.
Respirer.
L’autre main.

La chaleur de l’après-midi et l’effort musculaire faisaient perler son front, mais elle n’y prêtait pas attention.
Rester centrée, équilibrée. C’était exactement ce qu’il lui fallait.
Elle disciplinait son corps et son esprit.
Nul tremblement involontaire, nulle voix ne la perturbaient en cet instant.
Elle était l’arbre. La montagne. Une force verticale résistant passivement à son propre poids.
Elle raidit ses mains contre le sol, les fit pivoter pour que leurs talons se fassent face.

Bien.
Maintenant, écarter les pieds.
Lentement.
Bloquer.
Respirer.
Faire pivoter les jambes : un pied devant, un pied derrière.

« Est-ce qu’on peut parler un moment ? »

Kagome ouvrit les yeux au son de la voix de Chieko. Elle regroupa ses jambes, puis reposa les pieds au sol avant de se redresser lentement. D’après la position du soleil cela faisait un moment qu’elle s’entraînait.

Elle avait informé Hisashi et Osamu de son besoin de s’entraîner seule. Ils devaient avoir sentit qu’elle avait besoin de se recentrer car ils n’avaient pas posé de questions. Dans l’état ou elle était, elle se sentait dangereuse pour les autres et pour elle même. Elle s’était donc isolée en marge de la zone d’entraînement des deux guerriers pour s’appliquer à se recentrer par différents exercices. Et elle y avait en grande partie réussi. Son cercle reprenait une forme cohérente et ne la noyait plus sous un flot de pensées parasites. La fournaise attendait sagement qu’elle fasse appel à elle. Kagome était maîtresse d’elle-même.

Elle glissa un instant son regard dans la direction des hommes avant de demander : « Ici ? »
Leur présence ne la dérangeait pas mais elle avait le sentiment que ce que Chieko voulait lui dire aurait gagné à profiter d’un peu d’intimité. Cette dernière lui prit la main en disant simplement : « Non. »
Sa prise était ferme mais douce. Pendant de longues minutes la jeune femme les fit errer jusqu’à atteindre les abords d’un ruisseau. Elle jeta son dévolu sur un saule-pleureur dont les branches tombaient comme un rideau par dessus le cours d’eau créant une bulle d’intimité. Dans ce boudoir de verdure, la lumière tamisée venait jouer sur la surface de l’eau éclaboussant la frondaison de centaines de taches de lumière multicolore.Le murmure du ruisseau et le bruissement des feuilles complétaient le tout créant un sentiment d’intimité.

Chieko s’assit au pied de l’arbre avant de tapoter le sol près d’elle, invitant sa fiancée à faire de même. Celle-ci s’exécuta, les sourcils formant une arche interrogatrice. Elle ne voyait pas bien ou l’autre voulait en venir mais patiemment, elle obéissait. Sa maîtresse vint se blottir contre elle, laissant reposer sa tête contre son épaule. Le temps s’égraina ensuite lentement, sans qu’aucune d’elle ne prenne la parole. Chieko était plongée dans ses pensées et Kagome attendait. L’échange du matin avec Jun lui avait fait durablement perdre sa curiosité, elle n’avait pas envie de faire plus de dégâts par sa stupidité. Surtout pas si c’était Chieko. Elle avait le sentiment que si elle se cantonnait à répondre aux sollicitations, et à rester maîtresse d’elle-même les choses iraient sans doute pour le mieux à l’avenir. Finalement la jeune femme aux cheveux roses finit par poser la question qui lui brûlait les lèvres : « Comment tu vas ? »

Toutes deux savaient très bien ce qu’elle entendait par cette question. Le spectre de la scène qui s’était jouée le matin même projetait encore son ombre sur elles. La servante eut un haussement de son épaule libre, comme pour minimiser l’importance de la dispute, ou plutôt de l’effet qu’elle avait eu sur elle.

« Bien. » Malgré son effort pour adopter un ton détaché, sa réponse avait été plus froide et dure qu’elle ne l’aurait voulue. Objectivement, il était vrai qu’elle n’allait pas mal, mais prétendre qu’elle était dans son état habituel aurait-été un mensonge éhonté. Kagome ne conservait sa cohésion qu’à la force de sa volonté, et si elle avait réussi jusqu’ici à dominer la fureur qui bouillait en elle c’était uniquement en se concentrant sur ce qui se trouvait immédiatement devant elle. Un double exercice épuisant mentalement et il y avait de forte chance que la Daishoji s’en soit aperçue. La servante précisa donc : « Je ne décolère pas, mais sinon ça va. »

Le poids de la tête quitta son épaule tandis que Chieko se redressait pour la regarder. C’est dans un quasi murmure, presque à regret qu’elle lui dit : « Il faut que tu m’expliques. »

Le seul souvenir de la scène raviva les flammes de la rage de Kagome. Le regard résolument braqué sur le rideau de feuilles, il lui fallu quelques secondes pour se rendre compte que le son irritant qu’elle percevait était celui qu’émettaient ses dents en glissant les unes sur les autres tant elle serrait fort les mâchoires pour se contenir. Elle n’avait aucune envie de revenir sur ces événements, aussi essaya-t-elle d’éluder la question.
« Disons… Disons simplement que les choses sont au clair une bonne fois pour toute avec Jun. »

Mais la princesse avait décidé d’avoir le fin mot de l’histoire. Elle saisit le menton de son amie et la força à la regarder en face. Il n’y avait pas de violence dans son geste, ni dans son regard. Juste une calme et implacable détermination qui trouvait écho dans sa voix quand elle ordonna : « Raconte moi tout. Je pense qu’il y a des choses que je dois savoir. »

Kagome se sentait piégée. Elle ne pouvait pas s’empêcher de se souvenir que c’était ainsi que les choses avaient commencées à dégénérer avec Jun : un simple exposé des faits d’une conversation précédente. Et elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver un sentiment de culpabilité après la façon dont l’homme avait réagit à ce qui lui semblait naturel. Et si elle était vraiment anormale ? Si il avait raison et elle tort ? Mais plus que tout elle redoutait de découvrir le même regard de dégoût chez celle dont elle était le plus proche au monde… D’un autre côté elle ne se sentait pas la force de désobéir à un ordre direct de celle-ci. Elle essaya de détourner le regard, mais la prise ferme sur son menton l’en empéchait. Et elle sentait bien que tout comme sa prise, Chieko ne lâcherait pas l’affaire avant d’avoir obtenu ce qu’elle était venue chercher.

Kagome soupira. Elle savait très bien qu’elle ne pouvait pas gagner ce combat, mais n’arrivait simplement pas à faire taire sa peur. En une ultime tentative elle essaya de négocier sa reddition, sans y croire vraiment. Elle reporta son regard sur celui de sa maîtresse, peinant à le soutenir et demanda d’une petite voix de fillette contrite : « Tout ? »

« Tout. » Le ton de Chieko était comme les mâchoires d’acier d’un piège qui se referme. Son expression avait la dureté de la Justice et la même rigidité quand elle acheva de prononcer la sentence : « Absolument tout. »

Ainsi Kagome n’avait plus d’échappatoire. Pas la moindre zone d’ombre ou faille où se soustraire à regard de son juge. Il lui fallait à présent livrer l’entière vérité à sa maîtresse, que cela lui plaise ou non, et accepter le jugement qu’elle porterait sur elle. Que pouvait-elle dire dans ces conditions sinon un simple « Bon. » résigné mais résolu malgré tout ? Puisqu’elles en étaient là autant en finir le plus vite possible. Ganko, Satori, Kakan et Shinme partageaient également ce sentiment. Et si elle se serait bien passée de leur approbation, Kagome se sentait rassurée de voir son cercle retrouver un semblant d’unité. Leur présence au coin de son esprit la rassurait, elle y puisa la force de raconter sans que sa voix ne tremble :
« Je suis allée le trouver en revenant de la rivière. Il semblait préoccupé, mais je me suis dit que c’était le bon moment pour lui parler d’hier. Alors je l’ai abordé, on a un peu bavardé. Au début ça se passait plutôt bien. » Sa gorge se serrait tandis qu’elle revoyait le déroulement des événements, elle savait ce qui arrivait ensuite. Elle déglutit subrepticement pour garder le contrôle d’elle-même. Il fallait qu’elle continue, mais elle ne put s’empêcher de préciser, comme pour se défendre avant que Chieko ne la juge : « Je pensais savoir ou j’en étais… Je me sentais en paix, si tu vois ce que je veux dire. Mais… »
Il fallait qu’elle continue son récit.

« Quand il a voulu savoir pourquoi tu t’étais effondrée à ton retour, je n’ai pas vraiment su quoi lui dire. Alors je lui ai raconté ce qu’il s’était passé dans le bosquet, dans les grandes lignes. Et quand j’ai évoqué ta demande… »

La réaction de Jun, son manque de clairvoyance… Ce bref échange qui avait été le point de départ de tout le reste, les mots employés d’un côté comme de l’autre… Tout était encore très vif dans sa mémoire. Le simple fait de les effleurer réveillait son ire et sa douleur. Et elle se sentait stupide de n’avoir pas réalisé alors ce qui était en train de se jouer. Plus encore elle s’en voulait de lui avoir fait confiance. De lui avoir ouvert son cœur. D’avoir partagé avec lui ses pensées les plus secrètes. De lui avoir présenté le fruit nouvellement cueilli de ses longues et pénibles réflexions. Tout cela il l’avait piétiné, utilisé contre elle.
Son cercle sentait son désarroi, sa douleur, sa rage aussi, et chacun tentait de son mieux, à sa manière, de la réconforter. Mais ce soutien disparate s’il la soulageait quelques peu ne faisait que l’enliser d’avantage dans le souvenir de l’échange et l’impression que les choses étaient hors de son contrôle. C’est presque sans s’en rendre compte qu’elle dit à voix haute le fond de sa pensée, le nœud de son incompréhension :
« Je n’arrive pas à comprendre ce qu’il voit de différent dans ses sentiments entre hier et aujourd’hui. Je pensais avoir compris quelque-chose. Une vérité plus profonde que ce qu’on m’avait inculqué. »

Le souvenir du baisé, du regard que Jun lui avait porté, de l’insulte jetée en plein visage quand son cœur était à nu… Elle se sentait tellement idiote. La plus gourde des cruches parmi les cloches de l’empire.
« J’ai été stupide de vouloir partager ça avec lui. Il… »

Absorbée par ses réminiscences elle n’avait pas remarqué que Chieko avait cesser de la tenir. En fait elle ne le remarqua pas même quand elle détourna le visage pour plonger son regard dans l’onde claire. Tout ce qu’elle voyait c’était son émotion. Et le flux du monde autour d’elle qui pulsait au même rythme que celle-ci. Il fallait qu’elle se contienne, qu’elle se domine. Elle ne voulait pas se souvenir de la suite. Elle ne voulait pas s’en rappeler. Elle ne voulait pas entendre encore ce qu’il lui avait dit alors. D’une certaine façon elle réussit à articuler quelques mots. Ou plutôt les mots parvinrent à franchir l’étau de ses dents serrées, dans un sifflement furieux, presque animal. « Il m’a blessée. Ce que je croyais mien il l’a détruit en quelques instants. » Oui, c’était un fait cet homme l’avait brisée en un endroit que nulle arme n’aurait pu atteindre. Il avait en quelques mots fais plus de dégâts que toutes les heures de tortures qu’elle avait pu subir enfant. Et de ce fait, des émotions qu’elle éprouvait maintenant à son égard et que reprenaient chacunes des voix en elle naissait un constat. Un constat très simple, net et sans ornements. Un sentiment brûlant d’une passion froide et mortelle qui se résumait en trois mots : « Je le hais.»

Pourquoi ne l’avait-elle pas achevé quand elle en avait eu l’occasion ? Qu’est-ce qui avait retenu son bras avant que Chieko n’intervienne ? Ces questions en plus de la dépasser ne faisaient qu’ajouter des d’amer regrets à l’humeur caustique que distillait Kagome. Dans ces circonstances, il n’était donc pas étonnant que quand la femme aux cheveux roses lui demanda : « Et qu’as-tu compris Kagome ? » elle répondit d’un air lugubre et sur un ton mordant : « Que je ne suis pas faite pour réfléchir. »

Le rire sans joie de sa compagne ne parvint pas à la tirer de son humeur. Elle n’entendit que de très loin les paroles que celle-ci prononça ensuite. Elle aiguisait sa haine, la polissant, l’effilant sur les souvenirs qu’elle venait de ranimer. Elle se représentait de mille façons différentes la prochaine occasion qui lui serait donnée d’achever ce qu’elle avait commencé, et dans aucune elle ne se voyait hésiter. Mais une question lui parvint. Une simple question qui la tira de ses sombres fantasmes aussi rapidement qu’une bulle de savon éclate. Chieko lui demandait le plus simplement du monde : « Pourquoi est-ce que tu m’as dit oui ? »

La surprise de Kagome d’entendre une telle question de la part de sa plus que sœur l’arracha à son humeur meurtrière. Elle ramena son regard consterné sur celle qui représentait tant pour elle. N’était-ce pas évident ? C’était comme demander à un être vivant pourquoi il respire. Elle savait pourtant qu’il lui suffisait d’être à ses côtés pour que ce sentiment l’envahisse, écrasant tout le reste. C’était pour cela qu’elle avait accepté sans avoir besoin d’y réfléchir à deux fois : « Parce-que je t’… »

« Je ne sais pas ce que tu ressens, ce que tu penses être de l’amour, mais ça n’en est certainement pas. »

Le choc du souvenir qui s’abattit sur elle avec la violence et la soudaineté de la foudre lui coupa le souffle. Elle était incapable d’inspirer, ou d’expirer. En vain elle chercha à se libérer de l’étau qui lui écrasait soudain le cœur. Devant elle se tenait Chieko qui attendait sa réponse. Et alors qu’elle voulait lui livrer ses sentiments, Kagome se découvrait dépouillée de la seule chose qu’elle avait jamais cru posséder :
Son amour pour cette femme. Les larmes lui montaient aux yeux. Débordant lentement mais irrémédiablement. Puis le faible ruissellement devint progressivement un torrent en crue.

Elle réalisait à présent que c’était cela qu’elle avait fuit toute la journée sans en avoir vraiment conscience. Cela qu’elle avait refoulé en évitant de repenser à la scène. Ce pourquoi elle s’était efforcée de garder la maitrise de son corps et de son esprit. Cette frénésie déployée pour trouver quelque chose sur quoi ce concentrer, cela avait été comme une gangue qu’elle avait formé autour de son âme meurtrie. Elle s’était contentée de bander une blessure qui la déchirait de l’intérieur, la minant et l’assassinant à l’insu de tous. Et à présent qu’elle tentait de se redresser, elle réalisait l’étendue des dégâts : Elle était à l’agonie.
Son cœur, ses entrailles, tout en elle lui faisait mal. Elle se sentait déchirée, écartelée par cette cruelle affirmation. Convulsivement elle s’étreignit, se repliant sur elle-même. Elle souffrait tant… Et l’air qui refusait de passer dans ses poumons… Enfin un cri la libéra : déchirant, pathétique. Le son d’une âme qui se désagrège. Le cri de ceux qui viennent de perdre ce qu’ils ont de plus cher.

Elle n’était que douleur. Le chagrin, la colère, la perte… Tous prenaient une dimension nouvelle. Tout était flou. Elle n’était que perte, déchirement et ressentiment. Il lui fallut un long, très long moment avant retrouver une forme cohérente. Et cette forme était une fureur vengeresse, personnification de la haine que sept consciences portaient à celui qui avait blessé leur âme. N’eussent été les mains qui les retenaient, elle aurait déjà été en chasse loin de là. Mais les mains étaient là. Fermes et douces. Il fallait que les mains la libère, qu’ils puissent se venger. « Je… vais le… tuer… » Les mots s’échappent malgré les larmes, la fureur. Ils disent la vérité. « Je vais… le tuer… »

Les mains l’encerclent, la contiennent. Elle réalise qu’il y a une présence par-delà les mains. Une lumière douce et apaisante. Elle la force à rester là, à renoncer à la vengeance. La lumière ne comprend pas ce qu’elle a perdu. Ils essayent de lutter, de lui faire comprendre. « Laisse moi… Je dois… »
La fureur de dissipe un peu. Pourquoi faut-il se venger ? Ils cherchent la cause, s’y cramponnent, tentant de ranimer la flamme qui s’éteint : « Il n’avait pas le droit. »

Mais la fureur décroit. La lumière la repousse doucement, et tandis qu’elle reflue, il ne reste plus que la douleur et les larmes amères de l’impuissance. « C’était... à mooooi. »

Pourquoi ?
Pourquoi est-ce qu’elle ne peut pas juste éliminer ce qui lui a fait du mal ?
Pourquoi est-ce qu’elle doit supporter cette douleur ?
Pourquoi lui a-t-on enlevé sa raison d’être ?
Pourquoi est-ce-qu’elle se sent confuse, comme égarée entre ce qu’elle est et qui elle est?
Pourquoi ses pensées, ses émotions font-elles écho en elle plusieurs fois ?
Pourquoi les réponses sont elles si dures à trouver ?
Pourquoi doivent-elles être fausses ?
Pourquoi sa vérité ne peut pas être vraie ?
Pourquoi le monde est-il blanc ou noir ?
Pourquoi ? Où ? Qui ? Quoi ?

KAGOME !
CALME TOI !

Comme une secousse de son âme, une décharge la parcourt depuis le sommet du crâne. Descendant le long de sa colonne vertébrale, elle se ramifie dans chaque branche de son système nerveux à travers son dos.
Kagome se sent basculée sur le côté. Sous sa tête elle sent un contact chaud et moelleux. Elle reconnaît le parfum de Chieko piégé dans l’étoffe prés de son visage. La malheureuse n’a plus qu’une idée en tête : il faut qu’elle se domine. Elle tente de reprendre le contrôle de sa respiration. Hoquette, renifle laborieusement, le visage congestionné sous l’effort qu’elle déploie. C’est comme si elle tentait de retenir de ses mains nues une avalanche. Mais elle essaye malgré tout, de toute son âme, parce-que Chieko le lui a demandé. Elle sent la caresse dans ses cheveux, puis sur ses joues. Elle perçoit des mots doux, apaisants.
« Même pour moi, tout ceci est compliqué. »

Kagome ouvre la bouche, mais ne parvient pas à émettre un son. Le fond de sa gorge est complètement noué. Tout ce qu’elle parvient à produire c’est un croassement de consonnes. «ggg… » Elle secoue la tête, se fait violence. Il faut qu’elle se domine. Qu’elle parle. Elle force chacun de ses muscles à se relâcher. À laisser le passage pour l’air. « Jeee… » Ce n’est pas encore suffisant. Elle force les mots à travers l’ouverture.
« Je croyais… que c’é… étaient les mi-ens… » La charge émotionnelle de la pensée qu’elle essaye d’exprimer est trop lourde à porter dans l’état ou elle se trouve. Malgré ses efforts elle est emportée par une nouvelle crise de larmes.

Un baiser sur son front. Quelques caresses parviennent à la ramener à un calme relatif. Elle est encore en train de pleurer, hoquetante, mais elle parvient à garder ses pleurs presque silencieux même si pour ce faire elle doit par moment se mordre la paume de la main. Alors Chieko lui demande d’une voix très basse, chuchotante : « Qu’est-ce que tu croyais ? »

De nouveau Kagome déploie des efforts colossaux pour s’exprimer de manière intelligible : « Siii… Si mes sen-hen-timents. N’...N’en sont. P-as. A… Alors. Ca veut di… dire que ri-ien n’e-est… » Incapable de poursuivre, elle s’effondre une fois de plus. Elle voudrait se calmer, expliquer clairement ce qu’elle ressent comme Chieko le lui a demandé, mais elle n’en est pas capable. Elle se sent comme une étroite porte par laquelle la foule turbulente et bruyante de ses émotions et de ses pensées tenterait de se frayer un passage. Chieko dit quelque-chose à propos des sentiments. Elle parvient à se concentrer pour l’entendre dire :
« Il faut parfois du temps à l’esprit pour comprendre ce que le cœur lui crie depuis bien trop longtemps. »
Malgré elle son cœur se glace. Elle se cramponne à la taille de la femme comme si cela pouvait lui éviter de saisir les implications de cette affirmation. Alors elle aurait mit du temps à réaliser ce qu’elle savait au fond d’elle ? Que son attachement pour celle qui était tout pour elle n’était qu’une illusion ? Un artefact ? La question qui se posait alors peina à franchir le seuil tremblant de ses lèvres. « M-m-mais alo-ors… Q-q-qu’est-ce que je-e suiiiis ? »

En proie à un désaroi sans bornes, elle ne percevait presque plus les caresses de Chieko sur sa peau. Sa voix en revanche, lui parvenait toujours clairement malgré qu’elle chuchota. « Tu es juste une jeune femme, plus normale et plus humaine que tu ne sembles toi-même le croire. »

Kagome était perdue. Elle était humaine ? Mais ses sentiments étaient quelque-chose qu’on avait manipulé chez elle ? Que cela date de sa naissance ou remonte à la création de son clan importait peu. Comment pouvait-elle ne pas éprouver d’amour et être une femme ordinaire, humaine, comme voulait l’en convaincre Chieko ? Même en pleine possession de ses moyens ce genre de contradiction aurait semé le trouble dans son esprit, alors dans l’état ou elle se trouvait il est inutile de dire qu’elle n’y comprenait plus rien. Prise d’une nouvelle serie de sanglots violents, elle réussit malgré tout à articuler :
« Mais... I-il m'a-haaa... dit qu- dit que-heu ça-ha n'é-he... n'é-he-tait pas-ha d... pas de... de l'... de l'a-ha-mou-hou-hour! »

Lentement, progressivement les caresses parviennent à la calmer. Étrangement ce sont celles que l’élue des Aeons prodigue sur son dos qui semblent le plus efficace. Elles font remonter des frissons le long de sa colonne vertébrale. En fait si Chieko ne lui avait pas parlé pas en même temps d’une façon aussi sérieuse, la jeune femme aurait probablement pu s’endormir ainsi entre deux sanglots, comme une enfant. Mais Chieko parlait, et ce qu’elle disait demandait toute l’attention que Kagome était en mesure de lui accorder.

« Normalement, l’amour est … exclusif. Quand tu m’as dit oui, j’étais persuadée que tu rejetais Jun. C’est pour cela que je n’osais pas le regarder en face. Je me disais que c’était à toi de lui annoncer que tu ne voulais pas de lui en tant qu’amant. Quand je vous ai aperçu ce matin, je pensais que c’était Jun qui avait perdu pied et qu’il t’attaquait parce-que tu le lui avais annoncé. »

Chieko s’interrompit un instant, semblant peser le pour et le contre un moment avant de se lancer:

« Je vais tout te dire. Quand j’ai compris que Jun était amoureux de toi, j’ai de nouveau senti cette peur de te perdre, celle que je cache depuis si longtemps. Mais en même temps, je voulais que tu sois heureuse. Je me suis demandée si c’était ton choix et je me suis dit que si c’est ce que vous vouliez, vous seriez heureux et que je ne pouvais pas l’empêcher. J’ai eu peur de te perdre, ça m’a fait souffrir à un point…
Ce n’est pas… habituel, mais si tu penses nous aimer tous les deux… »

Kagome sentait confusément ce que sa compagne était en train de faire. Elle essayait de s’accorder à son point de vue à elle. Elle voulait lui donner raison, au détriment de la vérité. Ou du moins de ce que elle-même désirait. Toute effondrée qu’elle était, la Kôhaku ne pouvait pas la laisser faire. Sinon elle allait encore une fois se sacrifier pour elle. Elle prit sur elle de trouver la force de lui répondre malgré la douleur que cette pensée faisait naitre en elle : « N-non. Si t-tu penses pareil, a-A-alors c'est vous qui-i avez rai-haison. Jjjje... Je ne d-dois pas. E-être ahamouhoureeeeeuse. C'est au-autre chose. »

Mais Chieko hochait négativement la tête, déclarant : « Ce n’est pas ce que j’ai dit Kagome. Au contraire… Quand je te vois, détruite, par cette situation, je ne peux pas douter de tes sentiments. »
La voix de la femme aux cheveux roses s’était faite encore plus douce, si une telle chose était possible. Kagome leva les yeux vers son visage pour la voir regarder au loin dans une direction qui devait être à peu près celle de leur campement. Et elle l’entendit ajouter à mi-voix, comme pour elle-même : « Pour ne pas te perdre entièrement, je serais prête à accepter ça. »

Alors un frisson parcourut l’échine de la servante quand elle comprit enfin ce que sa maîtresse avait en tête. Elle était convaincue qu’elle désirait être avec Jun et elle. Et elle s’apprêtait à faire ce sacrifice pour elle. Pour ne pas la perdre. L’horreur saisissait Kagome en repensant à ce qu’elle avait vu du mage au cour de leur dernier échange, à la manière dont il l’avait dévastée en frappant sans hésitation là ou elle était le plus vulnérable. Si Chieko lui ordonnait de retourner vers lui… Un sentiment unique, mélange d’un profond dégout et d’une haine viscérale la faisait frémir à cette seule pensée. Elle secoua vigoureusement la tête.

« N-non. Je veux...»

Trop d’émotions une fois encore, trop de choses qu’elle aurait voulu dire en même temps l’empéchaient de s’exprimer clairement. Elle était lasse. Sa voix sursautait encore par moment sous les contractions involontaires de son diaphragme mais son discours se faisait malgré tout plus fluide : « Je ve-eux juste rentrer chez n-nous. »
Ce chez nous n’était pas un endroit physique, il fallait qu’elle arrive à lui faire comprendre ce qu’elle désirait vraiment. Qu’elle évite un terrible malentendu de plus. « Q-Quand il n’y avait que toi et… et moi. »
Retrouver la situation d’avant, les sentiments simples limpides qui l’habitaient alors, l’endroit et le temps ou Chieko n’aurait jamais envisagé de la partager. Surtout pas avec cet homme…
« L-lui. I-il… Il m’a fait du-u ma-hal. » La panique et les larmes qui regagnaient ses yeux rendait de nouveau sa voix hachée malgré elle. Elle poursuivit malgré tout : « J--Je ne sss-ais p-plus ce qu-qui e-est moi mai-aintenant. »

Chieko secouait légèrement la tête. Elle demanda du même ton que prend un parent qui tente patiemment de faire comprendre quelque-chose de simple à un enfant particulièrement borné :
« Et pour quelle raison est-ce que ça te fait aussi mal qu’il ne l’accepte pas directement ? »

Kagome était terrifiée. Chieko ne comprenait pas. Pour elle tout ce qu’elle disait se rapportait à des sentiments qu’elle aurait entretenus pour cet homme. Or les seuls sentiments qu’elle éprouvait pour lui actuellement remplissaient intégralement le spectre allant du mépris à la haine. En passant par toute les nuances du dégoût et de l’aversion. Il fallait qu’elle comprenne.
« N-non, c’est pas ça. »
La frustration grandissante de ne pas réussir à faire comprendre à Chieko la nature de leur malentendu faisait remonter progressivement la colère de Kagome. Malgré elle sa voix grimpait vers les aigus. Frisant l’hystérie. « C'é- C'était à m-moi. Et il... Il me les a.... p-pris » Il fallait qu’elle comprenne. Kagome inspira forçant les mots à sortir dans le bon ordre : « Mes... Mes s-sentiments… » Comment exprimer la perte qu’elle avait subi ? Comment lui faire comprendre ce qu’il se passait réellement en elle ? Ce qui avait été dit ? Dans un soupir, à bout de force et de nerfs elle parvint à livrer deux autres mots : « Pour t-toi. » avant que ses forces ne la trahissent. Elle s’effondra alors comme une poupée de chiffon. Elle n’avait plus beaucoup de larmes à donner, mais quelques-une parvenaient malgré tout à rouler mollement sur ses joues. Pourquoi ne comprenait-elle pas. Son désespoir et sa peur n’arrivaient pas à atteindre Chieko. Alors pour lui faire entendre ce qu’elle essayait de dire, Kagome fit appel à la seule émotion qui lui restait encore. La seule qui pouvait la sauver de cette situation. Étreignant de ses bras rendus débiles par l’épuisement la taille de son amante, Kagome plaqua son visage contre le ventre de sa fiancée. Elle ferma les yeux, prit une inspiration et mobilisa toute la haine qu’elle pouvait éprouver pour cet homme pour hurler son ultime grief contre lui, le seul crime qu’elle ne pourrait jamais lui pardonner : « Il m’a pris ma certitude ! »

Ce dernier effort l’avait laissée brisée. Comme cela arrive parfois aux chevaux que les coursiers poussaient trop loin lors de longues courses, tout son corps se dérobait sous elle.

« Personne ne peut te prendre tes sentiments, c’est toi qui choisit de les suivre, ou pas. »

Un cri animal échappa à Kagome en entendant ses mots. Cri de rage, de désespoir. Elle avait échoué. L’autre ne comprenait toujours pas. Elle sentit Chieko la redresser un peu. Appuyée contre elle de tout son poids, Kagome n’était pas en mesure de soutenir une station verticale. C’est l’appui que lui offrait son amante qui lui évitait actuellement de choir au sol comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Néanmoins, les caresses dans son dos l’apaisaient quelque peu, tandis que Chieko murmurait des paroles apaisantes, Kagome reprenait graduellement conscience d’elle et de son intériorité. Le désarroi faisait l’unanimité dans son cercle. Épuisée, plongée dans un état d’abandon total par l’émotion et les caresses, Kagome ne réfléchissait même plus à ce qu’elle disait. De toute façon elle semblait bien incapable de faire comprendre les choses importantes. Elle hoquetait : « On... On dou-houte tous mai-hain-tenant. Et j-je pars en m-mor-ceaux. Mon a... axe... est cassé. »

Elle était dans un état second, au-delà de la fatigue. Elle entendait les paroles de Chieko, loin au dessus d’elle mais elle se laissait aller, rêvant d’une époque meilleure, ou leur monde se limitait à elles seules.
Sans guerre, sans combats, sans Aeons ni démons. Sans ancêtres, Jun Rei, ou empeureurs. Sans risquer de perdre Chieko à chaque fois qu’elle devait faire un choix. Sans qu’elle-même ne se demande ce qui était la réalité…
«J’avais des doutes, mais plus maintenant. Je réparerai MON monde autant de fois que nécessaire. »
Chieko disait des choses étranges. Elle semblait s’animer d’une énergie et d’une détermination nouvelle. Son étreinte sur le dos fourbu de Kagome est douloureuse. Mais la jeune femme n’a pas la force de protester.
« Je t’aime. Et si je dois te partager tant pis, tant que tu m’aimes aussi.»

Ce sentiment, ces deux seuls mots… Malgré son épuisement, Kagome sentait une vigueur ténue revenir en elle, comme le faible ruisseau de la première fonte. Mais sa seule présence lui faisait du bien. Elle chuchota:
« Chie-eko non. » Elle n’essayait même plus de choisir ses mots. Elle les laissait juste sortir.
« Tu-u es la seu-heule q-qui m'a-accepte comme je s-suis. »
Oui, elle n’avait jamais douté ou remis en question ce qu’elle était. Elle l’avait simplement acceptée comme telle. Et pour cela... « Je ne... Ne veux q-que toi. Et nous. »
Comment avait-elle pu se laisser perturber à ce point ? Douter de ses sentiments ?
Elle avait été manipulée dans un moment de fragilité. « J- J'ai cru mais… »

Non, elle avait peut-être vraiment eu des sentiments pour le jeune mage. Ou pour celui qu’elle avait cru qu’il était. Mais ce qu’elle avait découvert l’avait détrompée. Elle avait cru que tout le monde pouvait partager le degré de confiance et d’intimité qui régnait entre elles, mais elle avait fait erreur. Et Jun en était la flagrante démonstration. Elle secoua la tête pour chasser son image de sa mémoire.

« Il n’est pas… Comme nous. »

Sous elle Chieko s’écarta légérement pour essayer de mieux la dévisager. « Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Elle semblait avoir enfin réussi à se faire comprendre, précisément au moment ou elle avait renoncé à y parvenir. Au ralentit les rouages de son esprit cherchèrent une bonne manière de décrire ce qu’elle avait si clairement en tête, mais elle finit par renoncer. Les larmes lui montaient une nouvelle fois aux yeux de frustration. Elle renifla par reflexe, et haussa les épaules. C’était peine perdue. Mais elle parvint cependant à ne pas fondre une nouvelle fois en larmes. N’ayant pas de meilleure description elle répondit simplement : « Je... Je ne sais pas. »

Pas comme elles, pour Kagome l’image était claire en elle même. « Toi... Tu m'écou...te d'abord. »
Voilà c’était ça l’idée centrale. « Qu-quand je doute ou me trompe, t-tu cherche à comprendre. »
Jamais Chieko ne s’était défoulée sur elle de la façon dont l’homme l’avait fait quand elle lui avait demandé pourquoi il était en colère. Sans parler… Du reste. « Quand j'ai... expo-osé mon cœur... ce qu'il n'a pas compris, il l'a détruit. »

Elle poussa un soupir en laissant son front retomber sur l’épaule de Chieko. Elle n’arriverai sans doute pas à mieux formuler sa pensée aujourd’hui. Mais déjà Chieko reprenait : « Tu connais Jun. Il n’est déjà pas du genre à se confier. Et tu vois ce que cette situation a fait naître que ce soit chez toi, ou chez moi. Il a eu peur. » C’était typique de la jeune femme. Elle n’aurait pas pu croire qu’une personne en qui elle avait confiance ait pu penser à mal. C’était probablement sa plus grande force et sa pire faiblesse. Celle qui causerait un jour sa perte. Kagome pouvait entendre un sourire dans sa voix quand elle conclut : « Comme nous tous. L’amour peut nous faire faire des choses étranges, nous faire blesser les gens qui nous sont cher sans vraiment le vouloir, parce qu’on n’a pas réfléchit. »

Epuisée par ce combat contre les moulins qu’étaient les mots et les idées, Kagome protesta faiblement : « Non. Ce n’était pas… Non. » avant d’abandonner la lutte, de guerre lasse.

Comme pour étouffer les dernières velléités de protestations Chieko ramena le visage de Kagome dans le creux de son cou. Caressante, elle la berça ainsi durant de longues minutes. Kagome, épuisée et plus du tout en état d’argumenter profitait juste de l’odeur de ses cheveux. Lentement elle s’abandonnait à l’étreinte. Elle sentait même certaines parties de son dos qui sous les caresses de sa maîtresse semblaient se détendre de leur propre initiative. Après tout ce qu’elle avait vécu ces dernières semaines, ce moment de paix et d’abandon était comme un avant-goût du paradis. Lentement elle reprenait des forces. Et pourtant quand Chieko cessa ses caresses et l’écarta en la faisant asseoir par elle-même, elle ne songea même pas à protester. Sa conscience était cotonneuse. Même son cercle intérieur s’était tût sous les caresses et l’amour de Chieko. Et alors qu’elle se demandait ce qu’allait bien pouvoir lui dire cette femme exceptionnelle, Kagome sentit un contact doux et sucré sur ses lèvres. Pendant une seconde elle se demanda étonnée ce qu’il se passait, puis elle reconnut le tendre baisé de la femme qu’elle aimait. Alors fermant les yeux et s’agrippant à elle de toutes les forces qui lui restait,elle s’abandonna à la sensation électrisante et incomparable de ce baisé. Elle aimait cette femme, quoi qu’en puissent dire les autres. Maintenant et pour toujours. Après avoir tant pleuré, elle pensait que ses yeux n’auraient plus la moindre larme à verser, mais ils parvinrent à lui donner tort en en faisant rouler une ultime le long de sa joue. Une perle offerte à Chieko.

L’attente entre les deux téléportations, comme bien souvent, se passe sans évènement notable. Jun essai de trouver quelques petites heures de sommeil sans succès. Finalement, Osamu transporte le groupe jusqu’à leur prochaine étape et une nouvelle période d’attente commence.

Alors qu’il cherche un arbre au pied duquel tenter vainement de trouver le sommeil, Chieko s'approche de Jun. Elle lui fait signe. “Est-ce que tu aurais un peu de temps à m’accorder s’il te plait.” Elle a l’air apaisée.

"Bien sûr."

Elle s’éloigne de quelques pas et s’assoit par terre avant de faire signe à Jun de s’assoir également.

De quoi veut-elle parler maintenant ? Est-ce qu’elle a pu voir Kagome ?

Jun s’exécute, pour le moment il ne dit rien, il attend de savoir à quel propos Chieko désire s’entretenir lui.

“J’ai parlé à Kagome. Effectivement, tu avais raison. Mais Kagome est différente.” Elle sourit en disant cela. “Et j’ai choisi de l’accepter telle quelle est, avec toutes ses qualités et tous ses défauts.” Elle se tourne vers Jun : “Je l’aime et...” Elle rigole “Quoi qu’il arrive, rien ne changera cela.” Elle soupire. “Et si je devais la partager, au moins je ne la perdrais pas entièrement. Je ne sais pas ce qui a été dit entre vous mais je pense que vous vous êtes blessés mutuellement. Et je pense qu’elle a encore besoin de temps vis-à-vis de toi. J’ai fait mon choix, je serais toujours là pour Kagome, je l’aimerai malgré tout.” Elle sourit en regardant en direction du camp.

Est-ce que j’ai bien entendu ? Est-ce qu’elle a dit qu’elle est prête à partager Kagome si ça lui permet de rester avec elle ?!

Jun sent le début d’une migraine poindre.

C’est pas possible, je suis en train de rêver ! De faire un cauchemar plutôt ! Elle s’est fait laver le cerveau ou quoi ?! Comment est-ce qu’elle peut sortir un truc pareil ?! Kagome aurait pu la tromper juste après avoir accepté de l’épouser et Chieko le prend comme ça… “Oh ben c’est pas grave tant que je peux la partager !” Putain j’hallucine !

La douleur lui vrille le cerveau.

Mais merde ! Ça choque personne ?! Ou alors ça vient de moi ? En fait on s’en fout, les sentiments, l’amour ? C’est tellement surfait ! Pourquoi choisir après tout ?! Et bien non ! Désolé mais je ne le vois pas comme ça ! Je ne me contenterai pas de partager la personne que j’aime ! Et Chieko peut bien dire ce qu’elle veut, je suis persuadé qu’au fond d’elle-même elle pense la même chose ! Tsss… A quoi bon être deux à souffrir pour le bonheur d’une seule ?

Jun se masse les tempes de la main. "Vous avez vraiment un problème toutes les deux..." Il se relève en soupirant. "Si vous êtes heureuses comme ça, tant mieux, je suis content pour vous. Mais laissez-moi en dehors de ça !" Sur ce, il se retourne pour repartir en direction au camp sans attendre une quelconque réaction de Chieko.

Au campement suivant, Chieko s’approche de Jun. Elle est décidée et n’a plus aucun doute quant à cette situation. Elle lui fait signe.
« Est-ce que tu aurais un peu de temps à m’accorder s’il te plait. »
Elle a l’air apaisée et toute la tension accumulée ces dernières heures s’est entièrement envolée de son visage.

« Bien sûr. »

Perdue dans ses pensées, elle fait quelques pas pour s’éloigner du campement. Pendant qu’elle avance, elle laisse ses mains frôler la mousse sur les troncs à côtés desquels elle passe.
Finalement, Chieko s’installe posément en seiza, prenant le temps de redresser son kimono en s’asseyant.
Son regard se porte sur Jun et d’un signe de la main, elle l’invite à s’assoir à côté d’elle.
Vu sa réaction d’hier, je ne sais pas s’il sera prêt à entendre et à comprendre.
Mais, il doit savoir.
Tant pis s’il me juge.

L’homme s’installe sans un mot à côté de son amie. Il laisse patiemment le temps à Chieko de lui annoncer ce pour quoi elle l’a convié.
Une bise délicate souffle et viens faire virevolter quelques mèches de ses cheveux roses. Machinalement, elle les remet en place.
Chieko prend finalement la parole, le ton de sa voix est de nouveau serein et amère. Contrairement à ce qu’elle a pu montrer sur ces dernières heures qui lui ont semblé être une éternité.
« J’ai parlé à Kagome. Effectivement, tu avais raison. Mais Kagome est différente. »
Un sourire radieux et sincère se dessine sur le visage de Chieko.
« Et j’ai choisi de l’accepter telle quelle est, avec toutes ses qualités et tous ses défauts. »
Elle tourne la tête vers son ami.
« Je l’aime et »
Quoi qu’il arrive.
Oui, quoi que tu puisses encore me faire découvrir.
Un rire cristallin, pur et incontrôlé s’échappe des lèvres de Chieko.
« quoi qu’il arrive, rien ne changera cela. »
Toute la tension qu’elle a accumulée finit de disparaitre dans un soupir.
Il ne pourra pas comprendre cela.
Je pense.
S’il n’a pas été prêt à l’accepter de la part de Kagome.
Mais, si tout le monde peut être heureux ainsi.
Alors qu’il en soit ainsi.
Je ne veux que leur bonheur.
Kagome est mon monde.
Ils sont mon univers.
Je suis prête à tous les sacrifices pour eux.
« Et si je devais la partager, au moins je ne la perdrais pas entièrement. Je ne sais pas ce qui a été dit entre vous mais je pense que vous vous êtes blessés mutuellement. Et je pense qu’elle a encore besoin de temps vis-à-vis de toi. J’ai fait mon choix, je serais toujours là pour Kagome, je l’aimerai malgré tout. »
Elle couvre le camp de son regard. Ses mains se crispent de façon presque imperceptible sur son Kimono.
Est-ce qu’il va s’énerver ?
Est-ce qu’il va comprendre ?

Jun semble perplexe et masse ses tempes de sa main. Ce n’est clairement pas les mots qu’il s’attendait à entendre.
« Vous avez vraiment un problème toutes les deux... »
Il se relève en soupirant.
« Si vous êtes heureuses comme ça, tant mieux, je suis content pour vous. Mais laissez-moi en dehors de ça ! »
Il tourne le dos à Chieko et rebrousse chemin vers le camp.

Evidemment, il ne pouvait pas réagir autrement.
Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien espérer exactement ?
La jeune femme change de position. Elle s’adosse au tronc et étend ses jambes devant elle.
Ses doigts effleurent les brins d’herbe. Elle lève le bras et regarde sa main, songeuse. Elle bouge lentement ses doigts, tournant et retournant sa main. Chieko semble un instant déstabilisée, son pouce frôle le bout de ses doigts.
Est-ce que c’est mieux ainsi pour Jun ?
Est-ce qu’il serait prêt à accepter… ?
Elle remonte légèrement une jambe en repensant à ce qu’elle vient de vivre, serrant inconsciemment les cuisses. Elle ramène sa main vers elle et croise les bras sous sa poitrine. Sa tête bascule en arrière pour venir s’appuyer contre le bois.
Ces… choses ?
Non, ne pas les appeler ainsi, çà les vexerait.
Mais finalement…
Finalement, ce n’est pas trop dérangeant…
Ses joues se teintent de pourpre tandis qu’elle se mort légèrement la lèvre inférieure.