De Sassignan était pensif, assis sur une caisse, la seule présente dans la tente où il se trouvait. L’équipage de l’Horizon s’était temporairement installé sur cette petite caye, suite au duel contre Winthorpe.
En ce qui concernait ce duel, De Sassignan ne regrettait rien, il pensait toujours avoir bien agi, en mettant un terme aux exactions de Winthorpe. Il ne savait pas ce que ferait le Shadow dorénavant, mais il espérait que ce soit différent de leur précédente ligne de conduite.
Il avait en main la fameuse rapière, celle ornée d’un énorme rubis et qui changeait un peu trop rapidement de propriétaire, pour que ce fut rassurant d’en être le porteur. Mais il n’en avait cure, elle faisait d’ores et déjà partie de la légende. Cette arme se forgeait déjà une histoire, provenant d’un trésor incroyable, portée par des capitaines pirates, et contenant une carte mystérieuse en son sein …
De Sassignan, cet éternel rêveur ne pouvait se séparer d’un tel artefact…
Il regarda l’autre fourreau, qu’il avait déposé contre la caisse, contenant la rapière de Tolède. Elle était magnifique, et une arme de grande qualité, qui lui avait permis de gagner le duel…
… Mais il ne rimait à rien d’en garder deux, à moins qu’il ne sache se battre avec deux lames, ce qui n’était pas le cas. Ou en attendant que la première ne casse, mais au vu de sa qualité, c’était impensable.
Non il devait en faire quelque chose. Et il avait peut-être une idée, mais il voulait un second avis. Aussi se mit-il à la recherche de Primerose, qui était la seconde experte en rêve dans le coin, et une personne dont la présence et l’avis lui étaient chers.
Primerose était remontée sur le navire. Elle rangeait le matériel médical qu'elle avait préparé au cas où leur capitaine eut été blessé lors du combat. À chaque fois qu'elle se trouvait devant les herbes qu'elle avait acheté, elle se remémorait leurs propriétés curatives et leur mode d'administration. Les herbes européennes étaient rares ici. Elle avait donc dû trouver des substituts que les herboristes locaux lui avaient conseillée. Elle avait pris des notes sur leur utilité et comment les préparer, qu'elle vérifiait à chaque trou qu'elle avait lors de ses récitations régulières.
Il faisait chaud. Le sable blanc reflétait le soleil brillant qui illuminait tout le compartiment via les sabords. La chaleur était tenace. Primerose avait sorti la robe qu'on lui avait confectionné dans la cité des prétendus géant. Son tissu plus léger et sa forme plus aérée serait bien plus agréable à porter par ce temps caniculaire.
Elle tendit vers elle une main décidée, quand elle entendit des pas approcher qui la fit se raviser.
De Sassignan cherchait partout dans le campement, mais nulle trace de Primerose. Il ne se risqua pas à demander où elle était aux autres membres de l’équipage. L’ambiance était étrange, et les regards un peu trop tournés sur lui. Son duel ayant laissé une sacrée impression. Et tant mieux d’un côté, vu qu’il avait mobilisé l’équipage entier pour un problème personnel.
Il finit par arriver au navire, et il se rendit compte d’une présence, il passa l’ouverture qui servait de porte et tomba nez à nez avec Pimerose.
“Vous tombez bien, je vous cherchais. Je ne vous dérange pas j’espère ?”
Il aurait dû attendre une réponse, mais il ne put s’empêcher de laisser échapper la remarque suivante. Avec un sourire exempt de tout reproche.
“Ravissante robe, bien que très osée.”
Primerose écarquilla les yeux, ses joues devenant pourpre. Elle ramassa le vêtement et commença à le plier vivement.
"Effectivement, elle est de très bonne confection, et on a rarement l'occasion de voir un tissu de si bonne qualité. Je craignais d'ailleurs qu'elle ne s'abîme dans mon coffre, avec toute l'humidité ambiante que l'on a lors de nos navigation. J'aérais donc un peu le tissu."
Elle posa la robe à peu près pliée sur une table de manière assez vive et fit face à De Sassignan.
"Je peux faire quelque chose pour vous capitaine ?" dit-elle de manière sèche, une main sur la hanche, son regard droit dans le sien.
De Sassignan fut assez surpris de la façon dont Primerose s’adressa à lui. Il était bien plus habitué à sa timidité de la première phrase. Mais il avait bien remarqué qu’elle changeait de plus en plus. Elle s’endurcissait assurément. Pour côtoyer tant de violence et de morts, elle commençait à maîtriser le sang-froid et les qualités, d’une grande chirurgienne.
Aussi décida-t-il de mettre cela sur le compte de son nouveau comportement, de sa nouvelle rudesse. Il s’adossa contre la cloison de bois, et se laissa aller à un soupir. Il enleva son tricorne et se gratta la joue sous son cache-oeil.
“Je voulais vous demander votre avis pour une affaire, comme vous avez toujours été de bon conseil avec moi.”
Il plaça la rapière de Tolède, dans son fourreau, devant lui, laissant la magnifique, à son flanc.
“Je me retrouve avec une rapière de trop, et comme vous aviez commencé à apprendre le maniement de cette arme, je voulais votre avis, sur quoi en faire.”
Primerose fixa l'arme quelques secondes. Une moue marqua sur son visage sa pensée emplie de doute.
"J'ai cru comprendre que c'était là une très bonne rapière. Vous pourriez donc la donner à un très bon rapiériste à bord. J'ai cru comprendre qu'ils étaient plusieurs. À commencer par Don Alejo. Vous pourriez aussi tout simplement la donner à votre second.
Mais quelque chose me chagrine dans votre choix si je puis dire."
Elle passa le bout de ses doigts sur la garde de la rapière, comme un geste affectueux.
"Cette lame vous a assuré une victoire aujourd'hui, et une grande puisque vous n'avez eu à souffrir d'aucune blessure.
Elle a formé un parfait duo avec vous, elle était votre instrument et la continuité de votre corps. Vous ne formiez plus qu'un à un moment.
La rapière que vous avez gagné est sublime. Quel capitaine ne serait pas fière de porter une si belle arme, montrant à tous la grandeur de ses conquêtes ?
Mais du peu que je connais de l'histoire de cette rapière, elle n'a pas vraiment portée chance à ses propriétaires. Plusieurs sont morts en l'espace de quelques mois seulement. Et il me semblait que les marins étaient forts superstitieux. Cette épée aura la réputation d'être maudite. Il est vrai que cela pourra peut-être rajouter à votre légende si vous ne croyez pas à ce genre de choses…"
Ses yeux se tournèrent discrètement vers le capitaine sans qu'elle n'eut tourné la tête pour observer sa réaction.
Il secoua la tête avec un sourire, les conclusions auxquelles Primerose arrivait, lui prouvaient que l’idée de malchance, arriverait très vite à l’esprit de tous ceux qui connaîtraient cette arme.
La donner à un épéiste expert, ce n’était pas là, complètement, l’idée qu’il avait eu. Et à quelqu’un qui affectionnait l’usage d’autres armes, ce serait du gâchis.
“Je comprends votre raisonnement, et oui elle est exquise et d’une maniabilité irréaliste. Cependant je n’y suis pas attaché. J’aime encore plus ma vieille et fidèle épée courte, que j’ai ramené de France. Aussi n’ai-je point de difficulté à m’en défaire.
Quant au fait qu’elle m’ait épargné la moindre blessure, je puis alors déplorer de ne pas avoir de raison supplémentaire de venir vous voir.”
Il se fendit du sourire le plus charmeur qu’il put.
“La rapière de Van Aarde a déjà plus de signification pour moi, elle répare une injustice, elle devait revenir à notre véritable sauveur, et pas à ce vautour. Ce sauveur que nous avions laissé mort et qui est venu à notre rescousse lors de l’attaque du fort. Je la porterais à mon flanc, dans l’espoir de la rendre à son propriétaire un jour, pour conjurer le mauvais sort. Il y a encore un maigre espoir que Winthorpe ait menti sur toute la ligne, y compris à son équipage, à propos de comment il a obtenu cette rapière.
Je pensais instaurer un concours de compétence, pour que la rapière revienne à celui ou celle qui se montrera le meilleur épéiste à bord, qu’en pensez-vous ?”
Primerose s'assit sur la table pour prendre quelques secondes pour réfléchir, faisant mine de ne pas avoir entendu le compliment pour l'instant.
"L'idée est très juste en soi. Mais créer une ambiance de compétition et de rivalité est-il sans risque pour la bonne cohésion de l'équipage ? Et cela ne va-t-il pas à l'encontre de la chasse partie ?"
“À l’encontre de la chasse-partie ? De nombreux paragraphes sont dédiés à l’apprentissage des compétences, et une récompense pour les plus acharnés me paraît intéressant. Mais vous craignez que nous débordions sur le domaine du jeu ?”
De Sassignan resta pensif, il avait bien fait, de demander un second avis. Il n’avait pas du tout penser aux conséquences négatives que cela pourrait avoir. Aveuglé par son amour de l’art de l’escrime, il n’y avait pas vu le potentiel appât du gain qui pourrait gâter la saine compétition qu’il avait à l’esprit.
“Très justement remarqué, très chère. Auriez-vous une idée qui pourrait remédier à cela ?”
"Faites le remporter à celui qui montrera le plus de courage au prochain combat. Celui qui saura faire ses preuves d'escrimeur lors de nos prochains affrontements. Que leur rage de vaincre ne soit pas tournée vers leurs frères et sœurs mais vers nos adversaires ! Cela prendra un peu plus de temps certes, mais l'arme ne va pas disparaître."
Toujours assise sur la table, elle posa ses mains sur le bord de celle-ci, lui faisant prendre une position légèrement penchée vers sa direction.
"Si leur dévouement est récompensé, ils auront bien plus envie de rester.
Voyez-vous, je pense qu'une des choses les plus tristes dans la vie est le manque de reconnaissance. Si vous ne leur montrez aucun intérêt pour leurs sacrifices et leur dévouement, ils n'attendront pas pour quitter le navire et partir en quête d'autres choses. Les poissons ne manquent pas dans la mer. Et attendre désespérément après quelque chose fatigue à la longue. C'est lassant et perd de l'intérêt petit à petit. Les mots sont une chose, mais ils ne nourrissent pas un homme, ou une femme,"
Les propos de Primerose n'étaient plus du tout tournés vers la rapière, et les allusions ne manquaient pas, si tant est que la personne ait un minimum de jugeote pour les apercevoir. Elle prit une seconde de pause pour vérifier que personne ne put entendre la conversation avant de reprendre.
"Voyez-vous où je veux en venir Lysandre ? Où mes mots sont comme cette robe… Osés."
“Hum, c’est là leur faire prendre des risques supplémentaires, et non pas entraîner les troupes. Cependant, cela pourrait marcher, s’ils la veulent sérieusement, il leur faudra vivre pour en profiter. Je vais y réfléchir.”
De Sassignan mit un moment à comprendre les allusions de Primerose, tant elles s’appliquaient bien à la question posée tantôt. Il devint rouge écrevisse en un rien de temps, et ne savait trop quoi dire. Aussi bafouilla-t-il.
“Oh euh… vous aurais-je maltraité ? Montrer de l’hostilité ? Vous savez, vous m’êtes très précieuse, mais comment dire, je ne sais pas très bien gérer cela. La vie nous a fait valser en tous sens récemment, et je ne me rendais pas compte que je vous lésait, de quelque manière que ce soit … Euh et puis vous avez … Don Alejo … j’ai cru, enfin non j’ai compris que non, mais euh …”
Complètement maître de lui-même sur le champ d’honneur, lorsqu’il fallait risquer sa vie en duel, il en était tout autrement pour les affaires de sentiments. De Sassignan avait chaud, très chaud, il desserra son col nerveusement mais rien n’y fit. Il n’osa plus trop croiser le regard de Primerose.
La première fois qu’ils avaient échangé, il avait joué le jeu de la séduction, mais il n’avait plus l’impression d’être aussi confiant qu’à cette époque. elle le troublait sans doute bien plus aujourd’hui, et il ne s’y était point préparé.
"Gérer quoi ? Me tourner autour pour vous raviser quand vous obtenez une réponse de ma part ? Vous ne m'avez pas montré d'hostilité, bien au contraire. Vous m'avez montré de l'intérêt pour ensuite m'ignorer. Et Don Alejo, finalement il est comme vous. À tourner autour, à vouloir être le séducteur, celui qui mène la danse. Mais voilà, juste un jeu. Vous vous amusez finalement et grand bien vous fasse.
Et à vrai dire c'est en partie de ma faute. La Goupil avait raison. Je ne suis qu'un de ses foutus oiseaux dans sa satanée cage dorée. Cage que j'ai construite moi même de surcroît ! Un petit oiseau qui attend gentiment d'être chassé. Mais cela doit cesser une bonne fois pour toute.
Cette robe est peut-être osée. Mais j'ai TELLEMENT chaud. Et elle est jolie. Très jolie. Et je n'ai cure de ce que diront ces marins bedonnants et vulgaires. Donc je la porterai. Comme je porterai aujourd'hui avec fierté chacun de mes choix. Je ne suis plus une petite nobliarde. Je suis libre."
Elle se leva de la table pour lui faire face.
"Comprenez bien. Quand vous partez au combat je suis tétanisée par la peur de savoir que c'est peut-être la dernière fois que je vous verrai. Lors de vos victoires, mon cœur explose de joie de vous voir triomphant. Et le reste du temps, je ressens en mon intérieur une vague de chaleur et de frissons à l'idée de passer un moment seule avec vous. Vous m'avez aidé à prendre mon indépendance, à me libérer de ce fardeau que je m'imposais. Et vous êtes là à me dire que je vous suis précieuse. Mais j'attends toujours, car vous m'envoyez des signaux contradictoires. Alors par tous les dieux mettez fin à ce supplice et orientez-moi. Que je sache si cette quête est vaine."
De Sassignan fut abasourdi puis choqué par les remontrances et le comportement de Primerose.
“Un jeu ? Grand dieu non…”
Il n’arrivait pas à en placer une, et il fut content qu’un Octavio n’ait pas entendu la précédente.
“C’est ce que je disais, elle est jolie et…”
Il fut touché par la déclaration de Primerose, et il se rendit compte qu’effectivement, il n’avait pas fait suffisamment attention. Par contre, se rendre compte que c’était parce qu’il était trop absorbé par son imagination fantasque, n’était pas encore d’actualité.
Il se redressa, pour se redonner contenance.
“Ce n’était nullement mon intention de vous faire souffrir cela. Je vous prie de me croire, j’ai été par trop distrait, avec tout ce qu’il nous arrivait. Je vous promets de faire plus attention à l’avenir. J’apprécie énormément votre compagnie aussi, et je crois avoir trouvé en vous, bien plus qu’une amie, un soutien et une muse.”
Il se fendit d’un grand sourire et lui tendit la main, en se penchant légèrement, comme pour l’inviter à danser.
“J’apprécie tout particulièrement le fait, que nous soyons d’accord, nous devrions passer plus de moments ensemble.”
Primerose eu un léger soupir suivit d'un sourire. Elle n'obtiendrait pas plus de lui. Pas aujourd'hui.
S'y prenait-elle mal ? La seule chose dont elle était sûre était qu'elle n'entrerait pas dans le jeu malsain que lui avait évoqué La Goupil.
Elle posa sa main dans la sienne, acceptant ainsi cette danse proposée. Sans dire un mot de plus elle n'aurait su quoi ajouter.
De Sassignan attira Primerose à lui pour l’entraîner dans une danse qu’il espérait élégante. Alors même qu’ils étaient en train de valser, il se mit à parler presque à voix basse, calmement.
“Notre vie est ainsi faite, qu’il est facile de la risquer. Peut-être demain serons-nous tous attrapés par quelques soldats, vaincus au combat, ou perdus au fond d’une jungle. Il est devenu facile de tout risquer, pour la moindre victoire.
Mais ce risque a un autre tranchant, il devient plus difficile de s’attacher, plus le lien est fort, plus il blesse lorsqu’il se rompt. Et j’aurais peur de vous perdre Primerose, aujourd’hui déjà, j’ai cette peur et suis rassuré de vous savoir à l’abri lors des combats.
Si nous devions aller plus loin dans notre relation, nous devons tous deux, accepter que la mort pourrait nous séparer bien plus tôt, que ce que nous projetons. Et la vie intense que nous menons, nous a rapproché bien plus que ce que nous pouvions imaginer.
Je sais que vous en êtes consciente, mais j’aimerais que l’on se promette quelque chose, avant d’aller plus avant.”
Il se pencha vers son visage, très près, sans pour autant en arriver à la faire loucher. Et il serra sa main et sa taille, très ému par les paroles qu’il voulait transmettre, la crainte se ressentait dans sa voix.
“Si jamais il arrivait malheur à l’un de nous deux, l’autre ne devra pas baisser les bras. La vie est bien trop palpitante pour que ses tragiques issues ne nous ternissent toutes les belles choses que ce monde a à offrir.
Je serais bien plus rassuré, cette promesse faite. Quoiqu’il arrive, nous pourrions vivre l’esprit serein, et mourir en paix, si cela devait advenir.”
Il la regarda de nouveau, s’éloignant de son oreille, la sincérité et l’espérance pouvait se lire dans son oeil, qui la priait instamment d’y réfléchir.
Primerose resta muette quelques instants, la bouche légèrement entrouverte, abasourdie par ce que le capitaine venait de dire.
Son émotion n'était pas dû à ce qu'elle entendait mais à ce qu'elle comprenait.
L'instant d'avant, il la décrivait comme un soutien, une muse. Silhouette de l'arrière fond, dont on ressent la présence sans vraiment y prêter attention.
Mais les mots là avaient une pensée informulée bien plus forte. Il parlait d'attachement, il parlait de relation, il parlait affection, et à demi-mot, de liaison.
De sa main droite posée sur son épaule, elle sentait la couture de son vêtement sous ses doigts. Détail insignifiant, mais qu'elle tenait à marquer dans son esprit, comme pour rendre le moment plus important. Elle essayait de prendre conscience de chaque élément que son corps pouvait ressentir, acter le moment présent car elle le trouvait important.
La boucle qui dépassée un peu plus de la couture, la chaleur qui s'était décuplée depuis qu'il était là, le noeud qu'elle ressentait dans l'estomac.
Elle tenta de reprendre ses esprits, se sentant divaguer à perdre la tête. Peut-être mettait-elle trop d'importance dans ce moment car elle l'idéalisait encore une fois. Et elle devait répondre à sa question.
Elle tenta de commencer sa phrase, mais bafouilla. Comment devait elle commencer ? Capitaine ? Trop formel. Monsieur De Sassignan ? Pire. Lysandre ? Il n'apprécierait peut-être pas. Elle choisit de s'abstenir.
"J'ai conscience de tout cela. En tant que médecin, j'ai vu bien plus de morts que la plupart des filles de mon âge n'en verront de toute leur vie. Et de beaucoup d'hommes aussi.
J'ai conscience que demain vous pourriez mourir au combat. Dans un abordage sur un navire adverse, ou dans un duel contre un capitaine sans honneur. Mais si je choisissais demain la vie auprès d'un homme agriculteur, il pourrait mourir d'une coupure à la main qui s'est infectée. Si demain je choisissais la vie auprès d'un commerçant, il pourrait mourir jeune du mal de côté. Et ce serait peut-être une mort aussi triste que sa vie. Je pourrais aussi restée seule. Mais quel gâchis ce serait d'abandonner l'amour, lui qui m'a mené si loin aujourd'hui.
Je suis bien placée pour savoir que la vie est fragile. Et mes expériences m'ont démontrée que je ne l'étais pas.
Je choisis le risque d'une courte vie d'aventure qu'une longue vie de regrets. Et qui de mieux que moi auprès de vous pour vous sauver ?"
“Qui de mieux que vous.” Reprit De Sassignan.
Il se recula et fit une révérence, prenant la main de Primerose pour lui faire un baise-main. Il se redressa de tout son corps. Bien qu’il ne semblait pas très stable, l’émotion jouant pour beaucoup, il était prit d’une énergie toute nouvelle.
“Que diriez-vous de nous retrouver ce soir, pour admirer ensemble le soleil couchant ?”
Il passa son doigt devant la bouche, d’un air mutin, pour intimer la discrétion.
“Je pense qu’il nous faudra garder le silence sur tout cela. J’ai appris à apprécier nos compagnons, mais ils pourraient se permettre d’intervenir, et se montrer intrusifs. J’aimerais autant que nous partagions ces moments, seulement entre nous. Qu’en dites-vous ?”
La chirurgienne eut un petit rictus taquin
"Oh, mais que vais-je bien pouvoir leur raconter à l'heure du thé ?"
Se dégagea un petit rire qu'elle cacha de sa main, réflexe d'une éducation bourgeoise qui juge indécent pour une jeune fille de montrer ses dents.
"Je serai au rendez-vous. Il me tarde déjà d'y être"
Elle rattrapa sa robe osée, toujours indécise si elle devait la ranger ou la porter, et quitta la pièce avec dernier sourire pour le capitaine qui ne disparaîtrait pas jusqu'à l'heure du rendez-vous.